Je suis directeur de l'énergie depuis quatre ans : c'est un sujet très délicat. Avant toute chose, je tiens à dire que je suis conscient des difficultés rencontrées par les PME qui ont commencé à se développer et se trouvent à présent freinées dans leur croissance. Mais il faut tenir compte d'enjeux macroéconomiques : c'est le consommateur qui, in fine, paie le soutien aux énergies renouvelables. Le Premier ministre a rendu ses arbitrages.
Le photovoltaïque occupe une place à part parmi les énergies renouvelables. C'est une énergie chère, et si nous l'avons soutenue, c'est d'abord en raison d'enjeux industriels, de développement et d'innovation : car on s'accorde à dire qu'elle a un grand avenir au niveau mondial, dans les pays où l'énergie est chère, le réseau peu développé et où il y a beaucoup de soleil, c'est-à-dire pas d'abord en France ! Tout en nous appuyant sur un marché intérieur, notre objectif doit donc être de nous projeter sur le marché mondial.
L'aide publique a trois objectifs. En matière de production énergétique, l'objectif est largement dépassé. Dans le domaine de la recherche, nous avons créé beaucoup d'outils et sommes en train de mettre au point des appels à projets. Mais dans le domaine industriel, les résultats sont décevants, en raison du recours massif aux importations et du développement très partiel de la chaîne de valeur.
Le photovoltaïque est, de loin, l'énergie renouvelable la plus chère. L'électricité de marché coûte 50 euros par MWh, l'éolien 70 euros, la biomasse 130 à 170 euros, tandis que le photovoltaïque coûtait entre 280 et 580 euros par MWh avant la baisse tarifaire. Certes, les gains de productivité sont rapides. Mais c'est le consommateur qui paie, alors qu'il est très sollicité : d'importants investissements sont nécessaires en matière de transport et de distribution ; les autres énergies renouvelables produisent aussi des surcoûts ; à cela s'ajoutent le coût de la péréquation avec l'outre-mer et, surtout, celui de la maintenance de l'outil nucléaire.
Le photovoltaïque n'est pas l'alpha et l'oméga des énergies renouvelables : n'oublions pas l'hydroélectrique, dont la part reste à peu près stable ; l'éolien terrestre, qu'il nous faudra développer en priorité ; l'éolien off shore, pour lequel le Gouvernement a pris des décisions structurantes ; et la biomasse, qui représentent ensemble l'essentiel de l'augmentation de la production d'électricité renouvelable en France. S'y ajoutent la chaleur renouvelable et les biocarburants.
L'effet de levier du tarif d'achat est très faible : si on observe la chaîne de valeur, on constate que l'essentiel des emplois créés en France se concentrent sur les 20 à 30 % en aval. Autrement dit, pour 100 euros dépensés, 30 sont consommés en France, et 70 ont de grandes chances de nourrir les importations. Celles-ci ont explosé en 2010 - 1,5 milliard d'euros et un triplement en volume depuis 2008 - pour des raisons structurelles, puisque d'immenses usines de productions de panneaux se sont implantées en Asie du Sud-Est.
On a beaucoup reproché au Gouvernement sa politique de stop and go. Il est vrai que, depuis dix-huit mois, il a fallu prendre des mesures allant jusqu'au moratoire, puis aux récents arrêtés. Mais nous avons toujours poursuivi le même objectif : maîtriser le soutien public au secteur et assurer le développement soutenable de ce dernier, en luttant contre l'explosion des coûts, en tablant sur un marché intérieur raisonnable et en supprimant les niches d'extrême rentabilité, le tout en parfaite cohérence avec les objectifs du Grenelle. En décembre 2009, le tarif a été restructuré pour supprimer des niches liées au détournement de l'intégré au bâti. Puis en août 2010, il a été globalement baissé pour le rapprocher des coûts, dans un contexte où les gains de productivité s'élevaient à 10 ou 15 % par an. Chaque fois, nous avons eu affaire à une bulle : 4000 MW en janvier 2010, puis entre 1000 et 1500 MW en août. Il est de notre responsabilité d'éviter la formation d'une nouvelle bulle.
Le photovoltaïque a pour particularités que les coûts y évoluent extrêmement vite et qu'un marketing de masse se déploie, puisqu'il s'agit d'une production très éparpillée et difficile à piloter. Un champ d'éoliennes ou une centrale à la biomasse, au contraire, se caractérisent par une certaine inertie de fonctionnement.
Tous les pays ont été confrontés aux mêmes problèmes de régulation. L'Espagne a plafonné les projets en volume, en instituant un quota de 500 MW par an pour toutes les catégories, rationné les octrois d'autorisations et revu les conditions de rémunération des contrats existants. En République tchèque, on a créé une taxe de 26 % sur le chiffre d'affaires pour récupérer la surrémunération estimée, et mis en place un système très corseté. Le Royaume-Uni refond aussi son dispositif de soutien en raison du nombre trop élevé de dossiers.
