Intervention de Marie-Thérèse Hermange

Mission commune d'information sur le Mediator — Réunion du 28 juin 2011 : 1ère réunion
Examen du rapport

Photo de Marie-Thérèse HermangeMarie-Thérèse Hermange, rapporteur :

En 2006, le Sénat avait préconisé de renforcer la charte de la visite médicale et de l'appliquer à l'hôpital. Or, les études menées par la HAS sont sans appel : la charte n'a rien changé aux effets indésirables de la visite médicale. Je propose donc de mettre cette profession en extinction : aucune nouvelle carte professionnelle ne serait plus délivrée, les 17 500 visiteurs médicaux en fonction pourraient continuer à exercer mais l'Etat réinvestirait ce secteur via la HAS en prenant en charge leur formation. Cette même autorité leur proposerait une reconversion en son sein pour diffuser une information indépendante sur le bon usage du médicament. Les actuels délégués de l'assurance maladie seraient aussi progressivement intégrés dans ce cadre. Dans le même esprit, je rappelle notre opposition totale à la publicité directe au public pour les médicaments et je propose de renforcer le contrôle sur la publicité licite. S'agissant de la presse médicale, il faut améliorer la transparence.

Parallèlement, je propose de créer un répertoire officiel et complet des médicaments, dont la version en ligne serait accessible au grand public. Il faudrait aussi renforcer les logiciels d'aide à la prescription, développer les enquêtes sur les caractéristiques de la prescription et mettre en ligne des bases de données de pharmacovigilance. Pour l'information du grand public, je proposerai d'améliorer les notices. Enfin, la lutte contre les accidents médicamenteux graves devrait devenir Grande cause nationale en 2012.

Sur la formation initiale, je propose plus d'indépendance à l'égard de l'industrie pharmaceutique et de poser le principe que le développement professionnel continu est une compétence des pouvoirs publics.

J'en viens à mon troisième axe : un remboursement incitant à la recherche du meilleur rapport coût/efficacité.

Le remboursement des spécialités devrait privilégier celles présentant un réel progrès, les prix de vente favorisant une meilleure allocation des ressources collectives. A cet effet, je propose de renommer la commission de la transparence, pour en faire une commission d'évaluation du progrès thérapeutique, dont les avis seraient opposables au comité économique des produits de santé (Ceps). Celui-ci ne pourrait donc pas accorder un prix plus élevé à un nouveau médicament affichant un faible progrès thérapeutique par rapport aux spécialités existantes. Ainsi, le niveau de progrès thérapeutique serait substitué à l'amélioration du service médical rendu.

Sur le plan économique, je vous renvoie au rapport pour la description du circuit actuel, depuis la situation préoccupante de la recherche jusqu'aux mécanismes de régulation des prix. Celle-ci relèvera encore du Ceps, qui intégrerait les missions d'évaluation médico-économique aujourd'hui dévolues à la Haute Autorité de santé. La composition du comité évoluerait pour que les représentants des assurances maladie obligatoires et complémentaires occupent la moitié des sièges. Par ailleurs, la transparence de ses décisions deviendrait la règle, sous réserve du respect du secret industriel. Nous en avons longuement discuté avec le président François Autain.

La fixation des prix relève actuellement de conventions complexes et peu lisibles passées entre le Ceps et les laboratoires. Il est proposé de revoir les procédures. Il me semble par exemple raisonnable que l'Etat puisse lancer des appels d'offres pour les génériques. Par ailleurs, il faut un réexamen afin de cesser de rembourser les médicaments sous surveillance qui n'apportent aucun progrès thérapeutique.

L'objectif de ce troisième axe est simple : obtenir une santé de qualité au meilleur coût.

J'en viens au dernier axe de réforme : des procédures plus transparentes.

Vient tout d'abord la publication des comptes rendus complets, avec le détail nominatif des membres présents et de leur vote, qu'il s'agisse des commissions ou des groupes de travail. Il faut généraliser la diffusion vidéo des réunions débouchant sur des avis.

Pour lever les soupçons pesant sur les experts, il faut leur appliquer des règles claires et compréhensibles par tous, en commençant par une définition légale des liens d'intérêts et des conflits d'intérêts, deux notions aujourd'hui incertaines.

Pour que ces contraintes soient assumées, il faut refonder l'expertise publique en créant un corps d'experts internes, qui siégeront au sein des commissions des agences sanitaires, avec un statut et une rémunération permettant de les recruter au niveau de chef de service hospitalier. Mais il faudrait aussi d'autres profils dans ces commissions comme des scientifiques non médecins ou des personnalités issues des sciences humaines. Dénués de tout lien d'intérêts avec les industries pharmaceutiques plusieurs années avant leur prise de fonction - et après -, ces experts s'engageront par rapport aux avis qu'ils émettent, y compris leurs avis dissidents. Des conditions plus strictes pourraient s'appliquer aux directeurs généraux de l'Afssaps et de la HAS. L'éventuel appel à des experts externes serait envisageable en fonction des dossiers ; les laboratoires pourraient présenter leurs études au cours d'auditions publiques et formelles.

Ce formalisme des procédures et ce statut renforcé d'une expertise interne me paraissent être les meilleurs garants de l'expertise publique française.

Telles sont les pistes de réforme que je vous propose.

Pour finir, je regrette, comme en 2006, de ne pas avoir pu aborder les produits et matériels de santé, qui méritent une analyse spécifique. Ils pourraient provoquer des difficultés semblables à celles induites par les médicaments. Je suis persuadée que les principes déontologiques et les règles de fonctionnement que je viens d'énoncer pourraient s'appliquer utilement aux matériels médicaux.

Par ailleurs, une action au niveau communautaire est indispensable, car l'Europe pèse de façon croissante sur nos procédures. Elle peut être source de progrès, par exemple via le système EudraVigilance ou la reconnaissance du rôle des patients, mais elle peut aussi être source d'inquiétudes en facilitant l'afflux de produits peu fiables provenant de pays tiers moins regardants ou lorsqu'elle permet la publicité directe auprès des patients. Comme parlementaire européen, j'ai constaté que Bruxelles s'ingéniait à trouver des biais pour s'immiscer dans les compétences nationales et multiplier les directives que la France accepte sans toujours en mesurer les conséquences alors que dès qu'un texte est soumis à la commission compétente, les Anglo-Saxons se concertent pour choisir leur rapporteur et définir leur position ; ils associent à la réflexion les parlementaires européens et les parlementaires nationaux.

Je propose d'améliorer le fonctionnement de l'Agence européenne du médicament, en commençant par les conflits d'intérêts. Je propose également d'intervenir auprès de la Commission européenne pour que les essais comparatifs soient obligatoires dans la procédure centralisée, ou encore pour associer les gouvernements, les associations de parents et de victimes, mais aussi les professionnels de santé, à l'élaboration des standards internationaux régissant l'évaluation des nouveaux médicaments et l'attribution de l'AMM.

Le monde du médicament a changé : la production s'est internationalisée, les alertes apparaissent à l'échelle internationale, les produits se sont émancipés de la logique pasteurienne pour s'attaquer aux pathologies chroniques, les citoyens veulent être parties prenantes à leur santé. Notre système de sécurité sanitaire aurait dû s'adapter depuis longtemps. Dommage qu'il ait fallu attendre la crise du Mediator pour que le processus soit lancé. C'est pourquoi je vous proposerai d'intituler ce rapport La réforme du système du médicament, enfin.

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