Intervention de Gérard César

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 22 juin 2011 : 1ère réunion
Couverture numérique du territoire — Audition de M. éric Besson ministre chargé de l'industrie de l'énergie et de l'économie numérique

Photo de Gérard CésarGérard César, rapporteur :

J'ai eu l'honneur de conduire du 15 au 18 décembre dernier une délégation qui s'est rendue au Maroc au nom de la commission de l'Économie : cette délégation était composée de nos collègues Odette Herviaux, Jacqueline Panis et Marc Daunis. Le but de notre déplacement -à Rabat et Tanger- était d'étudier les politiques de développement durable qui y sont mises en oeuvre et de dresser un état des lieux des relations, notamment économiques, entre ce pays et l'Union européenne.

Nous avons rencontré le ministre des affaires économiques et générales, M. Nizar Baraka, la ministre de l'Énergie, des mines, de l'eau et de l'environnement, Mme Amina Benkhadra ainsi que M. Youssef Amrani, secrétaire général au ministère des affaires étrangères et qui vient d'être nommé, le 25 mai dernier, à la tête de l'Union pour la Méditerranée (UpM) en remplacement du Jordanien M. Ahmed Massa'deh. Nous avons également pu voir le représentant de l'Union européenne au Maroc, M. Eneko Landaburu, dont l'exposé clair et convaincant nous a passionnés.

Je signale que nous avions d'ailleurs rencontré, avant notre départ, Son Excellence M. El Mostafa Sahel, Ambassadeur du Maroc en France, qui a bien voulu nous recevoir pour préparer au mieux notre visite.

Nous avons également pu rencontrer sur place des représentants des différents milieux économiques et institutionnels marocains ainsi que des entreprises françaises présentes dans le pays.

Nous avons enfin effectué un certain nombre de visites de terrain : le site de l'aménagement de la vallée du Bouregreg entre Rabat et Salé, le site de l'usine Lafarge à Tétouan, près de Tanger, avec son parc éolien et aussi le nouveau port Tanger-Méditerranée, où je sais qu'une délégation du groupe de travail sur la réforme portuaire, conduite par notre collègue Charles Revet, s'est également rendue le mois dernier.

Il est important, à ce stade, de souligner que notre déplacement a eu lieu avant les récents événements qu'ont connus les pays arabes et que l'on a appelés « printemps arabes ». En Égypte, en Libye, au Yémen, en Syrie, en Jordanie, en Algérie notamment, mais aussi au Maroc, les manifestations et les contestations ont revêtu des spécificités bien marquées selon le pays et se sont inscrites dans des contextes à chaque fois différent.

Ce dont nous sommes sûrs, du reste, c'est de la vague d'espoir démocratique qui s'est étendue dans l'ensemble de ces pays, notamment à travers la mobilisation de la jeunesse, dont les regroupements spontanés ont été largement relayés par les réseaux sociaux sur internet.

Ce qui est sûr aussi, c'est que le monde arabe, en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, est en train de connaître une mutation démocratique sans précédent. Il y aura un « avant » et un « après » printemps arabe et il sera important, dans les mois et les années qui viennent, d'analyser les changements politiques et sociétaux profonds qui en auront découlé.

Lors de notre déplacement, en décembre, ce gigantesque bouleversement n'avait pas encore eu lieu et les thèmes choisis par notre mission étaient davantage liés aux aspects économiques et environnementaux qu'aux problématiques politiques ou géopolitiques, tant intérieures qu'extérieures. Notre délégation ne s'est donc pas penchée dans son rapport sur les mutations politiques que connaît actuellement la région car les rencontres et les visites effectuées sur le terrain, axées sur les problématiques économiques et environnementales ne nous permettent pas de proposer une analyse sérieuse et fondée sur des événements récents.

Néanmoins, notre délégation, consciente de l'importance de ces changements, non seulement dans la donne régionale, mais également dans le contexte intérieur du Maroc, a tenu à auditionner la sous-direction du Ministère des Affaires étrangères spécialisée sur l'Afrique du Nord et sur le Maroc, ce qui nous a permis de mieux cerner l'impact de ces révolutions sur le Maroc, sa politique de réformes et son évolution institutionnelle. Dans un discours à la nation du 17 juin, Mohammed VI a ainsi présenté un projet de réformes constitutionnelles qui vise à « consolider les piliers d'une monarchie constitutionnelle, démocratique, parlementaire et sociale » et constitue un pas important - voire révolutionnaire - dans la réforme du pays : ce projet sera soumis à référendum le 1er juillet prochain.

Le rapport de mission que je vais vous présenter comporte trois parties : dans la première, je vous présenterai les caractéristiques du Maroc, notamment au regard de sa situation géographique exceptionnelle de « carrefour » entre l'Europe et l'Afrique ; dans la deuxième, j'évoquerai le cadre spécifique dans lequel s'inscrivent aujourd'hui les relations entre la France et le Maroc : celui d'un partenariat avec l'Union européenne de plus en plus ambitieux ; et enfin, j'insisterai sur les grands chantiers et les grands projets lancés par le Roi Mohammed VI dans le domaine économique et surtout environnemental, dont nous avons pu, pour certains, constater l'avancement sur place.

