Intervention de Gérard Cornu

Commission des affaires économiques — Réunion du 13 décembre 2006 : 1ère réunion

Photo de Gérard CornuGérard Cornu, rapporteur :

a ensuite rappelé que la délégation de la commission, composée de MM. Gérard Bailly, Jean-Claude Merceron, Daniel Reiner et de lui-même, s'était rendue en Irlande du 5 au 8 juillet dernier pour une mission remplissant un double objectif :

- d'une part, pour comprendre les ressorts du « miracle économique » irlandais ;

- et d'autre part, pour étudier le modèle agricole de ce pays qui s'est singularisé par son soutien aux positions françaises dans les discussions européennes sur la politique agricole commune (PAC).

Il a organisé son rapport de mission autour de cinq questions.

La première de ces questions a été celle de savoir comment l'Irlande, un des pays les plus pauvres de l'Union européenne, avait pu aujourd'hui devenir l'un des plus riches, et quel avait été le rôle des aides européennes dans ce processus.

A ce propos, M. Gérard Cornu, rapporteur, a rappelé que l'Irlande avait connu une croissance moyenne de 8 % sur les 15 dernières années, ce qui avait permis au « Tigre celtique » de devenir aujourd'hui le 3e pays de l'Union européenne en termes de revenu par habitant, derrière le Luxembourg et le Danemark et le premier pays en termes d'emploi, avec un taux de chômage de 4,3 %. Par ailleurs, il a fait valoir que, contrairement à certaines idées reçues, les fonds structurels européens n'avaient pas été l'élément principal du sursaut irlandais, une telle évolution n'ayant d'ailleurs pas été observée au Portugal ou en Grèce, pays qui avaient pourtant bénéficié de plus de fonds communautaires par habitant que l'Irlande. Il a surtout mis en avant que les aides versées à l'Irlande avaient bénéficié d'un fort effet de levier en raison de leur inscription dans une dynamique plus large, initiée en 1987, visant à rendre le pays très attractif pour les investisseurs internationaux et comprenant trois aspects essentiels :

- d'une part, la flexibilité des lois sociales, s'agissant du contrat de travail, du temps de travail et du licenciement ;

- d'autre part, des charges sociales plus basses que la moyenne européenne ;

- et, enfin, la mise en place d'une fiscalité avantageuse (avec un taux d'imposition des sociétés de 12,5 %).

Il a ajouté qu'en complément de ces réformes intérieures, les autorités irlandaises, et en particulier les équipes de l'agence de promotion des investissements étrangers -rencontrées par la délégation- avaient procédé à un démarchage systématique des multinationales, dont l'implantation était fortement facilitée et aidée par l'administration. Il a indiqué que ceci avait permis à l'Irlande d'accueillir, au-delà des centres d'appels qui sont souvent cités en exemple, des usines dans le domaine informatique et pharmaceutique ou encore les sièges européens de firmes multinationales, tels que celui de « Google », où la délégation s'est rendue.

Il a ensuite précisé que les groupes américains représentaient 80 % de l'investissement direct étranger en Irlande, du fait de la proximité linguistique et culturelle, ainsi que du rôle très actif joué par la communauté des américains d'origine irlandaise.

S'agissant de l'implication des pouvoirs publics dans ce succès, il a insisté sur le fait que la stratégie de croissance suivie depuis 1987 avait pu s'appuyer sur un double consensus :

- tout d'abord un consensus politique entre les grands partis politiques : du Fianna Fail, conservateur et principale composante de la coalition actuellement au pouvoir, jusqu'au parti travailliste ;

- et ensuite un consensus social : dans le cadre d'une convention nationale signée entre les syndicats et le patronat pour cinq ans et permettant de donner une certaine visibilité à l'évolution des rémunérations.

Sur la base de ce constat, M. Gérard Cornu, rapporteur, en est venu à aborder la deuxième question de sa présentation, relative aux enseignements susceptibles d'être tirés de l'exemple irlandais.

