Intervention de Michel Gollac

Mission d'information sur le mal-être au travail — Réunion du 24 février 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Michel Gollac chercheur au centre de recherche en économie et en statistique crest président du collège d'expertise sur le suivi statistique des risques psychosociaux du travail

Michel Gollac :

a d'abord indiqué qu'il n'existe pas, au sein de la communauté scientifique, de définition unanimement reconnue des risques psychosociaux. Le collège d'expertise les définit, pour sa part, comme les risques pour la santé mentale et sociale qui sont créés, au moins en partie, par le travail, à travers des mécanismes sociaux et psychiques. Ce sont donc les causes des risques qui sont psychosociales et non leurs conséquences, lesquelles peuvent prendre la forme d'une maladie mentale, physique ou d'une exclusion sociale.

Certaines organisations créent plus de risques que d'autres mais les caractéristiques individuelles de la personne jouent aussi un rôle ; il est donc intéressant pour le chercheur d'analyser les interactions entre ces deux éléments. La littérature scientifique démontre que les individus sont inégaux devant la santé, mais il est difficile d'en tirer des conséquences concrètes ; il est également établi que certaines organisations diminuent le risque pour tous les salariés. Un élément de complexité supplémentaire découle du fait que les caractéristiques individuelles ne sont pas fixes au cours de la vie : de mauvaises conditions de travail peuvent fragiliser un individu et enclencher ainsi un cercle vicieux.

Il existe deux approches pour réduire les risques psychosociaux dans une entreprise, M. Michel Gollac indiquant sa préférence pour la première :

- l'entreprise peut transformer son organisation dans un sens favorable à la santé des salariés ; des études montrent qu'une telle démarche est économiquement viable ; elle est cependant coûteuse à court terme et les chefs d'entreprise ne sont pas toujours convaincus des bénéfices qu'ils peuvent en retirer à plus long terme ;

- l'entreprise peut privilégier une démarche de prévention et de soins sur une base individuelle : présence d'installations sportives sur le lieu de travail, soutien ou soins psychologiques pour les salariés, numéro vert... Ces mesures peuvent avoir un effet positif à court terme, et ne doivent donc pas être négligées, mais leurs effets à long terme sont mal connus. Elles engendrent, en outre, des effets pervers : elles peuvent inciter l'entreprise à augmenter la pression sur ses salariés ; elles peuvent encourager la tendance de certains salariés au surinvestissement, en créant une dépendance à l'égard de l'entreprise et un sentiment de culpabilité chez ceux qui ne parviennent pas à gérer leur stress malgré les dispositifs mis en place ; enfin, l'entreprise n'est pas encouragée à réformer son organisation.

Des études cliniques soulignent que les caractéristiques qui rendent un salarié vulnérable sont aussi celles qui l'aident à bien travailler : un salarié qui s'investit dans son travail obtient de meilleurs résultats mais est plus exposé en cas de difficultés professionnelles.

s'est ensuite interrogé sur l'existence éventuelle d'une opposition entre nos valeurs démocratiques et l'incitation faite aux individus à modifier leur psychisme. Il a rappelé qu'un tiers des actifs déclarent faire, parfois, dans leur travail des choses qu'ils désapprouvent. Les gens souffrent de ces conflits éthiques, mais peut-on apporter un soutien psychologique à un si grand nombre d'individus ? Par ailleurs, s'il peut être légitime de sélectionner les personnes en fonction de leur psychisme pour les postes à responsabilité élevée, pour lesquels la pression psychologique est forte, il ne serait pas raisonnable de le faire pour les autres salariés car cela conduirait alors à de nombreuses situations d'exclusion.

Les travailleurs indépendants et les chefs d'entreprise sont également affectés par les risques psychosociaux et ils peuvent, comme les salariés, recevoir un soutien individuel. Une action plus structurelle impliquerait de réguler différemment les relations entre clients et fournisseurs ou entre prêteurs et emprunteurs, mais il s'agit là de problèmes très vastes.

Le collège d'expertise a distingué six dimensions de risque psychosocial, cette liste, à caractère provisoire, permettant de classer de façon logique les indicateurs disponibles :

- la première dimension a trait aux exigences excessives imposées aux salariés : quantité de travail, pression temporelle, complexité du travail et difficultés pour concilier vie professionnelle et vie personnelle ;

- la deuxième reflète la charge émotionnelle liée au travail : tensions avec le public, obligation de dissimuler ou de feindre des émotions, contacts avec des situations de souffrance, exigence d'empathie ;

- la troisième tient au manque d'autonomie : procédures rigides, imprévisibilité du travail, sous-utilisation ou stagnation des compétences, manque de participation et de représentation ;

- la quatrième renvoie à la déficience des rapports sociaux : manque de soutien technique et émotionnel, absence ou dysfonctionnements du collectif du travail, défaut de reconnaissance ;

- la cinquième englobe les conflits de valeurs : conflits éthiques et « qualité empêchée », c'est-à-dire impossibilité de faire du bon travail ;

- la sixième mesure l'insécurité de l'emploi et des carrières : contrats courts, temps partiel subi, sentiment que le travail accompli n'est pas soutenable à long terme en raison de son impact négatif sur la santé.

Le collège va poursuivre ses travaux en 2010 pour tenter de mettre au point une classification plus synthétique.

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