Intervention de Éric Besson

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 16 février 2011 : 2ème réunion
Audition de M. éric Besson ministre chargé de l'industrie de l'énergie et de l'économie numérique

Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique :

La commission de l'économie a souhaité m'inviter à venir m'exprimer aujourd'hui, et à vous présenter mes priorités dans deux grands domaines relevant de ma compétence : l'industrie et l'économie numérique. Vous m'avez également demandé de faire un point dans un 3ème domaine, celui du photovoltaïque.

En ce qui concerne l'industrie, je vais commencer par un constat, qui est celui de son poids et de son importance dans l'économie nationale.

Quelques chiffres, tout d'abord, pour souligner cette importance. L'industrie représente près de 80 % des exportations de biens et services français. C'est également plus de 90 % des dépenses françaises privées de R&D avec des secteurs, comme l'automobile, qui sont les premiers en termes de brevets déposés. L'industrie, ce sont enfin des secteurs d'excellence et des champions mondiaux, dans le domaine de l'énergie, de la chimie ou de la santé.

L'industrie, malgré des discours alarmistes sur la « désindustrialisation » ou les « délocalisations rampantes », est donc bien toujours un moteur de notre économie, contribuant aux emplois, à l'activité et à notre balance commerciale.

Je crois profondément que la thèse selon laquelle l'économie française serait entrée dans une ère « postindustrielle », où seuls les services créeraient de la valeur, est désormais derrière nous.

Chacun est maintenant convaincu de la nécessité de maintenir une industrie solide en France. Le Président de la République, que j'accompagnais hier lors de son déplacement à Montmirail dans la Marne, sur le site de l'usine AXON Câble, a réaffirmé avec force l'importance que la politique industrielle revêt aujourd'hui et les moyens que l'État y consacre.

Je veux ensuite rappeler que beaucoup a été fait depuis 2007, afin de redynamiser notre politique industrielle :

- la création d'un environnement fiscal favorable à l'investissement et à l'innovation dans l'industrie, avec le triplement du crédit impôt recherche, qui représente désormais un montant de 4 milliards d'euros par an ; et la suppression de la taxe professionnelle, qui permet d'alléger la charge fiscale des entreprises de 12,3 milliards d'euros en 2010, et de 6,3 milliards d'euros par an à compter de 2011 ;

- le renforcement des fonds propres des entreprises, avec notamment la création du Fonds stratégique d'investissement (FSI), doté de 20 milliards d'euros dont 6 milliards d'euros de liquidités ;

- l'accélération de la politique des pôles de compétitivité, qui a permis à ce jour le financement de près de 6 milliards d'euros de projets de recherche et développement collaboratifs ;

- la mobilisation dans le cadre des États Généraux de l'Industrie, avec près de 5 000 participants dans toute la France et 23 mesures annoncées par le Président de la République en mars 2010 à Marignane ;

- les 35 milliards d'euros des investissements d'avenir enfin, qui sont un formidable levier de développement pour notre économie, avec notamment 18 milliards d'euros de financements pour l'industrie. Les appels à projets pour les instituts d'excellence - les Instituts de recherche technologiques (IRT) et les Instituts d'excellence énergies décarbonées (IEED), dotés au total de 3 milliards d'euros - ont été clos lundi 31 janvier, et devraient permettre de faire émerger prochainement de nouveaux instituts d'excellence.

- les annonces récentes, enfin, du Président de la République, lors de son déplacement à Saint Nazaire le 25 janvier dernier, où il a annoncé 3 milliards d'euros de prêts supplémentaires pour les PME industrielles, à travers la mobilisation de 75 % des dépôts supplémentaires sur les livrets A et livrets de développement durable, ainsi que l'apport de 1,5 milliard d'euros supplémentaire au FSI, afin qu'il soit mieux en mesure d'accompagner les PME et les entreprises de taille intermédiaire.

Beaucoup a donc été fait depuis 2007 pour redynamiser notre politique industrielle, et les statistiques commencent à le confirmer. En janvier 2011, le moral des industriels a atteint son plus haut niveau depuis le début de la crise de 2008. Je veux y voir le signe d'un retour de la confiance.

S'agissant de mes priorités en 2011 pour rendre notre industrie plus forte et plus innovante, il me paraît essentiel, maintenant que ces mesures d'urgence ont été prises depuis 2007, de s'attaquer aux leviers plus « structurels ».

Parmi ceux-ci, deux me paraissent primordiaux : l'amélioration de notre compétitivité, notamment vis-à-vis de notre principal partenaire, client et concurrent, qu'est l'Allemagne, ainsi que la nécessité de créer une vraie politique industrielle européenne.

Notre première priorité en matière industrielle doit être d'améliorer la compétitivité de notre industrie. Michel Didier, Président de COE-Rexecode, m'a remis il y a deux semaines un rapport très instructif sur le différentiel de compétitivité entre la France et l'Allemagne. Quels que soient les indicateurs retenus (solde des échanges de marchandise, valeur ajoutée, emploi industriel, chômage, progression du PIB moyen par habitant...), le constat reste invariablement le même : la France enregistre, depuis 2000, un différentiel négatif de compétitivité avec l'Allemagne, et qui s'accroit d'année en année.

