Intervention de Étienne Apaire

Commission des affaires sociales — Réunion du 21 mai 2008 : 1ère réunion
Addictions — Audition de M. Etienne Apaire président de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie mildt

Étienne Apaire, président de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (Mildt) :

a précisé que, ayant été nommé en septembre 2007, il dispose désormais du recul nécessaire pour affirmer que l'état des lieux en matière d'addictions n'est pas satisfaisant en France. La consommation de drogues s'y place à un très haut niveau et notamment, pendant longtemps, au premier rang pour le cannabis consommé par les jeunes de dix-sept ans. Même si l'Espagne et la République tchèque la devancent aujourd'hui dans ce domaine, la situation reste inquiétante avec quatre millions d'expérimentateurs, 1,2 million de fumeurs consommant en moyenne dix « joints » par mois, et 150 000 consommateurs fumant au moins un « joint » par jour. Le débat sur la nocivité du cannabis est aujourd'hui dépassé. D'une part, la plante consommée est désormais génétiquement modifiée pour sa part produite en Grande-Bretagne et au Canada. D'autre part, les scientifiques anglais ont établi de manière indubitable les corrélations entre consommation de cannabis et certaines maladies mentales, comme la schizophrénie. De plus, le cannabis et le tabac, en raison du lien obligatoire qui s'établit dans la consommation de ces deux produits, cumulent les effets addictifs. Les savoirs scientifiques permettent aujourd'hui d'éviter des discours moraux en termes de bien et de mal et de se concentrer sur la lutte contre les effets destructeurs du cannabis.

En matière de drogues de synthèse, comme la cocaïne, la consommation a doublé en France depuis 2002. On estime à 250 000 le nombre des usagers de cocaïne et à un nombre équivalent celui des usagers d'ecstasy. L'Europe est le deuxième marché le plus prometteur pour les cartels de l'Amérique du Sud, qui ne peuvent accéder au marché nord-américain désormais contrôlé par les cartels mexicains. L'euro fort et l'important bassin de population font que ces cartels ont décidé d'approvisionner massivement l'Europe en cocaïne. Les chargements partent d'Amérique du Sud et passent par les pays d'Afrique de l'Ouest où ils sont stockés. La valeur marchande d'une tonne de cocaïne dans les rues d'Europe est d'environ 100 millions de dollars, soit à peine moins que le Pib de la Guinée Bissau par exemple, ce qui permet aux cartels d'« acheter » des complicités nombreuses au sein des pays en développement. Le traitement chimique des drogues a bénéficié de l'apport de chimistes venus des pays de l'Est qui ont fait progresser les méthodes de production. On a longtemps sous-estimé la dangerosité des drogues de synthèse qui ont bénéficié de leur association, dans l'imagination populaire, avec le show-business. Ce défaut d'appréciation est la cause de la diffusion de ces drogues qui utilisent aujourd'hui le réseau de distribution du cannabis et touchent toutes les catégories sociales et toutes les zones géographiques urbaines ou rurales. En Espagne et en Grande-Bretagne, l'usage des drogues et ses conséquences sont l'une des premières causes d'admission des moins de quarante ans aux urgences des hôpitaux.

La lutte contre l'héroïne est le seul véritable succès de la lutte contre la toxicomanie mais au prix de la mise en place de programmes de substitution. Ceux-ci ont permis de limiter la diffusion du VIH et des hépatites dans le milieu des toxicomanes. Environ 100 000 personnes bénéficient actuellement d'un traitement à la méthadone ou au subutex, permettant d'éviter un retour à la consommation d'héroïne malgré la surproduction mondiale résultant des cultures de pavot en Afghanistan.

Puis M. Etienne Apaire a abordé la question de l'alcoolisme. On estime enfin que quatre millions de personnes en France ont un problème d'alcool. Au sein de la population des dix à vingt-cinq ans, près de 10 % s'adonnent au « bindge drinking », que l'on peut traduire par « la défonce du week-end ». Ce n'est plus la convivialité qui est recherchée au travers de l'alcool, mais l'oubli. L'apprentissage de ces modes de consommation est de plus en plus précoce, comme le montrent les enquêtes périodiques faites à partir des déclarations des jeunes.

