Intervention de Bernard Hourcade

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 24 janvier 2007 : 1ère réunion
Audition de M. Bernard Hourcade directeur de recherche au cnrs sur l'iran

Bernard Hourcade, directeur de recherche au CNRS :

a tout d'abord souligné que l'opposition entre tradition et modernité, souvent invoquée à propos de l'Iran, ne saurait être considérée comme une clé de lecture pertinente. Il a proposé une grille d'analyse reposant sur les trois « i », que sont l'Iran et le nationalisme iranien, l'Islam dans un pays géré par les mollahs depuis 25 ans et l'international.

Il a évoqué plusieurs personnalités politiques iraniennes au travers de cette grille d'analyse, aucun interlocuteur iranien ne pouvant, par exemple, être vu selon le seul prisme de son « occidentalisation » supposée mais comprenant toujours une part de nationalisme et de relation avec les dignitaires religieux du régime. Il a considéré que la question nucléaire pouvait être perçue à 60 % comme une question internationale et un enjeu de recherche et de technologie, à 25 % comme un enjeu de nationalisme et, pour le reste, seulement comme un enjeu lié à l'Islam. Il convient de ne pas se laisser aveugler par une lecture de cette question qui serait seulement religieuse.

Il a estimé que l'Iran se trouvait en situation de faiblesse, qu'il s'agisse de sa position internationale, de ses capacités techniques ou de sa situation interne.

Sur le plan international, si les sanctions économiques jusqu'alors imposées par la communauté internationale étaient relativement inefficaces, elles n'en étaient pas moins ressenties par l'Iran comme une condamnation morale et une atteinte à l'honneur du pays.

Sur le plan technique, les échéances annoncées pour la mise en oeuvre de 3 000 centrifugeuses dans le cadre du programme nucléaire ont été régulièrement repoussées, ce qui montre que l'Iran n'est pas en mesure d'acquérir une capacité d'enrichissement autonome avant deux ans. Cette situation pourrait conduire l'Iran à réviser sa tactique sur le dossier nucléaire.

Enfin, sur le plan intérieur, le pays rencontre de grandes difficultés. Le président actuel, élu sur un programme de réformes économiques, n'a obtenu aucun résultat et, à l'heure actuelle, n'est pas capable de présenter le budget de l'Etat devant le Parlement, dans un contexte de baisse des prix du pétrole. Les investissements nécessaires au développement du secteur pétrolier n'ont pas été réalisés depuis 25 ans. La production baisse de 300 000 barils/jour par an, ce qui situe la production iranienne à moins de quatre millions de barils par jour (ce qui était l'objectif de 1990) et ce, dans un contexte de forte croissance de la demande intérieure de pétrole. Faute de raffineries, l'essence consommée par l'Iran provient, pour 40 %, d'importations. A l'horizon de 2010-2012, la baisse des revenus pétroliers, conjuguée à la hausse de la demande intérieure, devrait placer le pays devant des échéances financières catastrophiques. L'industrie locale est quasi inexistante et les entreprises internationales sont faiblement implantées. Les expatriés occidentaux et leurs familles ne représentent pas plus de 3 000 personnes.

Parallèlement, la société iranienne est en pleine expansion. Le recul des populations illettrées et rurales fait place à une progression constante de la population éduquée et urbaine, tendance que la révolution khomeiniste de 1979 n'a pas remis en cause.

La proportion des femmes dans les universités est aujourd'hui supérieure à celle des hommes et le taux de fécondité, en baisse depuis 1986, s'élève aujourd'hui à 1,98 enfant par femme. Les Iraniens éduqués, parfaitement au fait des ressorts du développement économique et de la culture internationale, n'en ont cependant qu'une expérience limitée, seuls 2 % de la population ayant des contacts avec la diaspora. Un fossé s'est creusé entre les attentes sur le terrain économique et les résultats obtenus par le régime.

