Vous avez été nommé par le Président de la République, qui pourra vous révoquer quand bon lui semblera. Le faux semblant de la consultation du CSA et du passage devant les commissions des affaires culturelles des assemblées ne trompe personne : ce mode de nomination, qui constitue une exception malheureuse en Europe, fait régresser l'indépendance, le pluralisme et la liberté de l'audiovisuel public. C'est pourquoi le groupe socialiste, apparentés et rattachés, n'entendant pas le cautionner, ne prendra pas part au vote.
Vous êtes un professionnel reconnu, monsieur Pflimlin ; vous connaissez bien la maison. Je vous connais, et j'ai apprécié votre action à la tête des Messageries. Dans le cadre d'une procédure ouverte et indépendante, le choix aurait pu se porter sur vous. Il ne s'agit pas tant de vous juger et de vous jauger, puisqu'il n'est pas question de choix, mais plutôt de se projeter dans l'avenir. Comment dirigerez-vous France Télévisions ? Comment crédibiliserez-vous son indépendance, alors que vous portez au pied le boulet de votre mode de nomination ? Verra-t-on un service public humilié, faire-valoir des interventions du Président de la République ? - et pour avoir la réponse à cette dernière question, nous n'aurons pas même à attendre demain... Comment assurerez-vous le développement d'une information de qualité, honnête, complète et pluraliste ? Quelles dispositions prendrez-vous pour assurer l'indépendance de toutes les rédactions ? Pour faire vivre, avec France 3, une information régionale tant appréciée de nos concitoyens ?
Avec ses 50 heures d'information par jour, en France et dans le monde, ses 2 500 journalistes qui mettent leur honneur à travailler pour le service public, en portant une attention particulière à la mettre au service de la démocratie en des temps où la multiplication des actes d'ingérence jette le trouble, notre audiovisuel public est en danger : sa dernière réforme l'a placé sous tutelle financière et politique. La suppression de la publicité n'est pas une fin en soi. Ce qui est essentiel, c'est d'assurer à l'audiovisuel public des ressources pérennes sans le mettre sous l'entière dépendance du commerce, ou le livrer au seul bon vouloir du gouvernement, et de la variation de ses priorités budgétaires. Dans la mesure où les recettes promises ne seront pas au rendez-vous - on a vu le sort de la taxe sur les télécommunications - conserver par moratoire la publicité avant 20 heures serait sage... Prendrez-vous la décision de conserver une régie qui a su collecter plus de 430 millions cette année ?
France Télévisions est le débouché naturel d'une création de qualité, diverse et parfois d'une salutaire impertinence. Autant le concept de média global et l'entreprise unique ont reçu notre soutien - mais nous resterons vigilants pour qu'aucun salarié ne soit laissé de côté et que tout se passe dans la concertation et le dialogue social -, autant sa réduction à une logique de guichet unique signerait pour nous la mort de la création et de la pluralité. Qu'en pensez-vous ?
Nous aurons d'autres rendez-vous. Je vous souhaite bonne chance, à vous, et au service public. J'espère que vous voudrez et que vous saurez trouver le chemin difficile pour assurer l'indépendance, la liberté et le pluralisme de cette formidable maison. J'espère que vous ne penserez pas à qui vous a nommé, à qui peut vous révoquer, quand vous aurez à décider, à nommer tel ou tel pour diriger l'information. Ne vous émouvez pas que l'on puisse ainsi formuler ce voeu : M. Hess s'en était ému voici un an, et puis... À la lumière de ce qu'est aujourd'hui son expérience, je vous souhaite du courage...