Intervention de Luc Chatel

Mission commune d'information sur l'organisation territoriale du système scolaire et sur l'évaluation des expérimentations locales en matière d'éducation — Réunion du 26 avril 2011 : 1ère réunion
Audition de M. Luc Chatel ministre de l'éducation nationale de la jeunesse et de la vie associative

Luc Chatel, ministre :

Merci de votre invitation. Notre système scolaire est à la croisée des chemins. Héritée d'une autre époque, l'organisation actuelle n'est plus adaptée aux attentes des élèves et des parents. En une génération, nous avons réussi la massification de l'enseignement : 100 % d'une classe d'âge est désormais scolarisée jusqu'à 16 ans, et 65 % parvient jusqu'au baccalauréat ; c'est trois fois plus qu'au début des années 1980. Mais au plan qualitatif, les résultats laissent à désirer, comme le montrent les comparaisons internationales et les évaluations que nous menons nous-mêmes. Le nombre de bacheliers n'augmente plus guère depuis quinze ans. C'est un problème d'efficacité et d'organisation.

Face à la massification de l'enseignement, il faut faire évaluer nos méthodes, depuis la maternelle jusqu'en terminale : c'est le sens de la réforme de l'enseignement primaire de 2008, qui a institué une aide personnalisée de 2 heures et recentré la pédagogie sur les programmes fondamentaux - il faut que chacun sache lire, écrire et compter à l'entrée en sixième. C'est aussi le sens de la création d'un accompagnement éducatif au collège, d'un accompagnement personnalisé au lycée et de stages de remise à niveau. La Cour des comptes nous invitait d'ailleurs il y a un peu plus d'un an à différencier les moyens mis en oeuvre selon les publics concernés. Je reste très attaché au caractère national des programmes, des diplômes et du recrutement des enseignants, mais il faut donner plus d'autonomie aux acteurs locaux, car les réalités sont diverses, et chaque élève doit pouvoir bénéficier d'un projet éducatif adapté.

Au niveau des académies, j'ai voulu faire confiance aux recteurs et à leurs équipes. Dans le cadre de la préparation de la loi de finances pour 2011, et conformément aux préconisations de la Cour des comptes, j'ai lancé un « dialogue de gestion » avec les académies : chacune s'est vu fixer un programme d'objectifs et de moyens adapté à sa démographie actuelle - certaines académies sont traditionnellement mieux dotées en professeurs et en moyens - et aux évolutions démographiques prévisibles, mais aussi à la situation territoriale - ville, campagne, Outre-mer... - et sociale - taux de familles en difficulté, taux de chômage... Il fallait également tenir compte de la gestion prévisionnelle des emplois, c'est-à-dire de la nécessité de former des jeunes à des métiers disponibles sur le territoire où ils vivent. Nous avons recensé les bonnes pratiques, et déterminé les priorités de chaque académie : nombre d'élèves en difficulté à accueillir, lutte contre l'illettrisme, orientation, performances scolaires et taux d'accès à tel ou tel diplôme, etc.

Je suis également convaincu de la nécessité de donner plus d'autonomie aux établissements et, dans le cadre de la réforme du lycée, j'ai voulu que les chefs d'établissement puissent disposer comme ils l'entendent d'un quart de leur dotation horaire. Un conseil pédagogique réunissant le proviseur et des professeurs fixe les priorités et décide s'il faut dédoubler des classes, créer des enseignements d'exploration, etc.

J'ai aussi lancé des expérimentations, afin de moderniser notre système tout en évaluant les innovations introduites, qu'il s'agisse des rythmes scolaires - cours le matin, sport l'après-midi... - ou du programme « collèges et lycées pour l'ambition, l'innovation et la réussite » (CLAIR), qui consiste à donner plus d'autonomie aux chefs d'établissement pour recruter leur personnel.

Peut-on aller plus loin ? Je crois utile de réactiver les bassins d'éducation et de formation, afin d'adapter nos moyens à la diversité des bassins de vie. Dans la lutte contre le décrochage scolaire, par exemple, des expériences ont été menées, qu'il faudrait généraliser car les résultats sont probants : on est allé à la recherche d'élèves disparus du système éducatif et on leur a fait des propositions concrètes.

Il faut aussi approfondir le dialogue avec les collectivités territoriales, au moment de l'élaboration des schémas de formation, afin que les jeunes soient qualifiés pour occuper des emplois près de chez eux. On observe trop souvent un décalage entre l'offre et la demande.

Les liens doivent être resserrés avec le monde socioéconomique, et notamment avec les entreprises. Je pense aux plates-formes technologiques qui associent l'éducation nationale, les entreprises, le monde de la recherche-développement et les collectivités.

Les établissements doivent être mis en réseau, comme c'est déjà le cas pour l'éducation prioritaire avec les réseaux ambition réussite (RAR). Le réseau est horizontal lorsque, dans un même lieu, on associe les établissements scolaires qui, à eux tous, proposent une offre de formation complète, avec des enseignements d'exploration en seconde, des options, etc. Pour ce qui est des lycées professionnels, les contrats de plan régionaux de développement des formations professionnelles ont leur importance. Mais le réseau peut aussi être vertical : je pense aux réseaux d'acteurs pour la réussite éducative (RARE), qui associent lycées, collèges et écoles, mais aussi à « l'école du socle » : la loi de 2005 a défini un socle de connaissances et de compétences comprenant sept piliers.

Pour rendre les acteurs plus autonomes, on pourrait aussi imaginer des contrats d'objectifs et de moyens entre académies et établissements, reposant sur trois principes : subsidiarité, transparence, plasticité. Chaque établissement se verrait assigner des priorités - lutte contre l'illettrisme, apprentissage des fondamentaux, insertion professionnelle... - et des moyens correspondants, selon des critères objectifs et transparents.

Il faut aussi améliorer la gouvernance déconcentrée de l'éducation nationale, en consolidant les directions académiques : le recteur doit être assisté d'un secrétaire général et d'un secrétaire général adjoint, et les inspecteurs d'académie doivent leur servir d'adjoints dans tous les domaines. Pour la rentrée prochaine, j'ai voulu préciser le rôle des inspecteurs d'académie et des directeurs départementaux de l'éducation nationale dans le pilotage des établissements de second degré. Ils doivent se voir déléguer les compétences des recteurs en la matière. Il faut aussi mieux associer les corps d'inspection territoriaux à l'évaluation des performances, en liaison avec les inspecteurs d'académie, directeurs des services départementaux de l'éducation nationale (IA DSDEN).

Il est donc possible d'améliorer l'organisation de notre système éducatif pour tenir compte de la massification, en donnant plus de marges de manoeuvre aux établissements et au personnel.

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