Intervention de Valérie Pécresse

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 21 juin 2011 : 1ère réunion
Les investissements d'avenir — Audition de Mme Valérie Pécresse ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche

Valérie Pécresse, ministre :

Oui, Daniel Raoul, c'est très complexe et j'aurais bien préféré être seule aux commandes, sans avoir à composer avec Bercy ni avec le Commissariat général à l'investissement (CGI). Mais, comme dans la construction d'une maison, chaque élément est nécessaire : ici les laboratoires d'excellence, leurs équipements, les laboratoires hospitaliers, l'institut de recherche technologique, celui de l'énergie décarbonée, les initiatives d'excellence... Au départ de leur réflexion, Alain Juppé et Michel Rocard avaient recherché ce qui, dans l'état actuel des choses, n'était pas financé : les cohortes de patients, par exemple, qu'il faut suivre pendant 20 ans alors que l'ANR ne finance que sur trois ans. Mais au total, ce n'est pas si complexe que cela et lorsque des candidats à appels à projet ont des problèmes, je leur conseille de venir au ministère où on les orientera, on ne les laissera pas seuls. Nous donnons le même conseil aux universités.

Il n'y a pas de déconnection avec les pôles de compétitivité. La différence, c'est que l'objectif des investissements d'avenir n'est pas d'abonder ces pôles mais de lever les verrous technologiques, de faire travailler ensemble chercheurs publics et privés et de faire dispenser les formations adéquates. C'est un rapprochement innovant, celui des PRES et des pôles de compétitivité ; c'est la vraie rencontre public-privé. Avec les PRES, nous avons consolidé le public ; avec les pôles de compétitivité, nous avons consolidé le privé ; maintenant, nous les amenons à travailler ensemble.

Sur l'aménagement du territoire, à présent. Je pensais au départ que l'excellence était partout sur le territoire et que tous sauraient se mobiliser. Je n'ai pas été déçue. Aujourd'hui, je constate que l'excellence est partout et que tous les territoires se sont effectivement mobilisés. Lorsque des universités n'avaient pas la taille critique en matière de recherche, les élus locaux ou les milieux économiques les ont épaulées. Dans le Nord, par exemple, où les structures de recherche n'ont pas toujours une taille suffisante, les milieux économiques leur ont permis de faire émerger un projet d'institut sur les énergies décarbonées, ainsi qu'un institut de recherche technologique sur le ferroviaire. En Lorraine, également, les acteurs se sont mobilisés pour faire émerger un pôle de recherche sur les matériaux de demain. Pour profiter de ces investissements d'avenir, Strasbourg et Mulhouse se sont réunies en réseau, de même que Metz et Nancy, Pau et Bordeaux, Aix et Marseille. Ces investissements ont donc un effet de cohésion et d'intégration territoriales qui a abouti à la formation d'une quinzaine de pôles universitaires de recherche et d'innovation à visibilité mondiale. On voit apparaître des projets innovants inattendus : en Picardie, à Compiègne par exemple, celui sur la chimie verte ; à Amiens, celui de la chirurgie réparatrice, unique au monde ; et celui du professeur Tarascon - sur les batteries - que l'on a ainsi dissuadé de partir à Santa Barbara. L'université de Caen a damé le pion à Lyon avec sa proposition de nouvelles thérapies contre le cancer.

L'intervention de jurys internationaux a aussi changé la donne : ce n'est pas un cabinet ministériel, Matignon ou l'Élysée qui décident. Par exemple la Guyane a récupéré un laboratoire d'excellence sur la biodiversité ; ses 250 chercheurs d'élite désespéraient de l'obtenir mais le jury international les a repérés, eux et les six brevets qu'ils avaient déjà déposés. De même pour la céramique à Limoges et la vulcanologie en Auvergne. Il se dessine ainsi la carte d'une France réindustrialisée par les investissements d'avenir et où, au total, peu de territoires sont restés vides. Contrairement à ce qu'on a prétendu, l'Ouest n'est pas oublié. Brest a un projet sur les énergies marines, Rennes le pôle de télécommunication, Nantes a gagné - contre Bordeaux, à qui Matignon et l'Élysée le destinaient - un institut de recherche technologique sur les matériaux. Chaque région se mobilise, même si certaines ont des handicaps. Le PRES normand a eu du mal à se constituer du fait de la séparation entre Haute et Basse-Normandie.

En outre, nous allons avoir une seconde phase d'appels à projet et j'ai pris l'engagement que tout bon projet non retenu serait repris par le ministère dans le cadre des contrats pluriannuels avec les universités.