Ce différentiel entre la France et l'Allemagne n'est pas la prolongation d'une tendance structurelle, ni moins encore une fatalité, puisqu'au début des années 1970, la France gagnait des parts de marché par rapport à l'Allemagne. De même, au moment de la réunification allemande, la France a conservé ses parts de marché vis-à-vis de celle-ci. Ce différentiel est donc un phénomène nouveau, que l'on date généralement du début des années 2000.

Le rapport de Michel Didier identifie toute une série de facteurs pour l'expliquer. Des explications structurelles, bien connues - la capacité à travailler ensemble, entre syndicats et patronats, en Allemagne ; la proximité recherche-éducation-industrie, plus forte en Allemagne qu'en France, ou encore la compétitivité hors coûts.

Mais l'étude insiste surtout sur le décalage important en matière de coûts salariaux, et le décrochage de la France depuis une dizaine d'années.

Les coûts salariaux complets, par exemple, ont augmenté de 28 % en France entre 2000 et 2007, contre seulement 16 % en Allemagne. Autre exemple, la structure du coût du travail : car vous le savez, la composante « charges sociales sur les salaires » est nettement supérieure en France (44 % du salaire brut en France contre 30 % en Allemagne). Il en résulte qu'augmenter un salarié de 100 euros nets coûte à l'employeur 175 euros en France, contre 155 euros en Allemagne.

Il y a donc un vrai sujet de « recalage » de nos coûts industriels. Il y a, plus généralement, l'enjeu d'une compétitivité qui passe par l'innovation, le design, la productivité de nos industries... C'est à tous ces défis qu'il nous faut nous atteler au cours de l'année 2011.

Une autre priorité « structurelle » est la promotion d'une vraie politique industrielle européenne et nous bénéficions actuellement d'une « fenêtre de tir » en la matière. La crise a montré aux gouvernements, même à ceux pourtant les moins enclins à parler de politique industrielle, comme en Grande-Bretagne, la nécessité de construire une vraie politique industrielle européenne.

Nous bénéficions également d'un commissaire européen en charge de l'industrie, Antonio Tajani, très ouvert et réceptif sur ce sujet, ainsi que de la présence active de notre ami Michel Barnier, en charge du portefeuille du marché intérieur.

Il y a donc un contexte propice, qu'il faut mettre à profit à la fois pour créer des outils communs, et pour entreprendre des réflexions plus structurantes sur la manière dont la zone Euro se comporte par rapport à ses grands concurrents.

Créer des outils communs tout d'abord : je milite en faveur de la création de pôles de compétitivité européens, la création d'un fonds européen de capital risque, ainsi que d'un brevet européen, sujet sur lequel une coopération renforcée vient d'être lancée. Tous ces outils permettront de créer une vraie solidarité et une vraie unité, au sein de l'Europe.

Il nous faut également réfléchir à nos relations avec nos principaux partenaires des pays émergents ensuite, et je pense notamment à la Chine. J'ai ainsi chargé Yvon Jacob, notre ambassadeur pour l'industrie, d'une mission sur la réciprocité avec les pays tiers. Soyons clairs : la question est de savoir comment faire pour que nos entreprises disposent des mêmes accès aux marchés chinois, que ceux dont les entreprises chinoises peuvent bénéficier en France.

L'Europe a démontré sa capacité à être une grande zone de consommation et de concurrence. Elle doit démontrer sa capacité à rester une zone de production. L'Europe a beaucoup agi pour la protection du consommateur et la promotion de la concurrence. Elle doit encore faire ses preuves en matière de soutien à ses entreprises.

Voilà ce que je voulais vous dire sur mes priorités en matière de politique industrielle. J'en viens maintenant au deuxième sujet qui nous passionne tous, je crois, l'économie numérique. L'économie numérique représente un quart de nos gains de productivité, et en représentera bientôt un tiers. Le développement du numérique en France est donc stratégique pour notre économie, la compétitivité de nos entreprises et l'attractivité de nos territoires. Conformément au plan France numérique 2012, le Gouvernement s'est fixé trois grandes priorités.

En premier lieu, il s'agit de permettre à tous les Français d'entrer pleinement dans le numérique, entre autres par le déploiement de la fibre optique dans les zones les moins denses : 2 milliards d'euros d'aides publiques seront ainsi engagés dans les prochains mois, afin que 70 % de la population française puisse bénéficier du très haut débit fixe dans un délai de 10 ans. La Télévision Numérique Terrestre apportera par ailleurs à tous les Français, d'ici le 30 novembre prochain, 18 chaînes gratuites en qualité numérique. J'avais obtenu en 2008 que les fréquences libérées, ce que l'on appelle le « dividende numérique », soient affectées aux services mobiles d'accès à Internet haut débit. Je procéderai ainsi au lancement de l'appel à candidatures des fréquences les plus performantes jamais affectées aux télécommunications civiles dans notre histoire. Ces fréquences seront attribuées à l'été, de sorte qu'au moins deux opérateurs couvrent 99 % de la population par les réseaux du très haut-débit mobile dans un délai de 15 ans.

