Intervention de André Dulait

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 30 mars 2010 : 1ère réunion
Lutte contre la piraterie — Examen du rapport et du texte proposé par la commission

Photo de André DulaitAndré Dulait, rapporteur :

a indiqué que le projet de loi visait à renforcer le cadre juridique en matière de lutte contre les actes de piraterie, dans un contexte de forte résurgence de la piraterie, en particulier dans le Golfe d'Aden et au large des côtes somaliennes, qui a conduit la France avec d'autres pays européens à lancer la première opération navale de l'Union européenne, dénommée « Atalanta », de lutte contre la piraterie maritime dans cette région.

Le projet de loi comporte trois principaux volets.

Il vise d'abord à introduire en droit français un cadre juridique pour la répression de la piraterie maritime, inspiré des stipulations de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer, dite convention de Montego Bay.

En effet, bien que la France ait signé et ratifié la convention de Montego Bay, celle-ci n'a pas été transposée en droit interne.

Par ailleurs, la loi du 10 avril 1825 pour la sûreté de la navigation et du commerce maritime, qui contenait des dispositions relatives à la piraterie, a été abrogée par la loi du 20 décembre 2007 sur la simplification du droit.

Le projet de loi ne crée pas une nouvelle incrimination de piraterie mais il détermine les infractions susceptibles d'être commises par les pirates en se référant à des incriminations déjà existantes du code pénal susceptibles de répondre aux actes de piraterie, tels que définis par la Convention de Montego Bay.

Il est proposé de se limiter aux infractions les plus graves :

- le détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport, lorsqu'il implique au moins deux navires ;

- l'enlèvement et la séquestration lorsqu'elles précèdent, accompagnent ou suivent un détournement de navire ;

- la participation à une association de malfaiteurs destinée à préparer les actes précités.

Cette dernière infraction permettra de poursuivre et de juger non seulement les pirates proprement dits, mais aussi les commanditaires et leurs complices.

La peine maximale encourue pour ces infractions sera comprise entre 20 ans et la réclusion criminelle à perpétuité selon les circonstances aggravantes (prise d'otages, séquestration suivie de mort, minorité de la victime, etc.).

Concernant le champ géographique, le projet de loi prévoit que ces dispositions s'appliquent aux actes de piraterie commis en haute mer, dans les espaces maritimes ne relevant de la juridiction d'aucun Etat ou, lorsque le droit international l'autorise, dans les eaux territoriales d'un Etat.

Les deux premiers critères sont repris de la Convention de Montego Bay. Les termes « espaces maritimes ne relevant de la juridiction d'aucun Etat » renvoient à la zone économique exclusive.

Le troisième critère vise à prendre en compte la situation particulière de certains États « fragiles » qui ne sont plus en mesure d'assurer le contrôle de leurs eaux territoriales. Ainsi, dans le cas de la Somalie, la résolution 1816 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée le 2 juin 2008, a autorisé les Etats qui coopèrent avec le Gouvernement fédéral de transition à « entrer dans les eaux territoriales de la Somalie afin de réprimer les actes de piraterie et les vols à main armée en mer ».

Le projet de loi prévoit ensuite de reconnaître une compétence « quasi universelle » aux juridictions françaises pour poursuivre et juger des actes de piraterie commis en haute mer.

L'article 105 de la Convention de Montego Bay stipule que « tout Etat peut, en haute mer ou en tout autre lieu ne relevant de la juridiction d'aucun Etat, saisir un navire pirate ou un navire aux mains de pirates, appréhender les personnes et saisir les biens se trouvant à bord. Les tribunaux de l'Etat qui a opéré la saisie peuvent se prononcer sur les peines à infliger, ainsi que sur les mesures à prendre en ce qui concerne le navire ou les biens ».

La piraterie constitue ainsi l'une des rares infractions internationales, avec la traite des esclaves, à déroger à la loi du pavillon, d'après laquelle, en haute mer, l'ordre public obéit au droit de nationalité du navire, et à se voir appliquer une « compétence universelle ».

La compétence universelle désigne « la compétence reconnue à un État pour juger les infractions commises par des particuliers en dehors de son territoire, alors que ni l'auteur ni la victime ne sont ses ressortissants ».

