Prenant la mesure de la crise de confiance ouverte par les révélations sur le Mediator, commercialisé en France pendant trente-trois ans et consommé par cinq millions de nos compatriotes sans que notre système de sécurité sanitaire ait pu éviter cette situation, le Sénat a constitué une mission commune d'information sur l'évaluation et le contrôle des médicaments, dont la réunion constitutive s'est tenue le 25 janvier 2011. Je vous présente aujourd'hui les conclusions de cinq mois de travail, ponctués par de nombreuses auditions ainsi que par plusieurs déplacements. Monsieur le président, votre connaissance approfondie du dossier nous a fourni une aide précieuse.
Il est douloureux pour notre pays de constater semblable défaillance de la chaîne du médicament, débouchant sur une crise de défiance inédite, cinq ans après le rapport « Médicament : restaurer la confiance », que j'avais eu l'honneur de rédiger avec Mme Anne-Marie Payet, sous la présidence de M. Gilbert Barbier. Tous reconnaissent aujourd'hui la lucidité du diagnostic et la pertinence des recommandations que nous avions faites en 2006, restées, hélas !, lettre morte. Nous avions déjà insisté sur les nombreuses études révélant depuis quinze ans les incohérences du système en vigueur. L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst), en particulier, avait aussi présenté beaucoup de critiques concernant ce dispositif. Je me suis donc inscrite dans la lignée des précédentes réflexions, tout en leur donnant plus d'ampleur.
Avant de présenter mes propositions, je souhaite formuler trois remarques liminaires. La première porte sur le contexte : nous pouvons avoir aujourd'hui l'espoir d'être mieux entendus qu'hier, puisque le ministre a annoncé jeudi qu'un projet de loi tendant à bâtir un nouveau système du médicament serait déposé avant la fin de la session parlementaire, pour être débattu cet automne. A ce propos, j'ai adressé au ministre des observations identiques à celles que M. le président François Autain vient d'énoncer, en soulignant le travail que nous avons réalisé depuis 2006.
Ma deuxième remarque porte sur le calendrier : la mission commune devant se former une opinion exacte et sans parti pris sur le cas du Mediator, nous avons travaillé en toute liberté et indépendamment des travaux réalisés à la demande du ministre.
Surtout, le Mediator a constitué le fil rouge de notre réflexion. En effet, cet exemple exceptionnellement documenté nous a permis d'analyser en détail le circuit du médicament dans tous ses aspects, allant jusqu'à la dimension européenne. La représentation nationale doit contrôler le fonctionnement des instances publiques chargé de la sécurité sanitaire, qui est une compétence régalienne. Malgré sa relative indépendance, l'Afssaps relève aussi de notre contrôle. Je l'ai dit lorsque nous avons visité cette agence aujourd'hui en crise. Nous nous sommes attachés à cette mission, sans nous substituer à la justice, avec la simple volonté de comprendre. Le président de la commission des affaires sociales du Sénat italien nous a dit que le Parlement se saisissait chaque année d'une question sanitaire pour contrôler l'action du Gouvernement. Le cas du Mediator a révélé que nos procédures d'évaluation et de contrôle du médicament présentaient cinq graves dysfonctionnements systémiques.
Le premier concerne le classement pharmacologique et les indications thérapeutiques. A aucun moment, l'Afssaps n'a pu ou su se doter d'une expertise indépendante des laboratoires, les changements d'indications thérapeutiques révélant l'absence d'analyse autonome et les hésitations constantes des experts.
Bien que l'indication d'adjuvant antidiabétique n'ait pas été validée en 1987, elle a été maintenue en pratique, suite notamment à une réunion de la commission d'Autorisation de mise sur le marché (AMM) le 16 novembre 2000, qui s'était bornée à approuver le compte rendu d'un groupe de travail dont seul un expert pouvait comprendre qu'il avait traité du Mediator. L'utilisation du benfluorex a été prohibée en France dans les préparations magistrales dès 1995, bien avant que le médicament ne soit interdit alors que l'Italie a fait l'inverse, en retirant le Mediator du marché dès 2003-2004, avant d'exclure le benfluorex des préparations magistrales. Puis c'est l'indication contre les hypertriglycéridémies qui a disparu en France en 2007. Comment s'étonner que le Mediator ait été prescrit à tort comme « coupe-faim », alors que la commission d'AMM semblait n'avoir eu qu'une idée floue sur ses indications thérapeutiques ?
Le deuxième dysfonctionnement concerne l'appréciation de l'efficacité des nouvelles molécules mises sur le marché. Aujourd'hui, la commission d'AMM commence par analyser le rapport bénéfices-risques, avant que la commission de transparence n'apprécie le service médical rendu et son amélioration par comparaison avec d'autres médicaments ou alternatives thérapeutiques. Rien ne permet actuellement de privilégier les innovations améliorant le traitement face au simple changement de présentation. Incontestablement, l'excès de spécialités augmente les risques. D'où notre suggestion d'une formation et d'une information favorisant le bon usage du médicament.
Le troisième dysfonctionnement tient à l'absence de lien entre le remboursement d'un produit et le progrès thérapeutiques apporté. Comme la majorité des médicaments sur le marché français, le Mediator a toujours été remboursé au taux maximum, alors même que son service médical rendu était jugé insuffisant et que le rapport bénéfices-risques était défavorable. Pourquoi les procédures de déremboursement n'ont-elles pas abouti dans le cas du Mediator ? Cette question reste sans réponse, mais elle me conduira à vous présenter quelques propositions pour que le remboursement favorise le progrès thérapeutique.
J'en viens au quatrième dysfonctionnement : l'identification tardive des effets secondaires graves provoqués par un produit commercialisé pendant plusieurs décennies. Dès les années 1970, des études scientifiques ont montré que les produits dérivés des amphétamines, comme le Mediator, avaient provoqué des hypertensions artérielles pulmonaires. Par la suite, des cas de valvulopathie ont été documentés. Certes, ces graves effets secondaires sont rares, mais toute mort provoquée par un médicament est une mort de trop. Pourquoi n'avoir pas réagi dès les premiers cas d'hypertension artérielle pulmonaire et de valvulopathie rapportés pour des malades sous Mediator ? Les rares signalements ont beaucoup d'importance, puisque environ 95 % des effets indésirables sont omis. Pourquoi a-t-il fallu attendre près de dix ans pour conduire à terme l'étude Regulate, dont les grandes lignes avaient été posées dès 1999 ? Je proposerai donc d'instituer des procédures transparentes et une compétence indépendante.