Comme je vous l'ai indiqué, la position géographique du Maroc est exceptionnelle : il est situé à l'extrême Nord-Ouest du continent africain, et séparé de l'Espagne par le mince détroit de Gibraltar de 13 kilomètres. La fermeture de la frontière algérienne à l'est du pays depuis 1994 a créé des conditions de quasi-insularité. Cette situation a contribué à ce que le pays se tourne de plus en plus vers l'Europe. En effet, si le Maroc constitue une sorte d'isthme en Afrique, il est de l'autre côté, grâce à sa position de porte de la Méditerranée, un véritable pont vers l'Europe, avec qui les relations, tant économiques que politiques et culturelles sont anciennes et n'ont cessé de se renforcer.

Sur le plan économique, la croissance du pays atteint 5,2 % en 2009 et 4,2 % en 2010, pour un produit intérieur brut estimé à 65 milliards d'euros. Cette forte croissance s'explique en grande partie grâce au secteur agricole, dont les résultats dépendent beaucoup des conditions climatiques, et notamment de la pluie. Depuis le début des années 2000, si elle est irrégulière en fonction des pluies justement, la croissance annuelle moyenne est forte, aux alentours de 4,8 %. Le déficit budgétaire est de 2,2 % du PIB.

La société marocaine connaît des mutations profondes. Il est par exemple révélateur que le taux de fécondité soit passé de 7 à 2,4 en 2006. Pourtant, malgré une augmentation de l'indice de développement humain (IDH) - il a augmenté de plus de 50 % en 32 ans - ce dernier reste particulièrement faible au Maroc par rapport à l'ensemble du Maghreb. En effet, malgré des progrès, la population marocaine reste très pauvre, notamment dans les campagnes, et l'analphabétisme est très fort.

Depuis son arrivée sur le trône en 1999, le Roi Mohammed VI a engagé des réformes importantes, notamment sur le plan du développement social. L'initiative majeure qu'il a prise est l'Initiative nationale de développement humain, lancée au printemps 2005 dans le triple but de désenclaver les zones défavorisées du pays, de lutter contre la précarité et d'installer une économie solidaire au profit des catégories les plus démunies. Ce programme a ainsi été doté d'une enveloppe de 900 millions d'euros pour la période 2006-2010. Il a également voulu améliorer la situation des femmes, notamment à travers l'adoption d'un nouveau code de la famille en 2003.

Avec la France, le Maroc entretient depuis longtemps un partenariat privilégié et étroit, tant sur le plan économique et politique que culturel. Premier partenaire commercial du Maroc, la France y est également le premier investisseur étranger avec 797 filiales d'entreprises françaises présentes sur le territoire marocain, employant plus de 115 000 personnes. Parmi les 20 plus grandes entreprises au Maroc, six sont françaises.

Les liens économiques entre les deux pays se doublent d'une très forte proximité culturelle, entretenue par des flux migratoires importants et un tourisme très développé.

Mais ce partenariat étroit et historique s'inscrit aujourd'hui dans le cadre d'une coopération plus large et toujours plus approfondie avec l'Union européenne. Depuis 1963 s'est établi un « partenariat privilégié ». Le premier accord commercial d'association fut conclu en 1969 et un nouvel accord en 1976. Une nouvelle étape est franchie dans le cadre du « processus de Barcelone », lancé en 1995 qui met en place un programme de dialogue, d'échange et de coopération pour garantir la paix, la stabilité et la prospérité dans la région.

Depuis 2002, le Maroc entre dans le cadre de la politique européenne de voisinage, qui a pour but de créer un espace de prospérité et de valeurs partagées, fondé sur une intégration économique accrue, des relations politiques et culturelles plus intenses, une coopération transfrontalière renforcée et une prévention conjointe des conflits.

Ces objectifs se traduisent concrètement par des plans d'action différenciés établis par l'Union européenne et chacun des pays partenaires et qui prennent en compte les spécificités de chacun d'entre eux.

En 2010 a été préparé un nouveau plan d'action UE-Maroc qui permettra d'opérationnaliser la dynamique du statut avancé, forme la plus avancée de coopération sans intégration, obtenu par le Maroc en 2008, dans son ambition de rapprochement avec les normes européennes.

Le nouveau programme de coopération entre le Maroc et l'Union européenne pour la période (2011-2013) s'élève à environ 580,5 millions d'euros de subventions.

Depuis le 13 juillet 2008, l'Union pour la Méditerranée (UpM), qui compte 43 membres à part entière auxquels s'ajoute la Ligue arabe, a donné un nouveau souffle au processus de Barcelone. Six projets principaux sont à la base de ce rapprochement : le projet de dépollution de la Méditerranée sur le thème de l'environnement ; le projet des autoroutes maritimes et terrestres sur le thème des transports ; le développement de la protection civile à l'échelle de la région pour répondre aux catastrophes naturelles ; la création d'une université euro-méditerranéenne ; le soutien aux énergies alternatives, notamment solaires ; le développement des affaires à travers un mécanisme de soutien aux petites et moyennes entreprises.

