Il est un point qui touche au bilan de la décentralisation, mais qui présente un tel degré d'urgence que nous ne pouvons nous permettre d'attendre sept ou huit mois pour le traiter.
Je pense à la situation dans laquelle se trouvent les départements, du fait de l'explosion des dépenses obligatoires mises à leur charge, notamment dans le domaine social : allocation personnalisée d'autonomie, prestation de compensation du handicap et revenu de solidarité active.
Tout le monde est conscient de la gravité du problème. Tout le monde sait qu'il est largement dû aux décisions que prend l'État et dont d'autres, en l'occurrence les départements, doivent ensuite assurer le financement.
Mais le temps passe et rien ne se passe.
Convaincu qu'on ne peut plus attendre, que nous avons franchi la limite du supportable, je veux que les pouvoirs publics prennent sans délai les mesures qui s'imposent.
L'enjeu est évidemment celui de la soutenabilité des dépenses départementales, mais il pose aussi une véritable question de gouvernance : comment la démocratie, qui implique que les citoyens jugent les élus sur leur gestion, peut-elle fonctionner lorsque les gestionnaires ne sont pas les décideurs ?
Il n'est évidemment pas question de remettre en cause la compétence générale de l'État dans le domaine de la solidarité. En revanche, il est impérieux d'assurer la lisibilité des interventions de chaque échelon, d'avoir une claire distinction entre les dépenses imposées sans compensation par l'État et les dépenses résultant de choix effectués au niveau local.
Je vous annonce donc que je compte déposer dans les jours prochains, à titre personnel, une proposition de loi.
Sachant que la question de la compensation financière des différentes prestations sociales a été mise sur la table, notamment par les présidents de conseil général socialistes, je laisse le débat se poursuivre sur ce point et propose quatre pistes complémentaires, au nom de la bonne gouvernance :
La première consiste à exiger une motivation juste et sincère des actes règlementaires qui augmentent les charges pour les collectivités territoriales. Mon raisonnement est le suivant :
- s'il y a motivation, elle sera contrôlée par le juge administratif (dès lors, bien entendu, qu'il serait saisi dans le cadre d'un contentieux) ;
- par conséquent, si la motivation comprend une évaluation des charges nouvelles qui n'est pas juste et sincère, le juge annulera le règlement ;
- par conséquent, s'il ne veut pas être censuré, le Gouvernement devra être sincère dans l'évaluation des charges qui en résultent : il devra écrire noir sur blanc le coût des charges qu'il impose aux collectivités territoriales... avec les conséquences pour lui s'il refuse de les compenser : il n'y a donc pas d'obligation juridique de compenser (ce qui est une garantie vis-à-vis de l'article 40), mais une pression politique que l'on peut espérer assez efficace.
La deuxième piste consiste à prévoir des règles de présentation et d'évaluation permettant de bien distinguer les charges résultant des prescriptions de l'État de celles qui résultent d'initiatives des collectivités elles-mêmes. Dans ce cadre, nous pourrions notamment suggérer l'élaboration d'une nomenclature comptable commune permettant de bien séparer les dépenses pour compte d'État des dépenses discrétionnaires engagées par les collectivités.
La troisième piste consiste à exiger que tout règlement de l'État ayant pour conséquence d'augmenter, directement ou indirectement, une dépense imposée aux collectivités territoriales prévoie des modalités et un montant de compensation. Là encore, le Gouvernement serait libre de fixer le montant en question : il pourrait fort bien, juridiquement, aller jusqu'à dire qu'il ne compense qu'à moitié, voire pas du tout... mais au moins, politiquement, les choses seraient claires.
Enfin, la quatrième piste consisterait à couronner le tout par une loi organique consacrant la compétence du législateur pour fixer les principes fondamentaux relatifs à la compensation des charges qui résultent, pour les collectivités territoriales, des prescriptions de l'État (je vous rappelle que l'article 34 de la Constitution, qui dresse une liste des matières relevant du domaine de la loi, confie in fine au législateur organique le soin de préciser, voire de compléter cette liste). Avec une telle loi organique, le Gouvernement pourrait être tenu d'avoir l'accord, au moins implicite, du Parlement pour créer ou augmenter les charges des collectivités territoriales dans les domaines qui leur ont été transférés. Nous aurions, pour faire court, une sorte d'article 40 à l'envers, car applicable au Gouvernement (et limité aux charges des collectivités territoriales).