a ensuite évoqué la géographie électorale de l'Iran. Il a indiqué que le vote en faveur de l'actuel président se concentrait dans le centre du pays, alors que les régions périphériques sunnites ou non persanophones avaient voté contre M. Ahmadinejad, contrairement à la localisation du vote pour et contre M. Khatami en 2001. Dans ce contexte, l'élection de M. Ahmadinejad en 2005, peut être considérée comme un « accident électoral », dans un pays dont la constitution, calquée sur celle de la France, permet malgré tout un débat politique. Le président Ahmadinejad avait bénéficié d'une grande dispersion des voix et du rejet de l'ancien président Rafsandjani, considéré comme le symbole de la corruption et de la « mollahcratie ». Lors des élections locales de décembre 2006, plus de 50 % des votants ont soutenu le courant mené par l'actuel maire de Téhéran, M. Qalibaf, militaire entré tardivement en politique et qui fut un des héros de la guerre contre l'Irak. La nouvelle génération des « Gardiens de la révolution » qui arrivent aujourd'hui au pouvoir est très hétérogène. Elle n'est pas, par principe, anti-occidentale. Les anciens preneurs d'otages de l'ambassade américaine en 1979 peuvent ainsi être considérés comme des interlocuteurs valables, dans la mesure où ceux-ci, ayant été des étudiants tiers-mondistes formés aux Etats-Unis, se réclamaient d'un Iran certes islamiste, mais moderne. Ils représentent aujourd'hui un courant modéré et pragmatique. Nombre d'entre eux ont été, par la suite, des partisans du président Khatami. M. Bernard Hourcade a souligné l'antagonisme opposant les combattants du front de la guerre Iran-Irak, au nombre desquels figure M. Qalibaf, à ceux qui, à l'instar de M. Ahmadinejad, avaient fait une carrière dans les services de renseignements intérieurs.

Evoquant le dossier nucléaire, M. Bernard Hourcade a considéré que le caractère de puissance nucléaire de l'Iran était désormais un fait, le pays disposant de la capacité technique et scientifique d'enrichir l'uranium. La destruction totale du programme nucléaire iranien par des moyens militaires est illusoire. L'application du protocole additionnel au Traité de non-prolifération de 2003 et 2005 a permis que ce programme se déroule sous le contrôle des inspecteurs de l'Agence internationale pour l'énergie atomique (AIEA), ce qui n'est plus le cas actuellement. En l'absence de toute avancée dans les négociations, ce programme se poursuit hors de tout contrôle international. Une action militaire serait une erreur majeure conduisant à une « bunkerisation » de l'Iran susceptible de vivre sur ses réserves et avec le risque que le pays développe, en dix ans, une capacité atomique militaire.

Devant l'impossibilité technique de parvenir à un résultat dans des délais brefs, la majorité de l'opposition iranienne considère l'objectif d'acquisition d'une capacité nucléaire militaire comme un suicide économique. Au contraire, l'annonce, pour le Nouvel an iranien (le 21 mars 2007), d'une avancée technologique symbolique, comme celle de la mise en service opérationnelle d'une capacité de centrifugation limitée (500 centrifugeuses), permettrait peut-être de contenter le pôle nationaliste et de sauver la face en cachant ainsi l'échec technologique. Dans cette hypothèse, les négociations pourraient reprendre en acceptant le programme dans son état d'avancement actuel mais en le plaçant immédiatement sous contrôle de l'AIEA, ce qui permettrait de satisfaire l'exigence d'un arrêt vérifiable et durable du programme militaire et d'éviter sa poursuite clandestine. L'Iran devrait alors appliquer totalement le protocole additionnel du Traité de non-prolifération.

a observé que cette option faisait débat entre les Etats-Unis et l'Europe. Il a estimé que l'Iran ne contrôlait plus directement le Hezbollah, dont les capacités militaires sont affaiblies au Liban, et que la préférence de Téhéran allait à une situation sous contrôle en Irak et non au désordre qui risquerait de se propager. L'Iran, conscient de ses faiblesses internationales, économiques et politiques, pourrait accepter une négociation, permettant le maintien de la République islamique.

Il a souligné, en conclusion, que le débat était ouvert en Iran mais aussi à l'échelle internationale. En France, le dossier suscite des clivages qui traversent les partis politiques et en rendent la gestion difficile. Il a ainsi regretté que la reprise d'initiative de la France ait été compromise par une évocation prématurée dans la presse de l'envoi d'un émissaire.

Un débat s'est instauré avec les commissaires.

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