Le droit au logement, que le Conseil constitutionnel avait érigé il y a quinze ans en objectif à valeur constitutionnelle est encore bien loin d'être effectif. La loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable, le Dalo, n'a pas résolu le problème comme par miracle. Bernard Seillier, le rapporteur de notre commission, avait dit à l'époque que la solution dépendait aussi du « système de construction et de mise sur le marché de logements sociaux en provenance du parc public ou privé, d'une part, de la résorption du différentiel entre la solvabilité de la demande et le coût de l'offre de location d'autre part ».
Aussi le seizième rapport annuel de la Fondation Abbé Pierre constate-t-il malheureusement l'extension de l'exclusion par le logement. Si ses résultats concrets restent minces, le Dalo est le révélateur d'une situation tendue, et d'abord en Ile-de-France. Sur 200 006 demandes déposées, seulement 25 819 personnes ont été relogées ou hébergées dans le cadre du Dalo ; le nombre des cas résolus s'élève toutefois à 38 800 si l'on tient compte des cas résolus avant le passage en commission de médiation, car le Dalo a l'effet indirect d'accélérer le traitement des dossiers. La crise économique, ce coupable idéal, est bien loin d'être la seule responsable de la détérioration de la situation à laquelle essaie de remédier la proposition de loi en renforçant la portée du Dalo et en protégeant les locataires en difficulté contre les expulsions au moment où celles-ci menacent un nombre croissant de ménages et constituent un risque majeur d'exclusion.
Le non ou le mal-logement révèlent les insuffisances de la politique du gouvernement. Selon la dernière enquête de l'Insee, 133 000 personnes étaient sans domicile en 2006, dont 33 000 dans la rue ou accueillies occasionnellement dans des structures d'hébergement d'urgence, et 100 000 accueillies temporairement dans divers dispositifs. D'autres personnes recouraient à des solutions individuelles (hôtel à leurs frais ou hébergement chez des particuliers) ; 17 % des 38 000 personnes vivant à l'hôtel avaient moins de dix-huit ans. Hors la population étudiante, les personnes hébergées par des tiers avec lesquels elles n'ont pas de lien de parenté direct forment plusieurs catégories : le noyau dur de cet hébergement contraint représentait 79 000 personnes entre dix-sept et quarante-neuf ans qui n'avaient pas les moyens d'avoir un logement indépendant bien que 43 % d'entre elles travaillaient ; plus de 50 000 personnes de plus de soixante ans, dont une majorité de femmes, vivaient chez des tiers, surtout en zone rurale. Par ailleurs, 282 000 jeunes adultes vivaient dans leur famille, faute de pouvoir accéder à un logement personnel ou d'avoir pu s'y maintenir.
Enfin, le mal-logement concernait 2,9 millions de personnes occupant des logements de fortune, sans confort ou surpeuplés.
L'Insee estimait ainsi à 3,2 millions le nombre de personnes ne pouvant accéder à un logement satisfaisant. Le rapport 2011 de la Fondation Abbé Pierre retient pour sa part une évaluation de 3,6 millions de mal-logés, en y incluant les gens du voyage victimes du manque de places en aire d'accueil. Il est du reste délicat de dénombrer les personnes vivant dans des squats, des bidonvilles, en camping à l'année, voire, comme certains travailleurs pauvres, dormant dans leur véhicule - les enquêtes spécifiques de l'Insee remontent à 1996 et 2001 pour la population sans domicile et à 2002 pour l'hébergement.
La demande de logement non satisfaite reste importante, note la Fondation Abbé Pierre. Elle s'élevait à 1 230 000 pour les logements sociaux en 2009, pour une offre de 448 100 dans le parc HLM - l'offre disponible est passée de 480 000 à 448 100 logements entre 2000 et 2009, avec un étage de 411 900 en 2005. Et la situation s'aggrave, faute de moyens pour la politique du logement.
Deux rapports récents ont relevé l'insuffisance de moyens administratifs et juridiques de l'Etat. Dans son rapport public 2009, « Droit au logement, droit du logement », le Conseil d'Etat propose des pistes pour repenser un droit du logement défini comme « un arsenal impressionnant à l'efficacité limitée », et souligne la nécessité d'un appareil statistique de qualité et d'une expertise de haut niveau. Il convient, affirme-t-il, de clarifier le rôle de l'Etat après un éclatement de la gouvernance du logement qui pénalise d'abord les plus défavorisés.
Evaluant la mise en oeuvre du Dalo, le Conseil économique, social et environnemental recommande quant à lui, dans un rapport de septembre dernier, d'élaborer une stratégie de moyen-long terme destinée à réorienter la politique du logement vers le développement de l'offre accessible.