A ce titre, il a tout d'abord noté que la mission avait permis de prendre la mesure des différences structurelles entre les deux pays, rendant difficilement transposables en France les recettes utilisées en Irlande. Il a ainsi rappelé qu'un petit pays en situation de rattrapage économique pouvait progresser beaucoup plus vite qu'un grand pays qui était déjà dans la moyenne européenne, et que la taille de l'Irlande lui avait permis de miser l'essentiel de sa stratégie sur une seule zone économique, celle de la région de Dublin, dont le développement a des répercussions directes dans un rayon de plus de 100 kilomètres, c'est-à-dire sur presque la moitié du pays. De même, il a fait valoir qu'un petit pays de 4 millions d'habitants pouvait augmenter fortement sa richesse en se spécialisant sur quelques créneaux : (les centres d'appel, les services financiers, l'informatique et l'industrie pharmaceutique), ainsi qu'en attirant les investissements internationaux. Mais il a noté que, ce faisant, l'Irlande avait choisi d'être essentiellement un « sous-traitant » de centres de décisions situés à l'étranger. Il a estimé que cette dernière option était difficilement envisageable pour un pays comme la France.

Il a ensuite souligné le fait qu'en tant que responsable politique, il estimait très utile de méditer l'exemple du consensus des forces politiques et sociales intervenu en Irlande à un moment où il était vital pour ce pays de s'accorder sur un socle de réformes courageuses face à une situation de faible croissance, de chômage de masse et d'endettement public élevé.

Il a tenu à préciser que ce sentiment était partagé par l'ensemble de la délégation.

Puis il a abordé la troisième question présentée dans le rapport et relative aux vingt mille jeunes Français partis vivre en Irlande, en rappelant que la délégation en avait rencontré un grand nombre, dans le cadre d'une agence spécialisée dans le recrutement et l'immigration de jeunes Français ou chez Google.

Il a estimé qu'au-delà des facilités d'emploi liées au faible taux de chômage et de la recherche d'une expérience anglophone dans leur curriculum vitae, les jeunes rencontrés étaient attirés par la souplesse de fonctionnement de la société irlandaise, où l'on est embauché dans la journée sans avoir à justifier d'expériences ou de stages, et où l'on peut rapidement voir son salaire progresser, celui-ci tenant plus compte des résultats obtenus que des diplômes. De même, il a rappelé que, dans ce pays, les jeunes trouvent un logement sans besoin d'une caution parentale. Plus globalement, il s'est déclaré frappé d'avoir constaté à quel point l'Irlande était un pays jeune -36 % de la population a moins de 25 ans, contre 29 % en France- qui croît dans la jeunesse et qui lui fait confiance. Il a ainsi noté que l'ensemble de ces différences conduisaient les jeunes Français rencontrés à s'accommoder d'une certaine flexibilité, et ce, quelques mois après les manifestations contre le CPE dans notre pays.

Il a toutefois ajouté que la plupart des jeunes rencontrés avaient confié leur souhait de revenir en France, en particulier pour ceux qui souhaitent y fonder une famille, un des aspects étant de bénéficier d'une meilleure protection sociale. Il a précisé que ces jeunes envisageraient d'autant plus volontiers un retour en France, dans la mesure où ils pourraient y trouver un environnement plus souple, plus ouvert aux initiatives et faisant davantage confiance à la jeunesse.

Il s'est ensuite posé une quatrième question, relative aux perspectives de la croissance irlandaise. Il a rapporté des entretiens politiques avec le président du Sénat ou le ministre délégué aux Infrastructures que les responsables irlandais étaient pleinement conscients d'entrer dans une phase incertaine où le modèle du « Tigre celtique » se devait de trouver un nouveau souffle. A ce titre, il a rappelé que la tendance de croissance était revenue de plus de 10 % sur la période 1993-2001 à environ 5 % depuis 2002 et que la compétitivité irlandaise s'est fortement détériorée, régressant, dans le classement du World Economic Forum, du 4e rang mondial en 2000 au 30e rang en 2003. Il a notamment attribué cette évolution au fait que le rattrapage économique s'était accompagné d'une forte progression des coûts, le taux d'inflation devant être d'environ 4 % en 2006, ce qui n'était pas d'ailleurs sans aggraver le problème endémique de la pauvreté de ceux dont les revenus ne progressaient pas à ce rythme. Il a ajouté que cet effet d'augmentation des coûts était grevé par l'existence de goulets d'étranglement physiques que constituent l'insuffisance des infrastructures de transports et d'énergie ainsi que celle du foncier, ce dernier problème aboutissant à faire de l'Irlande le deuxième pays le plus cher d'Europe pour le logement, derrière la Finlande, et de Dublin et de ses environs un secteur plus cher que le centre de Paris.