Face à la multiplicité des addictions, la Mildt considère que son rôle est de coordonner la lutte contre les substances qui ont un impact sur la santé et sur l'ordre public. Elle a ainsi participé à la lutte contre le tabac qui est un succès ; il est d'ailleurs paradoxal que le tabac concentre plus d'inquiétudes que le cannabis. La Mildt exerce une veille sur les addictions sans produit comme celles aux jeux de hasard mais se concentre sur les problèmes plus anciens et complexes.

Concernant la lutte contre les addictions, la régulation doit se faire par la règle. L'éducation doit s'appuyer sur des règles claires. La Mildt a longtemps été rattachée au ministère de la santé pour mener une action de type essentiellement sanitaire. Elle était présidée, à l'époque, par un médecin et disposait de 26 millions d'euros de crédits sur le programme Santé. Elle est aujourd'hui rattachée au Premier ministre et ses crédits d'intervention figurent parmi ceux consacrés à la coordination du travail gouvernemental. Il s'agit là d'une clarification des compétences de la Mildt qui s'est poursuivie au travers du contrôle des crédits accordés aux associations. La Mildt ne donne plus directement de crédits mais agit au travers des cabinets des préfets et des ministères. Cette nouvelle pratique est conforme aux souhaits de la Cour des comptes et du Parlement. Tous les crédits accordés font l'objet d'un rapport.

La loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance a permis de nombreuses avancées en matière de lutte contre les addictions. Elle a rompu avec la logique binaire de la loi de 1970 qui n'offrait le choix qu'entre la prison ou l'injonction thérapeutique. L'usage récréatif des drogues a réduit l'efficacité de ces deux outils puisque les magistrats ont désormais affaire à une population qui n'est pas dépendante. En conséquence, la loi du 5 mars 2007 a créé une nouvelle série de sanctions pédagogiques sous la forme de stages courts, un à deux jours, de sensibilisation des consommateurs sur l'usage des drogues. Le premier stage de ce type sera organisé prochainement à Dijon. Il est payant et coûte environ 300 euros, à comparer au plafond de 450 euros fixé par la chancellerie. Ces stages constituent un progrès par rapport aux peines de prison qui n'étaient jamais appliquées. Concernant leur coût, l'observatoire français des drogues et des toxicomanies a estimé que le budget moyen mensuel d'un consommateur de cannabis était de 80 euros pour le cannabis seul et de 160 euros avec le tabac associé. La somme demandée pour le stage n'est donc pas disproportionnée.

Il est essentiel d'appliquer les interdits si l'on veut lutter efficacement contre les addictions. On enregistre chaque année 120 000 interpellations pour cause d'usage. 90 % d'entre elles se soldent par un simple rappel à la loi sans effet. L'une des innovations de la loi du 5 mars 2007 a été la création d'une circonstance aggravante pour les infractions commises sous l'emprise de l'alcool. Là où l'ébriété pouvait passer auparavant pour une exonération de responsabilité, elle est désormais réprimée, ce qui est important pour les représentations collectives. Par ailleurs, les obligations de soins ont été étendues, ce qui permet de traiter plus efficacement les consommations abusives d'alcool.

Concernant les moyens mis en oeuvre dans la lutte contre les addictions, la Mildt a tenté d'assurer une coordination plus efficace entre l'ancien plan de lutte contre la toxicomanie et le nouveau plan addictions. Cela renvoie au problème des financements qui lui seront accordés : il est impératif de préserver le budget de lutte contre les addictions, sachant qu'il reste très inférieur à celui qu'y consacrent des pays voisins, la Hollande en matière de prévention du cannabis, par exemple, même si elle trouve un complément de ressources dans l'usage légal de cette drogue. On ne peut continuer à minimiser les effets sur l'ordre public des drogues excitantes comme la cocaïne et le crack qui, dans les départements ultramarins et aux Etats-Unis, conduisent à la violence et à la désocialisation. Une lutte efficace exige des campagnes d'explication et de communication, et cela a un coût.

Le plan européen de lutte contre les drogues et la toxicomanie sera discuté lors de la présidence française de l'Union. La France a été moteur en ce domaine et a pris de nombreuses initiatives comme la création du groupe Pompidou au Parlement européen, la création de l'observatoire européen des drogues et la lutte contre le blanchiment.

Le ministre de la santé, Roselyne Bachelot a ouvert avec le plan Santé de nouveaux sujets comme l'interdiction de la vente d'alcool aux mineurs de moins de dix-huit ans. La Mildt participera à tous les combats contre les addictions.

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