Intervention de Nicolas Alfonsi

Réunion du 3 octobre 2006 à 16h15
Adhésion de la bulgarie et de la roumanie à l'union européenne — Adoption d'un projet de loi

Photo de Nicolas AlfonsiNicolas Alfonsi :

Mais la victoire du non n'était-elle pas justifiée également par l'incompréhension populaire devant cet élargissement ?

Telle est la problématique qui nous interpelle de nouveau aujourd'hui, au moment où vous nous proposez le projet de ratification et l'adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie dès le mois de janvier 2007.

Mes chers collègues, je devine que les mêmes scrupules habitent aujourd'hui nombre d'entre nous, bien que cela ne transparaisse pas au travers de cette discussion générale. Le Gouvernement nous demande d'élargir l'Union européenne à deux États supplémentaires et à 30 millions d'habitants, soit 40 % de la population du dernier élargissement.

Deux sentiments contradictoires, dès lors, nous interpellent.

D'une part, comment refuser l'entrée dans l'Europe à des pays de langue latine comme la Roumanie, ce pays des Daces auquel nous rattachent des liens historiques très forts, qui a nourri notre culture par ses écrivains et ses artistes, parmi lesquels Ionesco, alors que nous avons accepté l'adhésion d'autres États auxquels nous liaient des relations historiques et culturelles beaucoup moins fortes ?

D'autre part, comment oublier que ces nouveaux pays font partie géographiquement et historiquement de l'Europe et que, partant, rien ne devrait s'opposer a priori à leur entrée dans l'Union européenne ?

Pour autant, nous ne pouvons oublier qu'au travers de ce projet nous sommes interpellés de nouveau par l'élargissement sans limite de l'Europe. Nous adhérons donc totalement aux propos de M. Barroso quand il déclare que l'on ne peut élargir perpétuellement sans faire de réformes institutionnelles et qu'il sera difficile de vendre ce nouvel élargissement.

Arrêtons donc cette hypocrisie qui suggère qu'aucune adhésion supplémentaire ne doit avoir lieu avant la réforme institutionnelle, alors que la Croatie « tape à la porte » et que le commissaire à l'élargissement, M. Olli Rehn, a estimé que ce pays entrerait dans l'Union européenne avant la fin de la décennie.

À qui fera-t-on croire qu'une réforme institutionnelle pourrait intervenir avant cette date et que pèsent les trois prochaines années quand nous prenons en compte le facteur temps dans l'entreprise que constitue la construction européenne ?

Dès lors, de manière aussi unanime, la Croatie sera appelée à intégrer l'Union européenne, dans le cadre de cet élargissement inépuisable que nous dénonçons.

Au surplus, d'autres interrogations subsistent.

Ainsi, je ne suis pas persuadé que l'évolution démocratique de ces deux pays soit telle que ceux-ci se distinguent clairement des nouveaux Etats balkaniques, alors même que la Commission prend acte de leurs manquements aux règles communautaires dans le domaine de la criminalité organisée, de la lutte contre la fraude, de la corruption et du blanchiment d'argent.

Sur le plan financier, que vont devenir les 32 milliards d'euros dispensés à ces deux pays pendant sept ans et consacrés à l'amélioration de leurs structures économiques ? Et qui peut prétendre que nous n'allons pas au-devant de difficultés considérables dans l'usage de ces crédits par des États dont l'ossature administrative et juridique est insuffisante ?

Qui peut affirmer, au moment où le Gouvernement déclare que l'application des 90 000 pages des acquis communautaires aura lieu dès le premier jour, que cette adhésion ne va pas « jeter » vers les frontières de l'Union une population rurale désemparée par l'éclatement des structures agricoles traditionnelles, en accentuant la crise sociale que nous connaissons ?

Par conséquent, madame le ministre, n'est-il pas contradictoire d'affirmer - je cite le ministre des affaires étrangères - qu'il est nécessaire de faire l'Europe en accord avec les peuples et avec les opinions, en sollicitant leur adhésion, au moment même où nous votons dans la quasi-clandestinité - il suffit d'apprécier la discrétion de la presse et des médias dans ce domaine - l'adhésion de deux nouveaux États membres ?

Parce que je refuse l'élargissement perpétuel par une application mécanique des critères de Copenhague - faudra-t-il accepter demain l'Ukraine si l'état de droit, l'économie de marché et la reprise de l'acquis communautaire sont reconnus par elle ? -, parce que je partage les propos de Mme Sylvie Goulard, selon laquelle « ce qui est derrière nous est irréversible et ce qui est devant nous est sans conséquences », parce que, désormais, l'approfondissement doit passer avant tout nouvel élargissement, j'exprime les plus vives réserves s'agissant du projet qui nous est présenté.

Monsieur Revol, j'ai quelques scrupules à conclure ainsi après avoir entendu le vibrant plaidoyer que vous venez de prononcer devant nous. Dans mon esprit, ce n'est pas la Roumanie qui est en cause : j'adore ce pays ; je l'ai visité en 1974, à une époque où le joug communiste l'avait placé dans une situation implacable.

Au-delà du problème proprement roumain, c'est bien celui de l'élargissement qui m'interpelle. Pour ma part, je ne peux pas, par une fatalité permanente, accepter ces élargissements sans fin. C'est la raison pour laquelle mes réserves demeurent.

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