Mais déployer des réseaux sans cesse plus performants n'aura de sens que si nous avons le souci d'apporter de nouveaux services, utiles, aux personnes connectées. Ainsi, dans le cadre du programme numérique des investissements d'avenir, piloté avec René Ricol, Commissaire général à l'Investissement, le Gouvernement va consacrer 2,5 milliards d'euros au développement des services, usages et contenus numériques innovants. Neuf thématiques très variées, allant de la nanoélectronique à la valorisation et la diffusion des contenus, ont été identifiées comme stratégiques pour le développement de l'économie numérique en France. Depuis le mois de septembre dernier, le Gouvernement a déjà lancé 7 appels à projets pour soutenir la recherche et le développement sur ces thématiques. Les appels à projets restants, sur la ville numérique et les transports intelligents, seront lancés cette semaine. Le Gouvernement va également soutenir, sous forme de prêts et de prise de participations, des projets économiquement rentables, afin de contribuer à l'émergence d'acteurs leaders dans le domaine du numérique. Ces soutiens seront ouverts sous la forme d'un appel à manifestations d'intérêt, qui sera lancé dans les prochaines semaines.

Il s'agit, enfin, de mieux prendre en compte la révolution numérique dans la définition des politiques publiques. C'est l'objectif du Conseil national du numérique, instance de consultation, dont le Président de la République a annoncé la création dans les prochaines semaines. Au plan international, il s'agira d'avancer vers un « Internet civilisé », dans le cadre de la présidence française du G8 et du G20. Les données personnelles des internautes, qui forment leur « identité numérique » et sont essentielles aux services en ligne (comme les cyberachats ou l'e-administration), devront, à cet égard, être mieux protégées et plus simples d'usage.

Enfin, je finirai en évoquant le photovoltaïque. Le Gouvernement a un objectif clair : vivre la transition énergétique comme une opportunité industrielle. Cela signifie, notamment, de mettre fin à la bulle photovoltaïque et de remettre le système sur des rails sains.

Vous le savez, le Gouvernement a décidé le 2 décembre dernier de suspendre l'obligation d'achat de l'électricité d'origine photovoltaïque, pendant trois mois, pour les installations supérieures à 3 kilowatts-crête. Cette suspension était nécessaire, compte tenu de l'emballement observé au sein de la filière. Le défi qui se présente à nous aujourd'hui consiste à construire ensemble un cadre de soutien adapté au développement du photovoltaïque en France, tout en ayant le souci de protéger les consommateurs qui sont, vous le savez, les financeurs du système au travers de la Contribution au Service Public de l'Electricité (CSPE).

Sous l'autorité du Premier ministre, avec Nathalie Kosciusko-Morizet, nous avons sollicité l'expertise de MM. Jean-Michel Charpin et Claude Trink pour nous accompagner dans cette réflexion et mener auprès des acteurs une concertation sur les modalités de soutien à la filière. Cette concertation a été conduite dans la transparence, en associant l'ensemble des parties prenantes de la filière, les parlementaires, les représentants des consommateurs et les organisations environnementales. Les échanges ont été riches et animés tout au long des six réunions de concertation, tant sur les aspects tarifaires que sur les potentiels de création d'activités et d'emplois pour la filière industrielle française. La dernière réunion a eu lieu vendredi dernier. Sur la base des conclusions de cette réunion, un rapport doit être finalisé et nous être remis avant vendredi.

Nous proposerons, alors, un nouveau cadre de soutien au photovoltaïque, et les arrêtés de mise en oeuvre du dispositif seront soumis pour avis au Conseil supérieur de l'énergie (CSE) ainsi qu'à la Commission de régulation de l'énergie (CRE). Ces arrêtés seront publiés au plus tard le 8 mars prochain au Journal Officiel, pour une entrée en vigueur le 9 mars, date à laquelle la suspension des tarifs de rachat prend fin.

Permettez-moi de vous dire quelques mots sur ma vision du nouveau dispositif. Au-delà de son caractère stable et pérenne, le nouveau régime de soutien au photovoltaïque devra répondre à trois objectifs :

- optimiser les surcoûts du nouveau dispositif sur la CSPE ;

- donner à la filière les moyens de son développement sur le territoire national, mais également à l'international, grâce à un soutien à l'innovation ;

- atteindre au plus vite la « parité réseau », c'est-à-dire parvenir à un prix de revient de l'électricité photovoltaïque comparable à celui des autres formes de production d'électricité.

Je tire, d'ores et déjà, un bilan positif de la concertation. Il me semble qu'un premier consensus s'est dégagé sur les grandes lignes du dispositif à mettre en oeuvre, qui se décline selon deux mécanismes distincts :

- un système d'appel d'offres pour les plus gros projets, comme les centrales au sol ;

- un régime de tarifs d'achat pour des projets de taille plus modeste.

J'ai aussi pris note des besoins d'information exprimés pendant la concertation, en ce qui concerne la file d'attente des projets et nous ferons des propositions allant vers plus de transparence, par exemple grâce à une publication trimestrielle, voire mensuelle, du volume de la file d'attente.

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