Comme Mandela l'avait compris, le Stade Olympique est le lieu le plus médiatisé au monde. Or la Charte Olympique, qui est la loi unique qui régit le Mouvement olympique, sous la responsabilité du Comité International Olympique (CIO), affirme des principes d'universalité et son principe n° 5 rejette toute forme de discrimination, y compris fondée sur le sexe ou la race. C'est explicitement énoncé, et c'est d'ailleurs sur la base de ce principe n° 5 que l'Afrique du Sud avait été exclue des JO. Pourquoi donc ce principe s'appliquerait-il aux noirs et pas aux femmes ? A Barcelone, l'Iran avait exigé, et obtenu, des organisateurs espagnols que ce ne soit pas une jeune espagnole qui précède la délégation avec la bannière indiquant le nom du pays auquel appartenaient les athlètes, comme pour toutes les autres délégations, mais que ce soit un garçon. Voilà l'une des raisons qui nous ont fait décider qu'à Atlanta, nous allions nous en prendre à l'Iran.
Le bras droit du président Samaranch, Fékrou Kidanen, dans une tribune du journal du CIO, s'indigna qu'on « ose comparer l'odieux apartheid avec la situation des femmes dans le sport ». C'était « insulter Mandela, le peuple sud-africain et les noirs en général ! ». Les Comités olympiques, les nationaux et l'international étaient en rage. On nous a accusés d'attaquer une religion ! Entre temps, notre réseau international s'était étendu et nous manifestons à Atlanta, occupons l'hôtel où réside Samaranch dont le staff finit par nous accorder une entrevue. Nous demandons que le CIO subventionne spécifiquement à travers les fonds de la solidarité olympique, des programmes de développement du sport pour les femmes. Et nous demandons que le CIO exclue les délégations qui excluent les femmes. Celui-ci ne veut pas exclure mais souhaite inciter. Nous pensions avoir gagné parce que, à la dernière minute, l'Iran accepte d'envoyer une sportive. Mais celle-ci est voilée. En réalité nous commençons à perdre la partie mais, à ce moment là, nous n'en avons pas conscience. Autre scandale, l'Iran organise des jeux séparés pour les femmes musulmanes tous les quatre ans. Nous l'apprenons en consultant un magnifique livre diffusé par les Ambassades d'Iran, sur les photos duquel vous pouvez constater combien ces femmes, voilées de la tête au pied, sont heureuses au moment de recevoir leurs médailles.... Les médias et les hommes ne sont pas autorisés à être présents pendant les compétitions. Ce sont les Jeux de la ségrégation. Or le CIO leur apporte sa caution en envoyant des observatrices elles-mêmes voilées !
Au moment des jeux de Sidney en 2000, les talibans sont en Afghanistan et le CIO, anticipant sur la défaite de l'Alliance du Nord, suspend le CNO afghan et, dans un premier temps, accepte d'inviter des observateurs talibans. Devant le scandale, et nous sommes en pointe dans la dénonciation de cette situation, le CIO accepte de revenir sur cette invitation. Évidemment, nous manifestons à Sydney cette fois-ci avec une délégation de jeunes sportifs mixte afghane et, pour la première fois nous obtenons de négocier avec le CIO, pendant cinq heures ! Dans un procès-verbal signé par le CIO, nous-mêmes et les jeunes, le CIO reconnait la qualité de notre combat, s'engage à reconstituer les sports en Afghanistan avec des hommes et des femmes, lorsque la situation le permettra. Ils tiennent parole puisqu'à Athènes ce pays envoie une délégation de deux hommes et de deux femmes - la soeur de l'une d'entre elles, journaliste en vue, sera assassinée.
Le voile s'invite aux Jeux olympiques. On le réalise à Athènes, lors de la cérémonie de clôture : sous le drapeau olympique, tout près du président du CIO on voit une ancienne championne égyptienne de natation, entièrement voilée. Elle vient d'être élue à la Commission des athlètes du CIO et elle est présentée par le CIO comme un modèle pour la jeunesse sportive ! A ce moment là on se dit qu'on a perdu la partie ! Ce qui va nous sauver, c'est la décision des athlètes français de porter un badge à Pékin.