Intervention de Marie-Christine Blandin

Mission commune d'information sur le Mediator — Réunion du 28 juin 2011 : 1ère réunion
Examen du rapport

Photo de Marie-Christine BlandinMarie-Christine Blandin :

Le cinquième dysfonctionnement est relatif aux processus de pharmacovigilance. Malgré l'apparition de signalement nombreux, il n'y a pas eu de coordination suffisante entre la commission d'AMM et le commission nationale de pharmacovigilance, dont certains membres s'interrogeaient dès 2007 sur le maintien de ce médicament, suspendu en 2009 et retiré l'année suivante. Avec Mme Anne-Marie Payet, j'avais dénoncé en 2006 ce cloisonnement excessif et la faiblesse des études post-AMM. Quant à la douloureuse question des victimes, l'audition contradictoire des experts du dossier a montré l'intérêt de rapprocher les approches cliniques et statistiques pour mieux utiliser le « potentiel de l'informatique du XXIe siècle » selon l'excellente formule de notre collègue Mme Marie-Christine Blandin.

Le Mediator a donc bien révélé des dysfonctionnements intrinsèques à notre dispositif de sécurité sanitaire des médicaments, marqué par un fonctionnement opaque, en vase clos, insuffisamment pluraliste et pas assez réceptif au principe de précaution. D'où le rôle décisif des lanceurs d'alerte extérieurs. La question de l'indépendance de l'expertise sanitaire est aussi clairement posée, vu la présence directe ou indirecte des laboratoires pharmaceutiques à toutes les étapes.

J'en viens à nos propositions de réforme.

Nul ne conteste la nécessité d'agir, mais certains préconisent de resserrer les mailles du filet en maintenant les structures existantes tout en améliorant certaines procédures, alors que d'autres militent pour la mise sur pied d'un nouveau système inspiré, par exemple, du modèle américain. En pratique, tout ce que nous avons étudié lors de nos déplacements présentait des avantages et des défauts. Pour ces raisons, je vous propose une voie pragmatique et révolutionnaire à la fois, avec une soixantaine de mesures afin de mieux prendre en compte les objectifs de santé publique et surtout organiser une vigilance active impliquant toutes les parties prenantes : patients, professionnels de santé et autorités sanitaires. En d'autres termes, je propose une pharmacovigilance à l'échelle de notre société, car il faut changer moins les structures que l'état d'esprit et garantir le respect de bonnes pratiques.

La réforme proposée s'articule autour de quatre axes : un circuit administratif du médicament plus cohérent et plus efficace ; une information et une formation médicales favorisant le bon usage du médicament ; une politique de remboursement incitant à rechercher le meilleur rapport coût/efficacité ; des procédures plus transparentes.

Tout d'abord, la France a besoin d'un système administratif du médicament plus cohérent et plus efficace.

Faire table rase des agences ou redécouper arbitrairement leurs compétences porterait atteinte à leur efficacité, au moins dans l'immédiat. Après le scandale du sang contaminé, le pouvoir de décision en matière de sécurité sanitaire a été soustrait au ministre pour être confié au directeur général de l'Afssaps : c'est lui qui autorise la mise sur le marché, suspend ou retire un médicament, après avis des experts. Il revient au directeur général de s'assurer que les décisions sont prises, que les professionnels de santé sont alertés des risques liés aux médicaments, que les dossiers sont suivis par ses services. Il ne peut donc s'abriter derrière l'absence de position claire des experts pour s'abstenir de trancher. Ce qu'il faut ici, en premier lieu, ce n'est pas une réforme, mais un directeur général conscient de ses responsabilités.

Pour que les décideurs publics assument leurs responsabilités, il faut ensuite décloisonner le système d'agences, car l'expertise publique est insuffisamment utilisée. Je pense notamment à la commission de la transparence, qui doit se prononcer sur le remboursement des médicaments par l'assurance-maladie : devant apprécier le service médical rendu, elle porte un deuxième regard sur l'AMM, mais ne peut rien dire si elle estime qu'il n'aurait pas fallu mettre le produit sur le marché. Se priver ainsi d'un double regard n'est pas souhaitable. C'est pourquoi la commission de la transparence devrait pouvoir saisir le ministre lorsqu'elle estime que le directeur général de l'Afssaps n'aurait pas dû accorder l'AMM. On ne peut plus accepter qu'un ministre ne soit jamais mis au courant d'un grave problème sanitaire !

