Intervention de Louis Gallois

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 avril 2008 : 1ère réunion
Industrie de défense — Audition de M. Louis Gallois président-directeur général d'eads

Louis Gallois, président-directeur général d'EADS :

En réponse au président de la commission, M. Louis Gallois, a rappelé que s'il n'appartenait pas effectivement aux industriels de la défense de définir la politique de défense, inversement, il ne pouvait y avoir de politique de défense autonome sans base industrielle et technologique solide. S'agissant du Livre blanc, il a indiqué qu'un cycle de 15 ans venait de se clore, et que le cycle qui s'ouvrait était marqué par l'émergence de nouvelles menaces et la nécessité de définir un nouveau modèle d'armée. L'industrie a été associée aux travaux du Livre blanc par l'intermédiaire du sous-groupe présidé par M. Jean-Martin Foltz et la tenue d'une réunion d'information présidée par M. Jean-Claude Mallet, président de la commission du Livre blanc. Il a exprimé sa préoccupation sur le retard pris par la publication du Livre blanc, et donc sur les risques de décalage de la loi de programmation militaire. Dans ce contexte, le budget 2009 risque fort d'être un budget « blanc », c'est-à-dire un budget d'attente, ne pouvant pas traduire des décisions politiques qui n'auraient pas encore été prises ou qui auraient été prises trop tardivement.

Après ces remarques, M. Louis Gallois s'est exprimé sur la direction générale de l'armement (DGA). Il a indiqué que l'idée de faire de la DGA une « agence d'achats » (solution déjà expérimentée, puis abandonnée au Royaume-Uni) était une mauvaise idée. En revanche, les industriels ressentent la nécessité d'une « interface » forte, capable de définir une véritable politique industrielle, d'avoir une vision stratégique et d'engager un partenariat de long terme constructif et exigeant avec l'industrie de la défense. Tel est le cas désormais en Grande-Bretagne, où EADS discute avec des interlocuteurs parlant un langage industriel et allant au-delà d'une politique d'achats reposant sur de simples critères de prix ; EADS a signé un partenariat stratégique avec quatre ministères (défense, industrie, universités et recherche et collectivités locales). Il est également important que le ministère de la défense s'interroge sur une application moins systématique de la règle du « moins-disant » pour privilégier, au contraire, le « mieux-disant ». Aux Etats-Unis, par exemple, pour l'appel d'offres relatif au programme d'avions ravitailleurs, le prix n'était qu'un critère de choix parmi d'autres et pas le plus important. Les autres critères portaient sur la qualité, le niveau de risque et l'adéquation du produit aux objectifs. En outre, le choix du « moins-disant » se traduit souvent à terme par des retards ou des surcoûts, liés à des compléments de prestations non pris en compte à l'origine ou pour compenser la non-tenue des spécifications par l'achat de prestations ou matériels supplémentaires. Concernant l'application des règles de la concurrence, M. Louis Gallois a indiqué qu'il y avait un code de conduite élaboré par l'Agence européenne de défense (AED) et qu'il y souscrivait sans réserve. Compte tenu des préférences nationales qui s'expriment légitimement dans les appels d'offres, il a souhaité que les entreprises véritablement européennes, telle EADS, soient traitées sur un strict pied d'égalité avec les sociétés nationales. M. Louis Gallois a appelé l'attention des sénateurs sur la nécessité de se méfier de certaines clauses susceptibles d'avoir des effets anti-économiques. Ainsi, il a regretté que le programme de l'avion de transport A-400 M ait porté, moyennant un prix fixe, à la fois sur un programme de développement d'un avion extrêmement complexe et sur la livraison de 179 exemplaires de cet avion. Il eût été souhaitable d'avoir, sur ce projet, des études préalables et des programmes d'évaluation du risque permettant d'identifier les difficultés, d'esquisser des solutions et, en définitive, de réduire les risques industriels à supporter. EADS ne s'engagera plus à l'avenir dans de tels contrats, trop déséquilibrés en matière de portage de risques.