Il a fait valoir que, dans le cadre d'une politique qui demeure tournée vers les investisseurs internationaux, la seule façon pour l'Irlande de rester compétitive consistait à donner la priorité aux projets industriels à forte valeur ajoutée, soulignant que, pour ce faire, l'Irlande devait rattraper le retard pris en matière de recherche et de développement, auquel elle ne consacre qu'1 % de son PIB, alors que la moyenne européenne s'établit à 1,9 %.

Il a toutefois souligné que la stratégie de croissance de l'Irlande tournée vers les exportations était encore aujourd'hui très payante, puisqu'elle lui permettait d'afficher un excédent structurel et un taux de couverture de près de 200 % avec presque tous les pays développés, dont la France, et ce, malgré la présence locale de la quasi-totalité des entreprises du CAC 40.

a ensuite traité de la cinquième et dernière question concernant l'agriculture irlandaise. Il a rappelé que la délégation était arrivée à Dublin avec des a priori plutôt confiants, fondés sur l'image d'attachement à la ruralité véhiculée par ce pays ainsi que sur le souvenir du fait que l'Irlande avait été un allié de la France lors des réformes successives de la PAC et des négociations multilatérales au sein de l'Organisation mondiale du commerce (OMC). Il a toutefois fait valoir que cet optimisme avait été tempéré par les rencontres avec les responsables du ministère de l'agriculture irlandais et avec l'ancien président du principal syndicat agricole, ainsi que lors des échanges avec un éleveur lors d'une visite de l'exploitation.

A ce titre, il a rappelé que l'Irlande avait vécu ces trente dernières années un recul de l'agriculture dans l'économie nationale tel que celui connu en France pendant les « Trente glorieuses ». Il a en effet précisé que l'agriculture irlandaise, qui représentait environ 20 % du PIB, de l'emploi et des exportations en 1975, ne représentait plus aujourd'hui que 2,5 % du PIB et 5 % de l'emploi et des exportations.

Il a surtout fait part de son sentiment selon lequel cette chute n'était pas prête de s'interrompre, dans la mesure où l'agriculture semblait subir le contrecoup direct du miracle économique.

Il a précisé notamment que les prix et les revenus agricoles ne parvenaient pas à suivre une inflation dont le rythme à moyen terme dépassait les 5 % et surtout que, dans ce petit pays, plus de la moitié du territoire était directement affecté par l'explosion du prix du foncier lié au développement économique de Dublin et de Cork.

Il a fait part de la rencontre avec un éleveur de bovins vivant à 60 kilomètres de Dublin, qui indiquait très sincèrement qu'il serait plus rentable pour lui de vendre des terres plutôt que de continuer son exploitation.

a estimé très vraisemblable que ces évolutions se traduisent de plus en plus clairement dans les négociations agricoles internationales.

A ce titre, il a rappelé qu'au sein de l'Union européenne, l'Irlande, ayant opté pour le découplage total, ne cachait pas son intérêt pour une renationalisation de la PAC, souhaitant subventionner directement ses agriculteurs grâce à ses propres ressources budgétaires et ce, en dehors de toute stratégie agricole offensive de l'Europe au plan international.

Il a aussi fait état d'un entretien avec l'ambassadeur d'Irlande à Paris, au cours duquel il avait compris que si Dublin était aujourd'hui proche de nos positions à l'OMC, l'Irlande pourrait, en revanche, accepter une libéralisation de l'agriculture contre une avancée de la négociation dans les services, où se trouvent désormais les intérêts fondamentaux du pays.

En conclusion de cette présentation, il a précisé que celle-ci avait été approuvée par l'ensemble des membres de la délégation.

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