Vous avez énuméré, Monsieur le Ministre, l'ensemble des mesures gouvernementales importantes qui ont été prises récemment : le crédit impôt-recherche, que les propositions du Sénat avaient visé à resserrer pour le cibler davantage sur les PME plutôt que sur les banques et les assurances, la suppression de la taxe professionnelle, le renforcement en fonds propres, l'aide aux pôles de compétitivité, les 35 milliards d'investissements d'avenir.
De cela, il ressort que votre approche est essentiellement concentrée sur les coûts. Or, il me semble que la question du différentiel entre la France et l'Allemagne dans le domaine de l'industrie ne peut pas être interprétée uniquement par les coûts. Il y a trente ans d'histoires industrielles différentes, comme le soulignait récemment l'ancien ministre Francis Mer. Au moment où l'on a arrêté en France de fabriquer des machines-outils, l'Allemagne a continué à en fabriquer ; au moment où l'on délaissait l'industrie pour les services, l'Allemagne a choisi de renforcer son industrie ; au moment où l'on essayait de concurrencer les pays low cost sur les produits bas de gamme, l'Allemagne a élevé la qualité de ses produits. Cette stratégie différente de l'Allemagne depuis plusieurs décennies porte aujourd'hui ses fruits et, de ce fait, même si le coût du travail augmentait légèrement en Allemagne, les produits allemands se vendraient toujours car ils sont recherchés pour leur robustesse, leur qualité et leur design. Ainsi, c'est dans cette fuite en avant, consistant à vouloir faire évoluer notre société vers une société de services, que doivent être recherchées les causes de la désindustrialisation.
Deuxièmement, les aides importantes qui sont accordées par l'Etat aux grands groupes doivent obligatoirement avoir des contreparties, comme par exemple leur présence sur le sol français, leur engagement à ne pas délocaliser et à conduire de vraies politiques de filières, qui ne feraient pas du global sourcing un principe intangible.
Mme Lilas Demmou, chargée de mission à l'OCDE, que nous avons auditionnée dans le cadre de la mission commune d'information sur la désindustrialisation des territoires, que je préside, nous a indiqué que les délocalisations n'étaient pas un facteur si déterminant dans la désindustrialisation. En revanche, le global sourcing, qui réduit les centres de production à être des centres d'assemblage, déstructure complètement nos filières de production. Nous devons non seulement obtenir une attitude responsable sur les coûts, mais, en même temps, nous devons exiger des contreparties. J'ai, évidemment, en mémoire l'intervention de Carlos Ghosn, lors des États généraux de l'industrie, où il demandait la suppression de la taxe professionnelle, alors que trois mois plus tard, il annonçait que la Clio, produit de moyenne gamme, serait fabriquée en Turquie. Cela ne devrait pas être possible : dans la mesure où l'État et les contribuables ont aidé une entreprise, il doit y avoir un certain « patriotisme industriel ».
C'est une facilité de voir dans les délocalisations des refus d'innovation. Sur ce sujet, il est important que le Gouvernement demande la relocalisation de certaines fabrications.
Je rejoins Alain Chatillon sur la question des PME et des TPE. Nous avons pu constater, lors du déplacement de notre mission à Stuttgart, un certain nombre de points :
- 85 % du tissu industriel du Bade-Wurtemberg est essentiellement constitué de TPE et de PME ;
- lorsque l'on compare, au sein de l'entreprise Bosch, deux sites de production de haut niveau - un en France et un Allemagne - on constate un coût du travail identique ;
- enfin, le maire de Stuttgart a souligné le rôle essentiel de la taxe professionnelle pour l'industrie.
Je crois qu'en matière de coût du travail, si l'on veut une juste vision de la réalité, on ne peut pas se fonder uniquement sur les statistiques d'Eurostat. Il faut également regarder les statistiques du FMI, ou encore les statistiques allemandes, selon lesquelles le coût du travail en France est à peu près le même qu'en Allemagne. Plusieurs pays d'Europe, d'ailleurs, ont un coût du travail inférieur au nôtre et connaissent une désindustrialisation profonde. Nous avons également rencontré, dans le cadre de notre mission, des industriels italiens à Sophia Antipolis, qui ont estimé que notre productivité était la meilleure d'Europe et aussi que nous avions un coût de l'énergie 30 % inférieur à la moyenne européenne. Il importe de voir aussi nos avantages.
Nous croyons comme vous, Monsieur le Ministre, à la réindustrialisation. Mais cette politique doit couvrir un spectre très large. Il s'agit de comprendre les erreurs du passé afin de pouvoir se réorienter, aujourd'hui et demain, vers des axes de travail solides. A cet égard, la révolution verte est essentielle. Concernant la filière photovoltaïque, j'ai chez moi, dans le secteur automobile, des entreprises qui se sont diversifiées à 50 % dans ce domaine : si les tarifs de rachat ne sont pas mis en place pour des capteurs photovoltaïques de nouvelle génération dotés d'une empreinte carbone de qualité, la filière - qui représente environ dix mille emplois - risque de disparaître.
Enfin, si l'on veut que les politiques de réindustrialisation réussissent, il faut qu'elles s'appuient sur un pacte entre l'État et les territoires.