a précisé que cette première communication, intitulée « quelle réparation et quelle fabrique pour le corps ? », constitue un point d'étape à la suite des états généraux de la bioéthique. Il est important que le Sénat puisse se confronter aux multiples questionnements que suscite le sujet de l'assistance médicale à la procréation comme l'ont déjà fait d'autres institutions, notamment le Conseil d'Etat et l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst).
Elle a indiqué ne pas avoir, pour sa part, de certitudes sur l'ensemble des questions malgré le temps qu'elle y a consacré. Deux points semblent néanmoins fondamentaux. D'une part, les sujets de bioéthique se situent au carrefour de plusieurs logiques : la science, la thérapeutique, l'économie et la compassion. D'autre part, la responsabilité du législateur, quand il discutera des prochaines lois de bioéthique, sera d'une ampleur inédite en raison de l'importance des conséquences des décisions qui seront prises. Il s'agit de trouver un cadre où puissent se conjuguer la liberté scientifique et le respect des personnes.
Des différentes instances au sein desquelles elle a participé à des débats de bioéthique, elle retire deux questions que pourraient être amenés à se poser les enfants qui naîtront dans vingt ans : « suis-je un être fabriqué » ? ; et, pour ceux qui seront nés handicapés malgré la tendance actuelle à l'éradication du handicap : « suis-je une erreur » ?
Sur les questions bioéthiques, le Gouvernement a engagé une procédure de consultation institutionnelle classique et, de manière plus originale, une procédure de consultation citoyenne. L'intérêt des citoyens pour les questions de bioéthique a été très fort. Plusieurs personnes se sont ainsi formées puis confrontées à de grands témoins lors de débats publics. Par ailleurs, un site Internet, créé pour l'occasion, a reçu plus de 70 000 visiteurs. Après ces consultations, il appartient aux parlementaires de se saisir des sujets de bioéthique.
a d'abord présenté le cadre légal de l'assistance médicale à la procréation (AMP). Le législateur de 1994 et 2004 a voulu réserver le recours à l'AMP à certaines indications médicales pour éviter qu'elle ne devienne un nouveau mode de procréation susceptible d'être utilisé pour des raisons de convenance personnelle. Le code de la santé publique définit les techniques d'AMP et en subordonne l'accès à deux types de conditions : des conditions médicales (infertilité résultant d'une pathologie ou risque de transmission d'une maladie d'une particulière gravité à l'enfant ou à l'autre membre du couple), en vertu de l'article L. 2141-1, et des conditions sociales prévues aux articles L. 2141-2 à L. 2141-7 (couple hétérosexuel dont les deux membres sont vivants, en âge de procréer et mariés ou pouvant justifier de deux ans de vie commune).
L'AMP peut être mise en oeuvre avec un tiers donneur. Il s'agira d'un don de gamètes unique puisque le double don est interdit en France. Comme tout don, il est soumis au principe de l'anonymat et à celui de la gratuité.
Enfin, la gestation pour autrui (GPA) est envisagée comme une nouvelle forme d'AMP. Elle consiste, pour une femme, à porter l'embryon issu biologiquement d'un autre couple puis de remettre à celui-ci le bébé après la naissance. Cette pratique est interdite par le droit français qui prohibe les conventions de maternité pour autrui.
Il convient ensuite d'étudier le cadre médical de l'AMP. Le premier « bébé éprouvette », Amandine, est né en France en 1981 grâce au processus consistant à créer un embryon humain en provoquant la fusion des deux cellules reproductrices, ou gamètes.
Il existe différentes techniques. La première est celle de l'insémination artificielle, qu'elle soit intraconjugale ou avec tiers donneur. Cette dernière technique ne concerne que 7 % des enfants nés par AMP et elle est très encadrée : le donneur ou la donneuse doit avoir déjà procréé ; son consentement et, s'il fait partie d'un couple, celui de l'autre membre, sont recueillis par écrit et peuvent être révoqués à tout moment jusqu'à l'utilisation des gamètes ; enfin, le recours aux gamètes d'un même donneur ne peut légalement conduire à la naissance de plus de dix enfants.
La pénibilité du don d'ovocytes est plus élevée que celle du don de spermatozoïdes et implique des contraintes car il nécessite une stimulation ovarienne, une anesthésie locale ou générale et entraîne des suites opératoires. La réglementation en vigueur prévoit donc que la donneuse soit particulièrement informée des risques liés notamment à une hyperstimulation ovarienne.
Un deuxième type de technique est la fécondation in vitro (Fiv). Des cellules reproductrices sont placées dans un tube pour qu'elles fusionnent. Après deux ou trois jours en moyenne, l'embryon est transféré dans l'utérus de la mère. Lorsque le couple refuse de conserver des embryons surnuméraires par congélation, le nombre d'ovocytes traités est limité à deux ou trois, en fonction du nombre d'embryons que l'on souhaite transférer. Préalablement au transfert, les couples sont informés des probabilités de réussite et du risque de survenance de grossesses multiples. Un transfert supérieur à deux embryons doit être justifié dans le dossier médical du couple. En effet, il peut y avoir un risque de grossesse multiple donnant alors lieu à une « réduction embryonnaire », processus qui vise à détruire l'un des embryons implantés.
La loi prévoit la destruction des embryons surnuméraires en cas d'extinction du projet parental par défaut de réponse ou désaccord au sein du couple. Les embryons qui n'ont pu être accueillis dans un délai de cinq ans à compter du jour où le consentement du couple à l'accueil a été exprimé par écrit, doivent légalement être détruits. On compte, à l'heure actuelle, 155 000 embryons surnuméraires en France.
