Amis de la France, la Roumanie et la Bulgarie sont deux pays francophones et francophiles qui contribuent au renforcement de la langue française. Lors du XIe sommet de la francophonie qui s'est tenu la semaine dernière à Bucarest, où j'ai accompagné le Président de la République, Jacques Chirac, j'ai pu vérifier, une fois de plus, la réalité de cette francophonie et de cette francophilie. Comme l'a souligné le Président Chirac à cette occasion - cela a été rappelé par Mme la ministre déléguée, ainsi que par M. Del Picchia - après cet élargissement, les pays francophones seront majoritaires au sein de l'Union européenne.
La Roumanie est aujourd'hui le pays le plus francophone de la région : 20 % de la population parle notre langue, et plus de la moitié des élèves roumains apprennent le français, qui est la deuxième langue étrangère enseignée dans le pays. La demande de français étant très forte, le lycée Anna de Noailles sera bientôt reconstruit sur un terrain plus vaste pour atteindre une capacité de 900 élèves. À cet égard, je salue l'action de notre collègue André Ferrand en faveur de ce projet.
Lors du sommet de Bucarest, le Président de la République de Roumanie et le Premier ministre ont annoncé le projet de création d'une université francophone à Bucarest.
C'est un véritable atout pour notre langue, dont l'influence au sein de l'Union européenne s'en trouvera renforcée d'autant.
Dois-je rappeler les liens culturels puissants tissés avec la France depuis le XVIIIe siècle, quand les fils des grandes familles roumaines venaient poursuivre leurs études en France, notamment à Paris ? Les intellectuels roumains et l'élite politique roumaine avaient choisi volontairement le français comme langue de la liberté, de la modernité, de l'appartenance à l'Europe des nations libres.
En 1776, le français est introduit comme matière obligatoire à l'école supérieure de Bucarest par le Prince Alexandre Ipsilanti et, en 1795, le premier consulat français est établi à Bucarest.
Au début du XIXe siècle, le français est devenu l'outil et le moyen privilégiés d'accéder à la modernité de l'occident. Cette composante française se retrouve alors aux niveaux institutionnel, législatif, militaire et culturel, et même dans la vie quotidienne ou dans les moeurs. La reine Elisabeth a ainsi traduit en français les légendes populaires roumaines sous le pseudonyme de Carmen Sylva. Le premier dictionnaire franco-roumain paraît en 1838. Paul Morand écrira, un siècle plus tard, que c'est par les navettes de nombreux voyageurs roumains entre Paris et Bucarest qu'est née l'indépendance roumaine. Les historiens Jules Michelet et Edgar Quinet défendent les droits nationaux des Roumains. En 1938, la reine Marie publie Histoire de ma vie chez Plon.
Je rappellerai aussi l'appui apporté, déjà, par Napoléon III dans la création du jeune État roumain au sein de l'Europe du XIXe siècle. En 1856, le traité de Paris, qui met fin à la guerre de Crimée, reflète la position de Napoléon III, partisan de l'unification des deux principautés de Valachie et de Moldavie et favorable à leur indépendance. Dans le domaine politique, c'est la convention de Paris de 1858 qui constitue la base de la Constitution de la Roumanie et, partant, celle de la Roumanie moderne. En matière de médecine, Charles Davilla, médecin d'origine française, a créé et dirigé à Bucarest la première faculté nationale de médecine et la société médicochirurgicale de Roumanie.
La période de l'entre-deux-guerres a été la grande époque française de la Roumanie. Paul Morand a évoqué dans son livre Bucarest le « petit Paris » qu'était devenue la capitale roumaine et, en 1946, André Breton la voyait comme « la capitale du surréalisme », grâce à Tristan Tzara, le célèbre artiste d'origine roumaine, créateur du dadaïsme. Des écrivains comme Iulia Hasdeu, Hélène Vacaresco et la princesse Marthe Bibesco ont choisi d'écrire la partie la plus significative de leur oeuvre en français, en faisant briller la culture roumaine dans les salons parisiens. Des noms illustres comme Constantin Brancusi, Eugène Ionesco, Mircea Eliade, George Enesco, Émile Cioran font désormais partie du patrimoine culturel francophone.
« C'est la famille », disait le général Berthelot à Foch lors du passage d'un détachement roumain pour le défilé du 11 novembre 1919.
Lors du déplacement de la délégation du groupe d'amitié sénatorial France-Roumanie que j'ai conduit en mai dernier, les rencontres successives avec les responsables nationaux se sont presque exclusivement déroulées en français. Les Roumains parlent notre langue avec plaisir et perfection. Ces relations politiques et culturelles anciennes et denses ont conduit à des relations très fortes entre Français et Roumains. J'évoquerai à ce titre les nombreux jumelages entre communes et départements, les nombreux partenariats, notamment par le biais de la coopération décentralisée très active, dans les domaines aussi variés que l'éducation, la protection de l'enfance, la gestion locale ou la coopération internationale.
Par ailleurs, les liens historiques et culturels sont des atouts pour les relations économiques et commerciales.
La croissance annuelle des deux pays est en moyenne de 6 %, soit au moins le double du taux moyen de croissance de l'Union européenne. Leur entrée ne peut donc que contribuer au développement général de l'activité et offrir de nombreuses opportunités, notamment pour les entreprises françaises déjà bien implantées en Roumanie.
En effet, sur le plan économique, la Roumanie est déjà fortement européenne, puisqu'elle exporte 70 % de ses produits vers l'Union européenne. La France est le troisième partenaire économique de ce pays et l'un des tout premiers investisseurs en Roumanie. Elle a participé à la reconstitution du tissu industriel grâce à l'action de nombreuses entreprises françaises dans les secteurs des services, des services publics, de la grande distribution, de l'automobile, des biens d'équipement, du textile, de l'industrie pharmaceutique ou agroalimentaire.
Notre politique d'investissement et de développement des échanges doit d'ailleurs progresser pour être en adéquation avec le niveau de nos relations historiques et culturelles.
La Commission européenne a donc confirmé l'entrée dans l'Union européenne, au 1er janvier 2007, de la Roumanie et de la Bulgarie. Si elle a néanmoins indiqué, comme cela a été souligné, que les nouveaux adhérents feraient l'objet d'une surveillance rigoureuse, nous ne nous faisons pas trop de soucis sur le respect des engagements fixés.
Ce mécanisme de surveillance est défendu par le commissaire européen à l'élargissement, M. Olli Rehn : il permettra à la Commission d'aider ces pays à mener les réformes de façon rigoureuse, en garantissant leur application concrète.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, saluons cette étape historique, qui voit dans cette ratification un moment décisif pour la Roumanie et une décision majeure pour les relations bilatérales franco-roumaines. Cette adhésion permettra de sceller l'unification du continent européen. J'émets le souhait que ce texte soit adopté à l'unanimité, pour montrer ainsi le soutien de notre assemblée.
C'est l'intérêt bien compris de la France et de l'Union européenne d'accueillir la Roumanie et la Bulgarie au sein de l'Union européenne. C'est le sens de l'Histoire. Comme M. le rapporteur nous y invite dans son excellent rapport, c'est avec enthousiasme que je dis : « Bienvenue à nos deux pays amis dans la famille européenne ! »