Dans ce domaine comme dans d'autres, l'accumulation des textes n'est pas gage d'efficacité de l'action publique, surtout quand des choix financiers contestables aggravent l'insuffisance de l'effort budgétaire. Vous vous souvenez des critiques suscités par le dernier budget du logement, les rapporteurs du Sénat regrettant l'érosion des crédits, la sous-évaluation des dépenses d'hébergement d'urgence, la mise à contribution des HLM ou encore la participation des employeurs à l'effort de construction afin de compenser le désengagement de l'Etat. L'objectif de construction de logements est élevé : est-il réaliste et quelles sont les perspectives de financement de la politique du logement ?
Malgré le rabotage des niches fiscales, les finances publiques supportent toujours le poids de coûteuses défiscalisations qui ont encouragé des investissements locatifs déconnectés des besoins réels. La création du nouveau prêt à taux zéro renforcé, ouvert aux catégories jouissant des revenus les plus confortables, avait de quoi surprendre : Jean-Marie Vanlerenberghe, notre rapporteur pour avis, l'avait jugée « difficilement compréhensible ».
Ainsi que le constatait le rapport du Conseil d'Etat, il reste beaucoup à faire pour que le droit du logement soit au service du droit au logement. Le comité de suivi de la mise en oeuvre du Dalo, lançait un message d'alerte dans son quatrième rapport annuel, intitulé « L'Etat ne peut pas rester hors la loi ». La proposition de loi, qui procède de préoccupations identiques, traduit la double ambition de donner une portée plus générale au Dalo et de renforcer concrètement les moyens de lutte contre le développement des expulsions et donc contre la précarisation du logement.
Depuis 2001, les loyers du parc privé ont augmenté de 83 % et ceux du parc HLM de 27 %. Avec la stagnation du pouvoir d'achat, la montée du chômage et du travail précaire, les dépenses de logement deviennent insupportables pour les travailleurs pauvres comme pour les ménages à revenu modeste ou moyen : on a prononcé 110 000 décisions judiciaires d'expulsion en 2009. Il faut arrêter de fabriquer des exclus !
Mais un mot, d'abord, du rapport. Normalement, notre commission doit adopter un texte à l'issue de sa discussion. Dans l'hypothèse où elle ne suivrait pas mes conclusions, ce que je regretterais beaucoup, l'accord politique conclu entre les présidents de groupe la conduira à ne pas adopter de texte, afin que le débat porte en séance publique sur le texte initial. C'est pourquoi le projet de rapport écrit rend compte du point de vue que je défendrai, puis de celui de la commission : les positions de chacun seront clairement indiquées avant la séance publique.
J'en viens à l'examen des articles.
L'article 1er élargit le Dalo à toute personne résidant sur le territoire national et donne compétence à toutes les personnes publiques pour s'assurer de la mise en oeuvre effective de ce droit. En effet, la loi de 2007 était destinée à rendre effectif un droit considéré comme universel par des textes internationaux, transcendant donc, comme d'autres droits fondamentaux, le statut administratif des individus. C'est pourquoi les auteurs de la proposition de loi considèrent que le clivage opéré entre nationaux et étrangers, entre étrangers européens et extra-européens, contredit l'affirmation d'un Dalo garanti par l'Etat.
Les conditions de régularité et de durée de la résidence en France ont d'ailleurs été critiquées. La Haute Autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde) a considéré, en novembre 2009, que la différence de traitement entre étrangers communautaires et non communautaires constituait une discrimination. Le Conseil d'Etat a relevé que le texte en vigueur ne règle pas le cas des étrangers en situation régulière sollicitant un regroupement familial. En outre, cette ouverture du Dalo serait cohérente avec la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle. Enfin, laisser les étrangers en situation irrégulière à l'écart du Dalo favorise les marchands de sommeil.
Par ailleurs, si l'Etat est le garant du droit au logement, il apparaît utile d'inciter à l'action concertée de toutes les autorités pour satisfaire la demande de logements : c'est aussi l'objet de cet article.
L'article 1er renforce le Dalo, j'y suis favorable.
L'article 2 interdit à l'Etat de prêter son concours à l'exécution d'une expulsion locative lorsque le locataire n'est pas en mesure d'accéder à un autre logement par ses propres moyens et n'a pas reçu de proposition de relogement adaptée. Cela inciterait à la prévention des expulsions et protègerait des ménages à la merci du moindre accident de parcours sans pénaliser les propriétaires, puisque le refus de concours de la force publique leur permet d'obtenir une indemnisation équivalente au loyer et aux charges du logement.
L'article 3 du texte reprend des préconisations communes au Conseil économique, social et environnemental et au comité de suivi du Dalo : il a pour objet de surseoir à l'expulsion des personnes ayant demandé à bénéficier du Dalo et, si la commission de médiation a conclu au caractère prioritaire de leur demande, il exclut leur expulsion avec le concours de la force publique, tant qu'on ne leur a pas proposé un logement adapté.
Le gage prévu à l'article 4 ne sera probablement pas nécessaire car le relogement des personnes menacées d'expulsion est la solution la moins coûteuse pour l'Etat.