Intervention de Roland Ries

Commission des affaires sociales — Réunion du 11 mars 2009 : 1ère réunion
Droits des patients — Soins de santé transfrontaliers - Audition de M. Roland Ries sénateur

Photo de Roland RiesRoland Ries, rapporteur pour la commission des affaires européennes :

a indiqué que la Commission européenne a présenté, le 2 juillet dernier, une proposition de directive relative à l'application des droits des patients en matière de soins de santé transfrontaliers, dont a été saisi le Sénat au titre de l'article 88-4 de la Constitution. Ce texte est consécutif à l'exclusion, exigée par le Parlement européen et le Conseil, des soins de santé du champ d'application de la « directive services ».

La mobilité des patients en Europe demeure un phénomène très limité, même si chacun s'accorde à prévoir son augmentation sensible dans les années à venir. La Commission estime que les soins délivrés à des patients européens en dehors de leur Etat membre d'affiliation ne représentent que 1 % de l'ensemble des dépenses publiques de santé et ne concernent que 3 % à 4 % des citoyens de l'Union. Cette situation résulte en grande partie de facteurs structurels : préférence pour des soins reçus à proximité du lieu de résidence, coût du déplacement à l'étranger, barrière de la langue, manque d'information... L'évolution des flux financiers engendrés en France par cette mobilité montre toutefois que ce phénomène se développe puisque le montant des remboursements effectués pour des soins dispensés dans d'autres Etats membres a augmenté de 50 % entre 1998 et 2007.

Deux cadres juridiques distincts, permettant aux patients de bénéficier du remboursement des soins reçus dans un autre Etat membre, coexistent actuellement. Le premier a été établi par le règlement de coordination des régimes de sécurité sociale du 14 juin 1971. Pour les soins inopinés, le patient doit fournir aux autorités de l'Etat où est dispensé le traitement la carte européenne d'assurance maladie, qui fait office d'attestation de son droit aux prestations en nature de l'assurance maladie dans son Etat d'affiliation. Si la personne ne présente pas cette carte, les frais sont à sa charge mais elle peut ensuite en demander le remboursement. Pour les soins de santé programmés, le patient doit préalablement avoir reçu de son organisme d'affiliation un accord de remboursement.

Les dispositions du règlement de 1971 ont été contestées par certains citoyens devant la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), qui a alors construit un second cadre juridique de remboursement, dont le détail figure dans un rapport d'information précédemment établi par la délégation pour l'Union européenne du Sénat.

La coexistence de deux régimes distincts, et parfois divergents, pour le remboursement des soins pose des problèmes de sécurité juridique et remet en cause la possibilité pour les Etats membres d'organiser correctement leur offre de soins.

La proposition de directive vise donc à adapter le cadre juridique progressivement élaboré pour accompagner le développement de la mobilité des patients dans l'Union, en levant les incertitudes sur le droit applicable. Son champ est volontairement limité à la mobilité des patients : celle des professionnels de santé a fait l'objet d'un livre vert spécifique présenté en décembre dernier.

Le texte de la Commission repose sur trois séries de dispositions :

- la création d'un cadre européen visant à garantir la qualité et la sécurité des soins pour les patients qui se déplacent au sein de l'Union. Les Etats membres sont chargés de définir des normes claires de qualité et de sécurité et doivent veiller à les faire appliquer ;

- l'organisation du remboursement des soins transfrontaliers. La proposition de directive codifie les grands principes de la jurisprudence de la CJCE en matière de remboursement des soins dispensés dans un autre Etat membre. Elle reprend la distinction entre soins non hospitaliers, qui ne sont pas soumis à une autorisation préalable, et soins hospitaliers, pour le remboursement desquels les Etats membres d'affiliation peuvent prévoir une autorisation préalable dans certaines conditions, notamment pour éviter de porter une atteinte grave à l'équilibre de leur système de sécurité sociale et à la planification hospitalière mise en place ;

- la promotion d'une coopération structurée entre les Etats membres, grâce à la reconnaissance mutuelle des prescriptions, à la création de réseaux européens de référence de prestataires, au développement de la santé en ligne, aux nouvelles technologies et à la collecte de données.

s'est ensuite interrogé sur l'appréciation à porter sur cette proposition de directive. Selon lui, de nombreuses dispositions de ce texte ne sont pas acceptables en l'état, ce qui explique d'ailleurs l'hostilité de plusieurs Etats membres au projet et les doutes qui planent sur le respect du calendrier fixé par le Parlement européen, soit un examen en commission le 12 mars et un vote en séance plénière le 23 avril.

Si les objectifs poursuivis par la proposition de directive sont légitimes, le texte soulève plusieurs difficultés. En premier lieu, sa base juridique est limitée à l'article 95 du traité, qui concerne l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur, et ne renvoie ni à l'article 137, relatif à la sécurité sociale et à la protection sociale des travailleurs, ni à l'article 152 relatif à la santé publique.

Il pose également des problèmes d'équité : alors que le règlement de 1971 prévoit que les organismes de sécurité sociale assurent le paiement des frais, la proposition de directive, qui reprend sur ce point la solution jurisprudentielle, oblige le patient à avancer les fonds, avec un remboursement ultérieur. Le texte est donc davantage conçu pour répondre aux choix individuels de patients plutôt aisés que pour tenir compte de besoins médicaux avérés.

Par ailleurs, le dispositif d'autorisation préalable au remboursement des soins hospitaliers mis en place est particulièrement complexe, voire inopérant : la Commission propose en effet que l'Etat membre soit dans l'obligation de démontrer au cas par cas en quoi l'absence d'une autorisation préalable mettrait en péril le financement et la planification des soins. Mais comment apprécier ex ante la gravité de l'atteinte potentiellement portée ex post à l'équilibre financier ou à la planification du système ?

Il faut en outre souligner que la proposition de directive accroît sensiblement les compétences de la Commission dans un domaine marqué par le caractère subsidiaire de l'intervention communautaire. Au-delà de la question de principe, un tel renforcement des pouvoirs de la Commission n'est pas toujours opportun, à l'exemple de la question des normes de qualité et de sécurité des soins. La Commission pourrait-elle aller jusqu'à établir des standards en la matière ?

Enfin, plusieurs dispositions de la proposition de directive comportent un risque d'insécurité juridique et donc de multiplication des contentieux. Son champ d'application, trop limité, conduirait à instaurer une « troisième voie » de remboursement, en plus des deux actuelles. De même, la définition des soins hospitaliers retenue est très restrictive et ne tient pas compte de l'hétérogénéité des situations nationales : ce qui relève du secteur hospitalier dans un État membre n'en relève pas nécessairement dans un autre.

Ces difficultés sont suffisamment importantes pour conduire à remettre en question certaines des propositions de la Commission. La présidence française de l'Union européenne a été l'occasion de réécrire largement ce texte, mais la nouvelle version a suscité de grandes réserves de la part de la Commission. La présidence tchèque a fait de ce texte une priorité mais se montre toutefois assez prudente sur les résultats susceptibles d'être obtenus au Conseil de juin prochain.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion