Intervention de Henri Torre

Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation — Réunion du 10 juillet 2008 : 1ère réunion
Contrôle budgétaire — Outre-mer - immigration clandestine à mayotte - communication

Photo de Henri TorreHenri Torre, rapporteur spécial :

Puis la commission a entendu une communication de M. Henri Torre, rapporteur spécial, sur l'immigration clandestine à Mayotte.

Procédant à l'aide d'une vidéoprojection, M. Henri Torre, rapporteur spécial, a rendu compte de son déplacement effectué à Mayotte. Il a indiqué que l'objectif était de contrôler, sur pièces et sur place, le phénomène de l'immigration clandestine, très développé sur ce territoire. Il a précisé que son objectif, en qualité de rapporteur spécial de la mission « Outre-mer », avait été d'apprécier l'impact de cette immigration sous un angle budgétaire. Il a ajouté qu'il n'aborderait donc pas les enjeux juridiques, tels que la question du droit du sol ou l'avenir institutionnel de Mayotte, qui relevaient de la compétence de la commission des lois. Toutefois, il serait naturellement conduit à exposer aux membres de la commission les constats qu'il avait pu faire sur place quant à la situation économique et sociale de l'île.

a brièvement rappelé l'histoire de l'appartenance de Mayotte à la République française. Il a observé que Mayotte était française depuis près de 170 ans et a précisé qu'elle faisait partie de l'archipel des Comores, qui comprenait trois autres îles : la Grande Comore, Mohéli et Anjouan. Il a ajouté que les 4 îles de cet archipel ont constitué, à partir de 1946, un territoire d'outre-mer français.

a relevé que si Mayotte était demeurée française, c'était parce qu'à la différence des trois autres îles, elle avait refusé l'indépendance lors du référendum organisé en décembre 1974. Il a fait observer qu'elle était soumise aujourd'hui au statut particulier de « collectivité départementale », dans l'attente d'un référendum sur sa départementalisation, qui pourrait être, selon les déclarations gouvernementales, organisé au début de l'année 2009.

a relevé que, malgré une situation économique et sociale très précaire, Mayotte restait attractive pour les étrangers. Il a déclaré que les conditions de vie de la population mahoraise étaient très difficiles. La population mahoraise, de 187.000 habitants, était très dense, plus de 500 habitants par kilomètre carré, et croissait à un rythme de plus de 3 % par an, ce qui ne facilitait pas la résorption de l'habitat insalubre, qui dominait largement le territoire.

Il a déclaré qu'à cette densité démographique s'ajoutait la jeunesse de la population mahoraise, puisque 71 % des mahorais avaient moins de 30 ans, ce qui créait des difficultés en matière d'éducation.

a, par ailleurs, souligné que le produit intérieur brut (PIB) mahorais par habitant était inférieur à 4.000 euros, soit plus de 6 fois inférieur au PIB métropolitain, avec un taux de chômage de l'ordre de 23 %. Il a estimé que cela résultait d'une grande faiblesse des structures économiques, et précisé, enfin, que le taux de couverture des importations par les exportations n'était égal qu'à 1,9 %, montrant la dépendance de Mayotte vis-à-vis de l'extérieur.

a fait observer que Mayotte restait cependant très attractive pour les populations des territoires environnants, son PIB par habitant restant 9 fois supérieur à celui des Comores, d'où provenait la majorité de l'immigration clandestine. Il a estimé que les motifs d'immigration étaient donc largement économiques, et souligné que les pays voisins de Mayotte avaient des indices de développement humain parmi les plus faibles du monde. Par ailleurs, les liens familiaux entre les Mahorais et les habitants des autres îles des Comores étaient historiquement très forts et expliquaient également les phénomènes migratoires.

a déclaré que la situation politique de l'île d'Anjouan était un autre facteur d'immigration : cette île était en effet soumise à des mouvements séparatistes, qui revendiquaient son indépendance par rapport aux deux autres îles des Comores. Cette motivation était d'autant plus grande que la pression démographique sur l'île d'Anjouan était très élevée, avec plus de 570 habitants par kilomètre carré.

Il a indiqué que la proximité géographique, enfin, facilitait les flux d'immigration clandestine, l'île d'Anjouan étant distante de Mayotte de moins de 70 kilomètres, ce qui permettait des trajets en bateau. Il a noté que les immigrés, même de nationalité non comorienne, passaient donc très majoritairement par l'île d'Anjouan, d'où ils embarquaient clandestinement pour Mayotte.

Puis M. Henri Torre, rapporteur spécial, a souligné l'importance des flux d'immigration et le traitement de la population clandestine présente à Mayotte.

Il a indiqué qu'environ un tiers de la population présente à Mayotte était en situation irrégulière : les estimations des différentes personnes rencontrées à Mayotte concordaient pour aboutir à un nombre d'étrangers en situation irrégulière compris entre 50.000 et 60.000 personnes. Environ 90 % de cette population était d'origine comorienne, le reste provenant de Madagascar et des pays d'Afrique proches de Mayotte.

a estimé que ces chiffres étaient d'autant plus inquiétants que ces flux d'immigration s'ajoutaient au départ d'un nombre croissant de Mahorais : 500 par an avant 1997 et aujourd'hui plus de 3.500 par an. Il a estimé que l'immigration était facilitée par l'intégration paradoxale des clandestins à la société mahoraise. En effet, il a indiqué que de nombreux Mahorais critiquaient vivement la présence des clandestins sur leur territoire et y voyaient la cause des difficultés du pays. Il a toutefois fait valoir que l'emploi des clandestins était extrêmement répandu, tant pour les travaux ménagers que dans le bâtiment ou le travail agricole, ce qui constituait un « appel d'air » important pour les populations étrangères.

a déclaré que ces flux d'immigration clandestine étaient financés par de véritables réseaux économiques.

Il a relevé que si les réseaux d'immigration restaient artisanaux, ils participaient toutefois à un vrai système économique. Il a souligné que la traversée d'Anjouan à Mayotte se faisait dans des conditions de sécurité dramatiques, sur des bateaux de pêcheurs conçus pour 8 passagers, où voyageaient jusqu'à 45 personnes, précisant que les naufrages étaient fréquents et les noyades estimées à près de 1.000 par an. Il a ajouté que les traversées se faisaient avec l'appui de clandestins présents à Mayotte, qui communiquaient aux embarcations le nombre et la localisation des bateaux d'interception des forces de police en mer.

a fait valoir que pour ceux qui l'organisaient, l'activité d'émigration vers Mayotte était financièrement très « rentable » : le prix de la traversée était compris entre 100 euros et 300 euros par personne, ce qui peut rapporter près de 10.000 euros au propriétaire du bateau, le passeur étant quant à lui payé entre 400 euros et 500 euros, soit l'équivalent d'un an de salaire aux Comores.

Il a, par ailleurs, déclaré que quatre à cinq mois de travail clandestin à Mayotte suffisaient, pour un immigré en situation irrégulière, à financer la traversée d'un parent ou d'un ami ou encore le retour à Mayotte après une expulsion. Il a précisé que les bateaux qui débarquaient des immigrés sur les plages mahoraises repartaient en général avec du matériel volé par les clandestins à Mayotte, ce qui leur procurait des ressources financières importantes.

a indiqué qu'une fois sur place, les clandestins étaient souvent reconduits à la frontière et obtenaient très rarement une carte de résident. Il a précisé que le nombre d'arrêtés préfectoraux de reconduite à la frontière avait fortement augmenté pour atteindre près de 16.000 par an, ce qui correspondait approximativement au flux de nouveaux arrivants et permettait de stabiliser le nombre de clandestins présents.

a déclaré que si les conditions de retenue dans le centre de rétention administrative de Pamandzi, qu'il avait eu l'occasion de visiter, étaient très précaires, les reconduites à la frontière se passaient en général sans heurts.

Puis, il a abordé le volet relatif aux coûts de cette immigration clandestine et aux leçons qu'il convenait d'en tirer.

Il a déclaré qu'ils pesaient d'abord sur les structures chargées de lutter contre ce phénomène.

a indiqué que la police aux frontières consacrait un budget estimé à 2,3 millions d'euros par an à la lutte contre l'immigration clandestine, en forte augmentation en raison de la hausse des moyens humains rendue nécessaire pour faire face à ce phénomène. Selon le directeur de la police aux frontières, sur les 140 fonctionnaires qui y travaillaient actuellement, 120 étaient affectés à la lutte contre l'immigration clandestine.

Il a ajouté que la gendarmerie évaluait le coût de la lutte contre l'immigration clandestine à près d'1 million d'euros par an. Tout comme le directeur de la police aux frontières, le commandant de la gendarmerie de Mayotte éprouvait des difficultés importantes à remplir l'ensemble de ses missions traditionnelles, la gendarmerie étant totalement occupée à lutter contre l'immigration clandestine.

a relevé que la coordination des moyens matériels permettait une relative maîtrise des coûts de la lutte contre l'immigration clandestine : les interventions en mer des différentes forces de l'ordre étaient, en effet, centralisées et donc optimisées. Il a également précisé que les moyens matériels, notamment les bateaux servant à l'interception des clandestins, étaient aussi standardisés, ce qui permettait une réduction des coûts d'entretien.

a déclaré qu'en matière d'offre scolaire, l'immigration clandestine constituait un obstacle supplémentaire au rattrapage des standards métropolitains et une source de coûts. Il a ajouté, qu'entre 1997 et 2007, les effectifs avaient augmenté de 44 % à Mayotte dans le premier degré et de plus de 100 % dans le second degré et que la population scolaire avait été multipliée par 6 depuis 1973.

Il a indiqué que l'immigration clandestine n'était pas responsable de la majorité des coûts induits par cette croissance. Il a précisé, toutefois, que selon le secrétariat d'Etat à l'outre-mer, plus de 22 % des élèves scolarisés étaient issus de l'immigration clandestine, et que, d'après les chiffres fournis par le vice-rectorat de Mayotte, les coûts de fonctionnement induits par la présence de ces élèves supplémentaires au sein des structures scolaires étaient évalués à plus de 32 millions d'euros.

a enfin noté que la présence d'une importante population clandestine entraînait des coûts importants pour les services de santé. Si le nombre de patients immigrés clandestins était difficile à évaluer, les informations fournies par le directeur du centre hospitalier de Mayotte permettaient d'évaluer le coût des soins qui leur étaient dispensés à plus de 20 millions d'euros par an.

a estimé que cette évaluation budgétaire ne visait bien évidemment pas à sous-estimer les aspects humains souvent dramatiques de l'immigration clandestine, mais permettait toutefois de dégager des pistes d'amélioration pour la gestion du défi de l'immigration clandestine à Mayotte.

Ainsi, il a constaté que, globalement, les coûts induits par la lutte contre l'immigration clandestine étaient d'une ampleur bien moindre que ceux induits par la présence, sur le territoire mahorais, des clandestins. Il serait donc non seulement plus efficace, mais aussi moins onéreux, d'augmenter les moyens consacrés à la lutte contre l'immigration clandestine que de prendre le risque d'avoir à accueillir un nombre croissant d'immigrés clandestins.

a déclaré que, parallèlement à l'accentuation de la lutte contre l'immigration clandestine, les conditions d'accueil des immigrés clandestins devaient être améliorées. Il a estimé que les efforts visant à améliorer les services sociaux et médicaux proposés (y compris aux clandestins), devaient être poursuivis et les conditions d'accueil des clandestins dans le centre de rétention administrative de Pamandzi améliorées.

a estimé, au vu du contexte économique régional de Mayotte, que la politique de co-développement ne pouvait constituer la solution au problème de l'immigration clandestine. Il a estimé que si une politique de co-développement devait être menée, elle devait viser à inciter davantage les Comores à participer à une politique conjointe de régulation des flux d'immigration.

a donc souhaité qu'une véritable politique de développement économique soit mise en place en faveur de l'ensemble de l'outre-mer français.

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