En obtenant que chacun joue son rôle au service de la sécurité sanitaire, on réduirait la probabilité de voir un médicament passer entre les mailles du filet sanitaire, mais il ne faut pas sous-estimer la manière dont l'appréhension du médicament par nos concitoyens a été bouleversée par la succession des affaires de santé publique. Notre niveau d'exigence doit donc augmenter, lors de la mise du médicament sur le marché, puis pendant sa durée d'utilisation.

Pour être mise sur le marché, une spécialité doit présenter des bénéfices l'emportant sur les risques. L'évaluation du rapport bénéfices-risques incombe à la commission d'AMM, qui se fonde sur les données fournies par le laboratoire. Pour que l'évaluation ne soit pas biaisée, la commission doit disposer de toutes les informations objectives disponibles. Cela suppose notamment que la méthode utilisée soit définie par des instances publiques internationales, que tous les protocoles de recherche soient connus et que tous les résultats des recherches soient publiés, même lorsqu'elles n'ont pas été conduites à terme. Il faut enfin conforter les pouvoirs dévolus au comité de protection des personnes, conformément à la proposition de loi relative aux recherches sur la personne, telle qu'elle résulte de son examen par le Sénat. J'estime en outre nécessaire d'imposer une appréciation plus exigeante du rapport bénéfices-risques, aujourd'hui évalué contre un placebo, ce qui accroît les chances d'obtenir l'AMM. D'où la pléthore de médicaments disponibles dans notre pays. Je propose que toute nouvelle spécialité soit appréciée par référence aux produits ou stratégies thérapeutiques existants, ce qui devrait éviter l'entrée sur le marché de tout médicament inutile.

Ces conditions plus sévères doivent être accompagnées d'un suivi sanitaire durant toute la vie du médicament. Ainsi, les plans de gestion des risques associés à la mise sur le marché doivent être élaborés en concertation avec les associations de patients ; les études post-AMM doivent être conduites par les laboratoires de manière plus systématique et rigoureuse. Il faut au minimum fixer un délai pour leur remise et sanctionner les laboratoires défaillants. En outre, l'Afssaps doit être à même de réaliser les expertises ; elle doit pouvoir utiliser les bases de données de la caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) pour apprécier l'éventuelle apparition d'effets secondaires passés inaperçus dans les études pré-AMM.

Il paraît également nécessaire de réformer la pharmacovigilance relevant de l'Afssaps, car la commission nationale de pharmacovigilance (CNPV) reste trop soumise à la commission d'AMM. Elle doit désormais pouvoir obtenir du directeur général la suspension ou le retrait d'un médicament. Pour que cette commission puisse fonctionner, il faut améliorer les signalements de pharmacovigilance, par les professionnels de santé comme par les patients et les simplifier. Un décret est paru le 10 juin, mais des progrès pratiques restent possibles : les bases de données recensant les effets indésirables liés aux médicaments doivent être rendues publiques ; l'Afssaps doit systématiquement informer les professionnels quand un risque nouveau est découvert ; il faut mieux protéger les lanceurs d'alerte, tout en évitant les dérives possibles.

Mieux appréhender la sécurité du médicament suppose de connaître son usage réel, donc les prescriptions faites aussi en dehors du cadre de l'AMM. Sans réduire la liberté de prescription, il faut combattre le détournement d'usage illustré par le Mediator. L'Afssaps devra être proactive en se saisissant des produits dont l'utilisation ne correspond pas à l'AMM pour faire le tri entre les usages conformes aux besoins sanitaires et un éventuel mésusage.

En définitive, mieux contrôlé avant l'AMM et tout au long de sa vie, le médicament sera plus sûr et suscitera une confiance accrue des patients.

J'en viens au deuxième axe de la réforme proposée : une information et une formation médicale favorisant le bon usage du médicament, tel qu'il est prescrit et tel qu'il est pris par les patients. En ce domaine, un constat fait l'unanimité : la France est en surconsommation médicamenteuse.

Pour améliorer l'information, force est de reconnaître tout d'abord le rôle dominant joué par l'industrie pharmaceutique, à qui les autorités publiques ont laissé le champ libre. Or, l'industrie fait de la promotion, pas de l'information médicale, que cela soit bien clair. Environ un tiers des médecins reçoivent plus de sept délégués médicaux par semaine. La situation n'est guère plus satisfaisante à l'hôpital.

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