Une nouvelle technique de fécondation in vitro est désormais disponible. Il s'agit de l'« intra cytoplasmic sperm injection » (Icsi). Le biologiste injecte alors directement un spermatozoïde présélectionné dans un ovocyte. Cette technique est utilisée lorsqu'une fécondation naturelle n'est pas possible en raison du nombre ou de la qualité des spermatozoïdes.
En ce qui concerne les embryons surnuméraires, certains pays comme l'Allemagne ont adopté une législation stricte qui en empêche la constitution. En France, la réglementation relative aux bonnes pratiques recommande une limitation du nombre d'embryons constitués à la suite de tentatives de Fiv et impose de ne chercher à recueillir que peu d'ovocytes lorsque le couple demande qu'il n'y ait pas de recours à la congélation.
Alors que le double don de gamètes par tiers est légalement interdit, un couple peut consentir à l'accueil de ses embryons surnuméraires par un autre couple, ce don étant subordonné à une décision judiciaire.
Les recherches sur l'embryon sont conduites sur des embryons surnuméraires conçus in vitro dans le cadre d'une AMP et ne faisant plus l'objet d'un projet parental. Elles entraînent la destruction des embryons utilisés. Elles ont d'abord été interdites en 1994, puis assorties de dérogations strictement encadrées en 2004.
Enfin, l'insémination ou le transfert d'embryons post mortem sont interdits pour des motifs liés à l'absence du père et aux difficultés qui en résulteraient pour le droit de la filiation et de la succession.
Après avoir dressé cet état des lieux juridique et médical, Mme Marie-Thérèse Hermange a soulevé plusieurs questions. Elle a tout d'abord rappelé que si un consensus s'est dégagé pour considérer que l'AMP doit rester une réponse à l'infertilité et ne pas devenir un mode alternatif de procréation, des nuances existent sur l'instauration d'une limite d'âge pour en bénéficier, même si la question semble résolue en pratique, et sur l'autorisation de l'AMP post mortem. Sur cette question, les états généraux se sont montrés très réservés tandis que l'Opecst s'est déclaré favorable à une autorisation encadrée. La plupart des instances qui traitent des questions de bioéthique ne se sont pourtant pas prononcées.
Plusieurs options s'offrent aux parlementaires en matière d'encadrement de l'AMP. La première consiste à conserver les dispositifs existants, la deuxième à en élargir l'accès aux femmes célibataires ou aux couples homosexuels, ce qui implique de sortir du référentiel « naturel » qui prévaut aujourd'hui comme conception de la famille. C'est sur ce rôle anthropologique du droit qu'a insisté le comité national consultatif d'éthique. La troisième option serait de codifier davantage la pratique de l'AMP : soit on considère que le nombre d'embryons surnuméraires n'est pas en soi un problème, mais il faut alors s'interroger sur leur devenir, soit il faut établir une limitation du nombre d'embryons et s'inspirer alors d'un pays comme l'Allemagne.
Un deuxième sujet de débat est celui lié aux conditions du don de gamètes. Un consensus semble se dégager dans la majorité des rapports en faveur, au minimum, de l'accès à des informations non identifiantes sur le donneur. Concernant la gratuité du don, dont certains préconisent l'abandon pour favoriser le don de gamètes, elle reste pour la plupart des institutions et pour les citoyens un principe intangible, même si un meilleur défraiement est envisagé pour les donneuses d'ovocytes.
Le choix de l'anonymat total revient à affirmer la suprématie du lien social sur le lien biologique puisque le donneur est effacé au profit des parents qui élèvent l'enfant. Or, la dissociation entre lien social et lien biologique ne va pas de soi. La levée partielle de l'anonymat pose la question de l'existence d'un moyen terme en matière de quête des origines. La levée totale de l'anonymat des donneurs à la date de la majorité de l'enfant, s'il en fait la demande, est également envisageable. Dans ce cas de figure, la priorité est donnée à la filiation sociale mais on reconnaît que le lien biologique est porteur d'identité. De fait, il semble qu'on ne puisse considérer de la même manière l'anonymat nécessaire pour un don qui sauve la vie, dans le cas du don d'organes, et l'anonymat d'un don qui donne la vie.
La gestation pour autrui pose également de nombreuses questions. Le groupe de travail constitué par le Sénat sur cette question a rendu, en juin 2008, un rapport préconisant son autorisation encadrée afin de remédier à l'impossibilité médicale pour une femme de porter un enfant. Les rapports rendus depuis lors, dans la perspective de la révision des lois de bioéthique, se sont néanmoins prononcés contre cette autorisation.
Si l'on autorise la gestation pour autrui, le risque est d'abandonner un certain nombre de principes juridiques comme celui du caractère certain de la filiation maternelle, « mater semper certa est », ou dans le cadre d'une convention financière, le principe de l'indisponibilité du corps humain. On ne peut mettre sur le même plan un don d'organe, destiné à se fondre dans le corps du receveur, et la gestation, qui est une fonction organique. Enfin, autoriser cette pratique pourrait laisser entendre que l'on tient pour négligeables les risques inhérents à la grossesse et que l'on fait primer le désir d'enfant. Le maintien de son interdiction consacre le fait que le désir d'enfant, aussi légitime soit-il, ne fonde pas de droit à l'enfant.
En conclusion, Mme Marie-Thérèse Hermange a considéré que la question fondamentale est la suivante : « qu'est-ce que donner quand c'est son corps que l'on donne ? ». Comment préserver la dignité humaine des risques d'instrumentalisation du corps humain ? Comment reconstruire l'unité de la personne entre lien biologique et lien social ? Là réside le problème de la dimension symbolique du corps.