a ensuite indiqué que la politique de recherche devait à tout prix demeurer une priorité dans la future loi de programmation militaire et qu'il fallait impérativement maintenir la capacité de nos bureaux d'études, véritable patrimoine national, dont la construction a nécessité 30 ans. Il revient à l'Etat seul de décider du maintien ou non de ces capacités qui ont jusqu'à présent fait partie de sa posture de défense ; le réemploi des personnels concernés ne posera pas de difficulté à EADS qui a besoin de ressources dans d'autres secteurs en forte croissance, comme l'aéronautique civile. L'objectif d'un milliard d'euros fixé par le rapport Fromion et le CIDEF sur la recherche de défense devrait être réaffirmé. S'agissant d'EADS, trois domaines sont essentiels : les missiles balistiques, les missiles de croisière et les satellites d'observation. Il a également émis le souhait d'une plus grande coordination européenne. La recherche européenne ne représente que 20 % de l'effort de recherche américain en matière de défense. De plus, 90 % de cette recherche sont effectués sur une base nationale, et seulement 10 % sont coordonnés au niveau européen, ce qui donne lieu à de multiples redondances.

a indiqué, qu'en dehors du cas particulier de la dissuasion, aucun pays en Europe n'avait les moyens, seul, de développer de grands programmes. Il ne fait aucun doute, pour lui, que le prochain avion de combat sera européen. La création d'une industrie européenne de défense forte peut enclencher un cercle vertueux et susciter un accroissement de l'effort national de défense qui ferait qu'un nombre très limité de pays aurait moins à supporter, les autres se réfugiant plus ou moins derrière le « parapluie américain ». Pour cela, il faut être capable de leur montrer qu'industriellement cela serait avantageux pour eux.

a considéré qu'il serait souhaitable de renforcer, l'Agence européenne de défense (AED). Dans cette perspective, il a formulé sept recommandations : 1° identifier en commun les lacunes capacitaires. Telle est la condition nécessaire pour permettre l'élaboration de programmes communs qui constituent la synthèse, et non pas la superposition, des besoins des états-majors nationaux ; 2° accepter une certaine dépendance réciproque fondée sur des accords d'approvisionnements sécurisés ; 3° s'engager à ne pas dupliquer les programmes, sauf exigences impératives ; 4° mettre l'Agence européenne de développement au coeur des processus de décision, afin que son information lui permette de jouer son rôle de catalyseur ; 5° accepter la clause de la nation la plus favorisée sans restriction opérationnelle, c'est-à-dire sans « dégrader » les matériels livrés aux armées nationales entre pays européens. Cette clause pourrait s'appliquer, par exemple, aux six pays de la lettre d'intention ; 6° se faire confiance et s'engager à regarder honnêtement toutes les possibilités européennes avant d'avoir recours à d'autres offres nécessaires à une réelle compétition ; 7° se doter d'organes de pilotage des programmes européens forts, l'OCCAR constituait un progrès à cet égard comparé à certaines expériences antérieures (NH90). Enfin, il a espéré qu'on n'oppose pas les coopérations bilatérales et l'Europe de la défense, les premières permettant d'amorcer des coopérations plus larges.

a ensuite souhaité s'exprimer sur l'externalisation. Le fait de confier à l'industrie les tâches qu'elle connaît et pour lesquelles elle est la plus efficace permet au ministère de la défense de concentrer son énergie sur l'opérationnel. Les économies à en attendre ne sont pas toujours gigantesques, mais elles existent. Elles permettent en outre aux états-majors de se concentrer sur leur coeur de métier. Il a cité le cas du contrat des avions ravitailleurs FSTA passé avec les forces armées britanniques pour lequel EADS garde la propriété des avions et en assure l'entretien, ainsi que PARADIGM, opérateur qui fournit les communications satellitaires sécurisées aux armées britanniques à un coût très compétitif car il peut amortir ses investissements en vendant le service à d'autres utilisateurs. De la même façon, sur la base aérienne de Cognac, le fait qu'EADS assure la première formation des pilotes induit des économies de l'ordre de 35 % pour le ministère de la défense. En Allemagne, EADS assure le maintien de la flotte aérienne de la Luftwaffe, en équipe intégrée avec celle-ci. Une telle politique, en France, suppose des avancées en matière de distorsion fiscale (notamment la TVA) entre solutions patrimoniales et externalisations, ainsi que des règles adaptées de consolidation de la dette publique.

Enfin, M. Louis Gallois a indiqué qu'en matière d'exportations, EADS avait toujours bénéficié d'un soutien très fort de la part du gouvernement français. Il s'est félicité des décisions positives prises à la suite du rapport Fromion, avec la création du comité interministériel des exportations de défense et celle de la « war room » informelle à l'Elysée. Il a souhaité que soit mis en place un « Schengen » des matériels de défense pour au moins les six pays européens signataires de la LOI, afin de permettre la création de matériels en Europe. Cette création d'un marché intérieur ne doit cependant pas conduire à donner à la Commission européenne une compétence sur les marchés extérieurs.

Un débat s'est ensuite engagé avec les commissaires.

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