L'Allemagne est souvent citée en exemple pour la continuité et la lisibilité de sa politique. Cela n'a pas empêché des évolutions non anticipées : le Gouvernement allemand accélère en ce moment la baisse du tarif, qui pourrait atteindre 15 % au 1er juillet. En outre, le système allemand est très coûteux, et correspond à un choix politique : l'équivalent allemand de la Contribution au service public de l'électricité (CSPE) représente 35 euros par kWh, pour les seules énergies renouvelables ! En France, elle est passée de 3,5 à 7,5 euros, et couvre aussi la péréquation, la cogénération et les tarifs sociaux. Les Allemands dépensent environ 10 milliards d'euros pour les énergies renouvelables, les Français 1,5 milliard.
Les décisions prises par le Premier ministre visent à maintenir un flux important mais maîtrisé. Les dossiers en attente n'ont, pour la moitié d'entre eux, pas été suspendus : ils représentent 3000 MW et, même en prenant en compte le taux de non réalisation, deux ans de travail pour les installateurs. Les particuliers n'ont pas été touchés par la suspension. Une cible de 500 MW par an a été fixée, et répartie en deux parts égales : les petites toitures sans contingentement de volume - tous les dossiers déposés sont acceptés dans le cadre d'un tarif auto-ajustable -, et un secteur constitué par les grandes toitures et les centrales au sol, qu'il est important d'encadrer par des appels d'offres, car il s'agit de très gros projets, dont l'effet de levier industriel doit être amélioré et les effets sur l'environnement surveillés - usage des sols, produits employés sur les toitures, etc. En outre, nous continuons à soutenir la recherche-développement, car soutenir l'aval sans l'amont ne sert qu'à nourrir les importations. A ce propos, j'ai eu connaissance d'un télégramme diplomatique de Séoul, où il apparaît que les Sud-Coréens, tout en fixant une trajectoire nationale de 170 MW, exportent pour 3 milliards de panneaux et de composants...
Plus précisément, nous avons défini trois segments : l'installation sur bâtiment de puissance inférieure à 100 kW - ce qui représente tout de même 1000 m2 - située sur des habitations ou des bâtiments d'enseignement et de santé, l'installation sur bâtiment de puissance supérieure à 100 kW et l'installation au sol, ces deux derniers segments étant soumis à appels d'offres. Pour les centrales au sol et les très grandes toitures, nous lancerons des appels d'offres classiques et multicritères : il s'agira d'identifier les technologies nécessitant des démonstrateurs et des pré-séries, d'autres lots étant consacrés aux grandes séries pour encourager le développement d'unités industrielles en France. La pluralité de critères vise aussi à prendre en compte les enjeux environnementaux, en évitant par exemple que les centrales soient installées sur des terres agricoles et en ciblant les terrains prioritaires - sols pollués, etc. M. Merceron a justement soulevé la question de l'articulation de ces appels d'offres avec les partenariats public-privé lancés par certaines collectivités territoriales. Pour les autres projets, nous travaillons avec la Commission de régulation de l'énergie à la mise au point d'appels d'offres plus automatisés et plus rapides, qui consisteraient en adjudications par lots sur la base du seul critère de prix et d'exigences environnementales, d'intégration au bâti et d'avancement des projets.
Le Gouvernement a été clair : il n'y aura aucun repêchage supplémentaire parmi les dossiers suspendus, d'abord parce que la moitié ne l'ont pas été, ensuite pour ne pas compromettre la sécurité juridique du décret, enfin parce qu'il ne servirait à rien de repêcher quelques dossiers, et qu'il serait trop coûteux d'en repêcher beaucoup : 1 000 MW représentent une augmentation de 1,2 % de la facture du consommateur.
Beaucoup reste à faire pour structurer la filière française, assurer un retour industriel national et mieux prendre en compte les enjeux environnementaux. Nous voulons analyser le cycle de vie du carbone qui entre dans la composition des panneaux. Les appels d'offres devront comprendre des critères aptes à favoriser le développement d'une filière industrielle, comme on a su le faire pour l'éolien off shore. Il faut aussi renforcer progressivement les exigences d'intégration au bâti, en favorisant des produits à plus grande valeur ajoutée, ce qui est bon pour l'industrie française. Nous réfléchissons à une certification et à une labellisation, et pour soutenir nos exportations nous pourrions mettre en place des fonds de garantie. Les problèmes de sécurité doivent être réglés si l'on veut que le développement du secteur soit soutenable : je songe à la sécurité incendie, dont parlait ici même M. Besson. Enfin, nous voulons rendre obligatoire dès 2012 le recyclage des panneaux installés.