Intervention de Edmond Hervé

Délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation — Réunion du 6 octobre 2010 : 1ère réunion
Bilan de la décentralisation — Débat d'orientation et lancement d'un groupe de travail

Photo de Edmond HervéEdmond Hervé, rapporteur :

Tout d'abord je souhaite que notre groupe de travail fonctionne de manière ouverte et pluraliste. A ce titre, j'accorde beaucoup d'importance aux annexes qui peuvent figurer dans un rapport, car elles permettent l'expression de points de vue qui n'ont pas recueilli un minimum d'audience mais qui n'en sont pas moins tout à fait respectables.

Cela étant dit, j'en viens à ce qui pourrait constituer le fil conducteur du bilan sur lequel j'ai souhaité que notre délégation se penche.

Au point de départ de mon initiative se trouvent les deux discours de Toulon et de Saint-Dizier, dans lesquels le Président de la République avait tenu sur les collectivités territoriales des propos qui devaient être à l'origine d'une controverse ; le fait qu'il y ait eu une prise de position du chef de l'État lui-même ayant donné lieu à controverse justifie, à mes yeux, que l'on se penche attentivement sur le problème en dressant un bilan de la décentralisation.

Quelle démarche pourrait-on suivre pour le réaliser ? Je voudrais vous livrer quelques grandes lignes, au nombre de quatre, étant bien précisé qu'il ne s'agit que d'une ébauche appelée à être précisée et complétée.

En premier lieu, notre groupe de travail devrait me semble-t-il se pencher sur ce que j'appellerai le nouveau paysage institutionnel.

Ce nouveau paysage institutionnel, c'est d'abord un ensemble de références juridiques dont il convient de faire l'inventaire et l'analyse. Je suis frappé par l'absence de référence à la Constitution dans les débats sur la décentralisation. Cela m'étonne car je conçois la Constitution comme la norme suprême ; je considère que c'est à la loi de s'adapter à elle et pas le contraire. On peut ne pas être favorable à certains principes constitutionnels (M. Balladur, par exemple, lors de son audition par la commission que présidait M. Belot, avait fait part de son opposition au principe de libre administration) ; néanmoins, on ne peut dresser un bilan de la décentralisation sans se pencher sur le cadre juridique dans lequel elle s'insère : d'abord la Constitution, puis les lois et les autres normes. A cet égard, il y a lieu de rappeler que, juridiquement, la France n'est pas un pays fédéral ; c'est un point qu'il faut toujours garder à l'esprit avant d'émettre des propositions telles que l'inscription dans la Constitution des compétences de l'État : pourquoi pas, mais cette méthode relève plus d'un État fédéral que d'un État unitaire et me semble à ce titre contraire à notre tradition historique. Et puisque je parle de tradition, je ne peux manquer d'évoquer notre fameuse clause générale de compétence sur laquelle il nous faudra évidemment nous pencher. Nous verrons ce qui, sur ce point, sortira du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, mais je considère que, si le texte définitif reflète la position de l'Assemblée nationale, nous aurons une novation juridique de taille par rapport aux grandes lois de décentralisation.

Le nouveau paysage institutionnel, c'est ensuite une nouvelle organisation. Je pense à la régionalisation ; je pense à la problématique départementale, avec les deux missions qui doivent, selon moi, relever de ce niveau de collectivité : la solidarité sociale et la solidarité territoriale ; je pense à l'intercommunalité ; je pense à la diversité consultative, le terme « diversité » n'étant peut-être pas le plus juste puisque je fais ici référence à la multitude de structures (commissions, comités ou autres) travaillant sur les collectivités territoriales ; enfin, je pense à ce que l'on pourrait appeler la permanence municipale, c'est-à-dire au fait que le maire reste depuis toujours l'élu le plus populaire dans les sondages d'opinion, ce qui n'est pas un hasard : je suis convaincu de l'exemplarité exceptionnelle du fonctionnement du conseil municipal dont l'État gagnerait beaucoup à s'inspirer.

La deuxième partie du fil conducteur que je vous soumets porte sur l'approche quantitative. L'idée serait de nous livrer d'abord à une approche comptable globale, c'est-à-dire de retracer l'évolution sur une longue période des budgets des collectivités, de leur fiscalité, de leur dette, des interventions de l'État... Puis, une fois ces évolutions retracées, il conviendrait d'essayer de les interpréter pour mieux comprendre et mesurer les différents composants de l'action territoriale. Cela nous permettra de montrer que les collectivités sont des acteurs très importants dans bien des domaines (économique, social, culturel, environnemental...).

En troisième lieu, je vous propose de nous pencher sur ce qui constitue les caractéristiques de notre décentralisation. Pour être succinct, je dirai que nous passons d'une décentralisation de transfert à une décentralisation de projet. Je suis frappé par la somme de documents prévisionnels, prospectifs, pluriannuels et contractuels que l'on trouve dans nos collectivités territoriales ; cette tendance à regarder vers l'avenir me semble en décalage avec une certaine myopie de l'État ; elle constitue, elle aussi, une forme d'exemplarité dont il devrait s'inspirer.

Je vois en outre dans la tendance à l'extension de la démocratie une autre caractéristique de notre décentralisation : alors que le pouvoir d'État est dans une large mesure aux mains de personnes issues des grandes écoles, il en va différemment du pouvoir au niveau local. La panoplie des origines sociales y est beaucoup plus large.

Enfin, le quatrième point de mon fil conducteur porte sur ce que j'appelle une dynamique à parfaire. Cela suppose de se pencher sur les réformes actuelles et ensuite de mettre l'accent sur les attentes qui demeurent insatisfaites.

Voilà les grandes lignes du contenu du bilan tel que je l'envisage.

En ce qui concerne la méthodologie, j'insiste sur un fonctionnement ouvert et pluraliste de notre groupe de travail : personne n'a le monopole de la vérité. Nous devrons nous appuyer sur la masse considérable de documents déjà produits et dont beaucoup, par exemple ceux de la Cour des comptes ou du Sénat, sont de très grande qualité. Il nous faudra élaborer un questionnaire à soumettre à nos interlocuteurs, au premier rang desquels je pense à nos collègues du Sénat responsables de collectivités territoriales. Nous devrions avoir des visites de terrain et des auditions. Il serait en outre impardonnable de ne pas utiliser les travaux de notre délégation, ceux qui ont été publiés et ceux qui seront prochainement présentés.

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