Il s'agit là d'une dérogation aux règles habituelles de compétence des juridictions françaises, qui reposent sur trois critères : l'infraction a été commise sur le territoire de la République, l'auteur ou la victime ont la nationalité française.

En droit français, la compétence universelle est régie par les articles 689 et suivants du code de procédure pénale. Le champ d'application de cette compétence recouvre les actes de torture et de terrorisme, la protection et le contrôle des matières nucléaires, les actes contre la sécurité de la navigation maritime, les actes contre la sécurité de l'aviation civile, les actes de violence illicite dans les aéroports et la protection des intérêts financiers de la Communauté européenne. Cette compétence a également été étendue pour juger les violations graves du droit international humanitaire commises en ex-Yougoslavie et au Rwanda. Toutefois, en droit français, la compétence pour juger des infractions commises hors du territoire est qualifiée de « quasi universelle » car son application est soumise à deux conditions :

- elle ne peut procéder que d'une convention internationale ;

- l'auteur présumé doit « se trouver en France ».

Le projet de loi vise à introduire en droit français la possibilité de prévoir la compétence des juridictions françaises pour juger d'actes de piraterie commis hors du territoire national, y compris lorsque ces actes seraient commis par des navires et des ressortissants étrangers à l'encontre de navires battant un pavillon étranger et dont les victimes seraient d'une autre nationalité. Toutefois, d'après le projet de loi, deux conditions doivent être réunies pour permettre la compétence des juridictions françaises :

- les auteurs doivent avoir été appréhendés par des agents français ;

- les juridictions françaises ne sont compétentes qu'à défaut d'entente avec les autorités d'un autre Etat pour l'exercice par celui-ci de sa compétence juridictionnelle.

La deuxième condition vise à prendre en compte le cas des accords conclus dans le cadre de l'opération « Atalanta » de l'Union européenne, avec certains pays tiers comme le Kenya ou les Seychelles, qui ont accepté le transfert sur leur territoire des personnes suspectées d'avoir commis des actes de piraterie afin qu'elles soient jugées par leurs juridictions. Elle pourrait également trouver à s'appliquer si un autre Etat s'estime mieux placé pour juger d'une affaire, notamment si le navire attaqué ou ses victimes sont de sa nationalité. En outre, cette compétence reste, en tout état de cause, une simple faculté pour les autorités françaises.

Enfin, le projet de loi vise à mettre en place un régime sui generis pour la consignation à bord des personnes appréhendées dans le cadre des actions de l'Etat en mer.

Il s'agit ainsi de répondre aux griefs formulés à l'encontre de la France par la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt dit Medvedyev du 10 juillet 2008, confirmé par un arrêt rendu en grande chambre le 29 mars 2010, dans lequel la Cour de Strasbourg a constaté une violation par la France de la Convention européenne des droits de l'homme, à l'occasion d'une opération d'interception d'un navire suspecté de se livrer au trafic de produits stupéfiants. En l'espèce, il a été reproché à la France de ne pas disposer, à cette époque, d'un cadre légal suffisant organisant les conditions de privation de liberté à bord d'un navire. Si ce contentieux est survenu à l'occasion d'une opération de lutte contre le trafic de stupéfiants, il concerne l'ensemble des opérations de police en mer, que ce soit la lutte contre la piraterie, l'immigration illégale ou la pêche illicite. Dans son arrêt du 29 mars 2010, la Cour européenne des droits de l'homme, réunie en grande chambre, n'a toutefois pas repris l'argument selon lequel le procureur de la République ne constituait pas une autorité judiciaire indépendante, au sens de la convention, qui figurait dans l'arrêt du 10 juillet 2008.

La procédure proposée par le projet de loi serait la suivante :

- dès que le commandant du navire met en oeuvre des mesures de restriction ou de privation de liberté à l'égard de personnes impliquées dans une activité illicite et menaçant la sécurité ou la sûreté du navire ou de son équipage et de ses passagers, le préfet maritime doit en informer sans délai le procureur de la République ;

- le procureur de la République doit, dans les quarante-huit heures qui suivent la mise en oeuvre des mesures de restriction ou de privation de liberté, saisir le juge des libertés et de la détention, qui est un magistrat du siège ;

- le juge des libertés et de la détention statue sur la poursuite de ces mesures pour une durée maximale de cinq jours ;

- ces mesures sont renouvelables dans les mêmes conditions de fond et de forme le temps nécessaire pour que les personnes soient remises à l'autorité compétente.

