Ce texte de M. Jean-Jacques Lozach, membre de la commission de la culture, et de deux de nos collègues de la commission de l'économie, Mme Renée Nicoux et M. Didier Guillaume, est cosigné par l'ensemble des membres du groupe socialiste et apparentés. Ambitieux dans son objet, il vise à instaurer un nouveau pacte territorial.
Cette proposition de loi se situe à la croisée de la question institutionnelle des relations entre l'État et les collectivités territoriales et de la problématique de l'aménagement du territoire. On y retrouve certaines dispositions de la proposition de loi « pour l'instauration d'un bouclier rural au service des territoires d'avenir », présentée par le groupe socialiste de l'Assemblée nationale, qui a été discutée et rejetée le 29 mars dernier. Mais elle est plus diverse par les sujets abordés. Je relève, d'ailleurs, que son examen aurait pu justifier la constitution d'une commission spéciale.
Afin de bien saisir l'intention des auteurs de ce texte, je crois qu'il convient de lire attentivement son exposé des motifs. Celui-ci débute par une dénonciation, en termes virulents, des effets territoriaux de la révision générale des politiques publiques engagée depuis cinq ans. Le constat de départ des auteurs est celui d'une défaillance radicale de la politique nationale d'aménagement du territoire. Pour expliquer cette situation, les auteurs de la proposition de loi mettent en avant tout particulièrement la révision générale des politiques publiques, politique qualifiée de court termiste, marquée par la volonté de réduire le champ du périmètre d'intervention publique en livrant des biens publics comme l'éducation et la santé aux appétits marchands. Plus généralement, les auteurs de la proposition de loi n'admettent pas la pertinence des outils récents de la politique d'aménagement du territoire. La logique de pôles, de compétitivité ou d'excellence rurale, ne ferait que renforcer, selon eux, les forces d'attraction des zones déjà attractives. Quant à la pratique des appels à projet, elle ne favoriserait pas une politique d'aménagement équilibré des territoires mais les mettrait en concurrence. Enfin, les auteurs de la proposition de loi s'inquiètent de ce qu'ils considèrent comme une crise des relations entre l'État et les collectivités territoriales. Ils dénoncent une crise du dialogue entre l'État et les collectivités territoriales et un désengagement de l'État.
La majorité de notre commission ne peut pas admettre cette critique sans concession de la politique du Gouvernement en matière d'aménagement du territoire. Je rappellerai les rapports d'information produits par M. Rémy Pointereau dans le cadre du groupe de travail sur les pôles d'excellence rurale, par MM. Michel Houel et Marc Daunis dans le cadre du groupe de travail sur les pôles de compétitivité. Je veux citer également les rapports d'information de M. Bruno Sido sur la couverture du territoire en téléphonie mobile, et de M. Louis Nègre dans le cadre du groupe de suivi du schéma national des infrastructures de transports. Je n'oublie pas non plus nos travaux législatifs récents, avec le rapport de M. Bruno Retailleau sur la proposition de loi relative à la lutte contre la fracture numérique, ni le rapport que je vous ai présenté sur le projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux services postaux.
L'ensemble des travaux de notre commission, tout en proposant des améliorations, donne acte au Gouvernement de ses efforts pour maintenir la cohésion du territoire dans un contexte économique et budgétaire difficile. Nous nous inscrivons ainsi dans une démarche de critique constructive, et non pas de dénonciation virulente.
Cette mise au point faite, j'en viens à mes observations sur le contenu même de la proposition de loi. Ma première observation est que la valeur normative des différentes dispositions de ce texte est très inégale. Beaucoup d'entre elles, et non des moindres, n'ont pas d'effet juridique direct, mais devraient plutôt relever d'une loi de programmation assignant à l'État des objectifs pour l'avenir. Ma deuxième observation est relative au coût financier de cette proposition de loi, qui est vraisemblablement élevé mais n'est aucunement évalué. J'estime qu'au moins neuf articles ont un coût certain et tombent sous le coup de l'article 40 de la Constitution, qui exclut formellement que l'on puisse gager financièrement la création ou l'aggravation d'une charge publique. Enfin, ma dernière observation sera relative au caractère précipité du rythme imposé pour l'examen de cette proposition de loi. Elle respecte de justesse le délai minimum de six semaines prévu par le règlement du Sénat, alors que la diversité et l'ambition des sujets abordés auraient largement justifié davantage de temps pour leur analyse. Mais cette précipitation de la part de ses auteurs est surtout regrettable parce que les domaines abordés par cette proposition de loi recoupent les champs d'investigation de trois missions communes d'information du Sénat qui n'ont pas encore fini leurs travaux ou les achèvent tout juste : celle sur l'organisation territoriale du système scolaire et sur l'évaluation des expérimentations en matière scolaire, celle sur les conséquences de la RGPP pour les collectivités territoriales et les services publics locaux et celle relative à Pôle emploi. Ainsi, cette proposition de loi préjuge largement des conclusions de ces trois missions communes d'information et j'estime indispensable que notre commission puisse se prononcer en bénéficiant de l'éclairage apporté par les analyses solidement étayées qui résulteront de leurs travaux.
Aussi je vous propose, à ce stade, d'adopter une motion tendant au renvoi de ce texte en commission.