Aujourd'hui, l'Union pour la Méditerranée comme le contenu du « statut avancé » ne progressent peut-être pas aussi vite que les prévisions initiales : la mise en oeuvre des projets prévus par l'UpM prend du temps ; les capacités de financements européens restent limitées et les différends politiques pèsent parfois sur le fonctionnement de l'UpM. Mais les progrès sont néanmoins certains. Ainsi, la création, le 26 mai 2010, d'Inframed, un fonds d'investissement doté de 385 millions d'euros pour financer les projets de l'UpM pourrait permettre à celle-ci, d'après la Caisse des dépôts et consignations de « mobiliser à terme 1 milliard d'euros », et donc de changer d'ampleur.

Le cadre juridique de ce partenariat est en tout état de cause posé et il fonctionne à travers des réunions interministérielles, notamment sur le problème de l'eau. Certains projets prennent forme : l'université euro-méditerranéenne a ainsi été mise en place à Portoroz ; le programme Desertect, lancé en juillet 2009, a permis d'installer des fermes solaires et éoliennes à grande échelle en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, et le projet Medgrid, lancé en décembre 2010, regroupe une vingtaine de sociétés visant à permettre l'acheminement d'électricité d'origine photovoltaïque du Sud vers le Nord. Un accord a par ailleurs été obtenu sur la création d'un centre stratégique pour la protection civile en Méditerranée, et conformément aux recommandations de notre collègue Roland Courteau, il serait utile d'envisager un centre d'alerte aux tsunamis.

Quant au statut avancé, un rapport relatif à la mise en oeuvre de la politique européenne de voisinage par le Maroc en 2010, paru le 25 mai 2011, souligne un bilan « globalement positif », qui devrait « se traduire par davantage de réalisations concrètes en 2011 », et met en avant la mise en oeuvre des réformes structurelles malgré quelques réserves en matière de droits des femmes, de liberté d'information ou encore de justice.

Enfin, dans une dernière partie, j'évoque certains chantiers de modernisation lancés par Mohammed VI que nous avons pu visiter et dont nous avons pu constater sur place l'ampleur et l'ambition.

Le Maroc est en effet aujourd'hui résolument tourné vers le développement durable, menant dans ce domaine depuis plusieurs années une politique volontariste et diversifiée.

Nous avons tout d'abord pu rencontre Mme Amina Benkhadra, la ministre de l'Énergie, des mines, de l'eau et de l'environnement, qui nous a exposé le programme de développement énergétique privilégiant un bouquet diversifié et équilibré, avec une place de choix pour les énergies renouvelables. D'ici à 2020, le pays s'est donné pour objectifs de tripler la puissance électrique installée et de développer les centrales fonctionnant avec des énergies renouvelables afin qu'elles représentent 42% de la capacité électrique totale installée et un nouveau cadre législatif a été adopté en février 2010, afin d'assurer le développement des énergies renouvelables.

Sur ce sujet, nous avons pu visiter le site de Tétouan de la cimenterie Lafarge au Maroc, qui présente la particularité d'avoir mis en place un système d'autoproduction de son électricité, grâce à un parc éolien permettant de produire 32 MégaWatts par an et correspondant à une réduction des gaz à effet de serre à hauteur de 90 000 tonnes de CO2 par an.

Nous avons également visité la vallée du Bouregreg, entre Rabat et Salé, dont l'aménagement lancé en 2006 symbolise la volonté d'une modernisation soucieuse des enjeux du développement durable. L'organisation des transports constitue un axe important de cet aménagement avec la mise en place du tramway de Rabat-Salé, issu d'une collaboration avec Alstom, la construction du pont Moulay Hassan II et le creusement du tunnel des Oudayas.

La délégation a visité le récent port de Tanger-Méditerranée, véritable port leader en Méditerranée. Bénéficiant d'une situation géographique exceptionnelle, sa capacité initiale s'élève à 3 millions de conteneurs auxquels viendra s'ajouter une extension (Tanger Med 2), dont la capacité devrait être de 5,2 millions de conteneurs à l'horizon 2016. Le port est par ailleurs bordé d'une zone franche comprenant des zones logistiques et industrielles. Un des premiers groupes installés est le groupe franco-japonais Renault-Nissan, qui est en train de construire une usine de production d'une capacité de 200 000 voitures par an.

A l'issue de cette présentation, je vous proposerai d'intituler ce rapport « Les chantiers du Maroc de demain ». Il apparaît en effet que ce pays est entré pleinement dans la voie de la modernisation par le biais de réformes économiques ambitieuses et axées sur le développement durable, d'un partenariat poussé avec l'Union européenne et de réformes sociétales et politiques dont il conviendra de suivre attentivement les retombées.

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