Je regrette moi aussi que les contraintes budgétaires aient imposé de diminuer l'ampleur du programme des JEI, lequel a quand même un effet pervers : l'effet de seuil de sortie de ce dispositif. Le CIR est un instrument plus puissant, plus pertinent. On pourrait peut-être, en effet, l'orienter davantage vers les PME mais je suis plutôt favorable à ce qu'on rapproche CIR et JEI. Aujourd'hui, avec Oséo, nous cherchons les solutions pour qu'aucune entreprise innovante ne soit lésée. Cependant, un instrument unique est bien préférable.

Le CIR a eu trois effets. Il a empêché la délocalisation des équipes de chercheurs à l'étranger, sachant que la délocalisation de la recherche appliquée entraîne souvent celle de la production qui en résulte. Il a modifié le comportement des entreprises privées qui veulent désormais investir en France, attirées par son environnement fiscal. Enfin, il a eu un effet bénéfique sur les PME : le montant de ce crédit d'impôt en faveur de cette catégorie d'entreprises a doublé depuis 2008 et elles ont été incitées à faire de la recherche ou à la déclarer. Il faut continuer dans cette voie.

D'une façon générale, je plaide et plaiderai lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2012 en faveur de la stabilité fiscale, et j'inviterai la créativité parlementaire à faire une pause pendant au moins un an. Les entreprises qui ont des projets de R&D portant sur dix années ne peuvent supporter que la règle du jeu change à chaque loi de finances. En 2012, la stabilité fiscale présentera bien plus d'avantages que toute amélioration fiscale.

Pourquoi le plateau de Saclay a-t-il été recalé ? A cause du manque de cohérence de son projet ! Les 21 acteurs devaient se mettre d'accord. Dans un tel cas de figure, chacun doit faire passer ce qu'il croit être son intérêt propre après l'intérêt collectif. C'est la condition sine qua non pour que Saclay devienne un vrai cluster de niveau international. C'est compliqué mais nécessaire et le jury international sera sans indulgence face à ce qui lui apparaît comme une somme de laboratoires, incapables de s'intégrer dans une dynamique commune. A cet égard, il faut saluer l'évolution et la fusion de pôles universitaires que tout séparait : Aix et Marseille par exemple. De même, il faut saluer la fusion, à Lyon, des écoles normales et des universités, ou encore celles opérées à Paris. Saclay doit faire de même.

Les instituts Carnot, ces instituts de recherche partenariale associant le public et le privé, lancés dans le cadre du pacte pour la recherche, ont atteint leur objectif : leurs revenus issus de contrats de recherche partenariaux ont augmenté de 32 % depuis 2006. Nous avons lancé un nouvel appel à projet dans le cadre des investissements d'avenir : 34 instituts ont été labellisés pour la période 2011-2016, dont dix nouveaux. Ce renouvellement permet de mieux cibler certaines thématiques - logiciels, sciences de la vie... - et de rééquilibrer la couverture territoriale. Pas moins de 25 000 chercheurs travaillent dans ces instituts, pour un budget de 2 milliards d'euros, provenant à 40 % de partenariats avec des entreprises. Les investissements d'avenir ont prévu un fonds de soutien de 500 millions d'euros non consommables, dont les intérêts - 17 millions par an - s'ajoutent aux 61 millions du budget de l'ANR.

Les investissements d'avenir feront bien l'objet d'une évaluation : les conventions, conclues en général pour dix ans, prévoient toutes une évaluation à mi-parcours ; des crédits représentant 0,5 % du total y sont consacrés, ce qui permettra de réunir de bons jurys. Les critères seront les suivants : les résultats scientifiques, le retour sur investissement en termes de croissance, d'emploi et de dynamique territoriale, et l'impact sur le paysage universitaire. Ainsi, les contrats conclus avec le ministère tiendront compte des apports des investissements d'avenir et de ce qui reste à financer. Le Parlement sera évidemment tenu informé de ces évaluations.

Jean-Léonce Dupont, vous ne trouverez pas meilleure avocate de la couverture numérique que moi : c'est une condition sine qua non du développement territorial. Mais ce dossier ne dépend pas de moi.

Quant au partenariat public-privé pour la numérisation du patrimoine culturel, c'est le ministère de la culture qui en est chargé. Je puis vous dire, en revanche, que dans le cadre des investissements d'avenir, les laboratoires de recherche patrimoniale - qui s'occupent de conservation, de rénovation, de muséographie, etc. - ont su tirer leur épingle du jeu. Un laboratoire français spécialiste des « lieux de mémoire », financé au titre des investissements d'avenir, doit participer au projet de Ground zero à Manhattan, en lien avec le Mémorial de Caen et New York University. A l'École française de Rome il y a quelques semaines, j'ai eu des discussions sur un éventuel programme de recherche européen consacré au patrimoine, qui aurait d'évidentes retombées touristiques. Tous les pays européens pourraient y être associés.

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