Pour se prononcer sur la poursuite ou non des mesures de restriction ou de privation de liberté, le juge des libertés et de la détention dispose d'une large source d'information :

- il peut solliciter du procureur de la République tous éléments de nature à apprécier la situation matérielle et l'état de santé de la personne concernée ;

- il peut ordonner un nouvel examen de santé ;

- il peut entrer à tout moment en contact avec la personne qui fait l'objet de mesures de restriction ou de privation de liberté, « sauf impossibilité technique ».

Enfin, la personne faisant l'objet de mesures de restriction ou de privation de liberté bénéficie de certains droits :

- dans un délai de vingt-quatre heures, le commandant doit faire procéder à un examen de santé par une personne qualifiée ;

- dans un délai de dix jours à compter du premier examen de santé, il fait procéder à un examen médical.

a précisé que la différence entre l'examen de santé et l'examen médical tient au fait que l'examen de santé n'est pas forcément réalisé par un médecin mais peut être effectué par un infirmier, par exemple. Un compte rendu de ces examens se prononçant notamment sur l'aptitude au maintien de la mesure de restriction ou de privation de liberté est transmis au procureur de la République. Enfin, la personne est informée « dans une langue qu'elle comprend » de la décision du juge des libertés et de la détention.

a fait valoir que, si ce régime s'inspire sur certains aspects de celui prévu pour la garde à vue, il est fondamentalement différent dans la mesure où il s'agit d'une phase qui précède l'enquête judiciaire. Dès lors, les modalités du régime de la garde à vue ne sont par transposables à la rétention des personnes interpellées dans le cadre de la lutte contre la piraterie maritime. On imagine aisément, en effet, les difficultés pratiques qu'il y aurait à prévoir par exemple l'intervention d'un avocat, alors que la personne concernée se trouve à bord d'un bâtiment de la marine nationale souvent très éloigné des côtes françaises.

Pour autant, la possibilité de prendre des mesures restrictives ou privatives de liberté doit être expressément prévue et encadrée et contrôlée par l'autorité judiciaire. À cet égard, l'intervention d'un juge du siège, réputé plus « indépendant » qu'un magistrat du Parquet, tel que le juge des libertés et de la détention, répond directement aux observations de la Cour européenne des droits de l'homme concernant l'absence d'indépendance du parquet vis-à-vis de l'exécutif, a estimé M. André Dulait, rapporteur.

Les délais prévus visent à tenir compte des contraintes particulières de la lutte contre la piraterie maritime, qui peut intervenir très loin des côtes françaises, et du temps nécessaire au bâtiment de l'État pour rejoindre le territoire français, qui peut prendre plusieurs jours, voire plusieurs semaines.

A cet égard, il convient de relever que, dans son arrêt Medvedyev, la Cour européenne des droits de l'homme n'a pas retenu à l'encontre le grief concernant la violation sur le délai raisonnable, en estimant que la privation de liberté subie par les requérants, retenus pendant treize jours en mer, se trouvait justifiée par des « circonstances tout à fait exceptionnelles », notamment « l'inévitable délai d'acheminement » du navire vers la France.

En conclusion, M. André Dulait, rapporteur, a estimé que le régime proposé par le projet de loi en matière de rétention à bord préserve l'équilibre entre les fortes contraintes opérationnelles de l'action de l'Etat en mer et l'indispensable respect des garanties et des libertés individuelles. Il semble donc de nature à répondre aux engagements internationaux de la France, en particulier dans le cadre de la Convention européenne des droits de l'homme.

Il a indiqué que, sans modifier l'équilibre général du projet de loi, il proposerait plusieurs amendements visant à préciser ou à compléter le dispositif proposé.

Enfin, il a souhaité connaître la position du ministre sur le recours éventuel à des sociétés militaires privées pour assurer la protection des navires et leur équipage. Il a indiqué que, malgré le risque d'une escalade de la violence, certains armateurs envisagent le recours à ces sociétés militaires privées afin d'assurer la protection de leur navire.

Il a également mentionné la législation de certains Etats, comme celle des Etats-Unis, qui autorise le recours à ces sociétés privées et a souhaité savoir si une réflexion était actuellement menée en France à ce sujet.

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