Intervention de Jean Faure

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 9 avril 2008 : 1ère réunion
Sécurité — Avenir de la gendarmerie - examen du rapport d'information

Photo de Jean FaureJean Faure, président du groupe de travail :

a rappelé qu'en novembre 2007, la commission avait décidé de constituer en son sein un groupe de travail chargé de réfléchir à l'avenir de l'organisation et des missions de la gendarmerie. Ce groupe de travail, qui était composé de Mme Michèle Demessine, et de MM. Hubert Haenel, Philippe Madrelle, Charles Pasqua, Yves Pozzo di Borgo et André Rouvière, a procédé, au cours des cinq derniers mois, à l'audition de plus de vingt-six personnalités, dont de nombreux gendarmes et officiers de gendarmerie, mais aussi de la police et du ministère de la justice, ainsi que des représentants d'associations de retraités ou d'épouses de gendarmes, ou encore des officiers de l'Arme des carabiniers italiens et de la garde civile espagnole.

Le groupe de travail a aussi effectué plusieurs déplacements, dont l'un au siège du groupement blindé de gendarmerie mobile à Versailles Satory, l'autre en Isère, auprès du groupement de gendarmerie départementale et de plusieurs brigades territoriales. Enfin, la commission a auditionné le ministre de la Défense, M. Hervé Morin, et le ministre de l'Intérieur, Mme Michèle Alliot-Marie, sur la gendarmerie.

Au terme de ses travaux, le groupe de travail a formulé dix-sept recommandations :

- la première proposition consiste à reconnaître à la gendarmerie la qualité de « quatrième armée », a indiqué M. Jean Faure, président du groupe de travail. La place de la gendarmerie est actuellement ambiguë, a-t-il fait observer, puisqu'elle n'est pas véritablement considérée comme une armée, à l'image de l'armée de terre, de l'armée de l'air et de la marine, et qu'elle ne peut être assimilée à une force de police en raison de son statut militaire. Certes, à la différence des trois armées, la gendarmerie n'a pas pour vocation première de participer directement au combat, puisqu'elle est chargée essentiellement d'une mission de sécurité sur le territoire, mais pour autant, la gendarmerie fait partie intégrante des forces armées. Elle est, en effet, investie de missions militaires, comme la police militaire, par exemple, elle participe à la défense, sur le territoire national et dans le cadre des opérations extérieures, et les officiers et les sous-officiers de gendarmerie sont des militaires de carrière soumis au statut général des militaires. Dès lors, pourquoi ne pas reconnaître à la gendarmerie la qualité de « quatrième armée », à l'image de ce qui existe en Italie pour l'Arme des carabiniers italiens ? L'expression de « quatrième armée » marquerait nettement son appartenance pleine et entière à la communauté militaire et elle constituerait un signal fort pour le maintien du statut militaire de la gendarmerie dans le contexte de son futur rattachement au ministre de l'intérieur. Elle ne fait pas obstacle à ce rattachement ni à la reconnaissance d'une place spécifique de la gendarmerie au sein des armées justifiée par la nature particulière de ses missions ;

- la deuxième recommandation du groupe de travail consiste à maintenir, dans l'optique de son futur rattachement au ministre de l'intérieur, des liens étroits avec le ministère de la défense et le ministère de la justice. Le rattachement organique et budgétaire de la gendarmerie au ministre de l'intérieur, à compter du 1er janvier 2009, a été annoncé par le Président de la République, a rappelé M. Jean Faure, président du groupe de travail. Certains membres du groupe de travail ont émis des réserves sur ce rattachement, mais cette réforme s'inscrit dans le prolongement des évolutions précédentes, a-t-il indiqué en rappelant que, depuis 2002, la gendarmerie est placée pour emploi auprès du ministère de l'intérieur, pour ses missions de sécurité intérieure, et que 95 % de l'activité de la gendarmerie est consacrée à la sécurité, contre 5 % aux missions militaires. Le rattachement organique et budgétaire de la gendarmerie au ministre de l'intérieur permettra de développer des mutualisations de moyens et de renforcer la coopération entre la police et la gendarmerie en matière de lutte contre la délinquance et d'améliorer ainsi la sécurité, qui reste une des premières préoccupations des Français ;

- cette réforme soulève toutefois la question du maintien du statut militaire de la gendarmerie, dès lors que celle-ci ne sera plus placée sous l'autorité du ministre de la défense, a estimé M. Jean Faure, président du groupe de travail. Dès lors que les gendarmes et les policiers seront placés sous une tutelle unique, comment éviter que ne s'expriment des aspirations à une convergence accrue. L'attitude de la communauté militaire à l'égard de la gendarmerie lorsqu'elle aura été rattachée au ministère de l'intérieur est également source d'interrogation. Dans ce contexte, le groupe de travail considère qu'il est indispensable de préserver le statut militaire, car il en va de l'essence même de la gendarmerie. Composante à part entière de l'institution militaire, la gendarmerie permet au gouvernement d'assurer, sans discontinuité, la gestion des crises, du temps de paix au temps de guerre. L'Etat a besoin de disposer d'une force capable en permanence d'affronter de manière certaine, instantanée et efficace les situations pouvant revêtir un caractère extrême. Il paraît donc indispensable de conserver le statut militaire de la gendarmerie et de maintenir des liens étroits entre la gendarmerie et le ministère de la défense, ainsi qu'avec le ministère de la justice.

La troisième recommandation du groupe de travail vise donc à garantir dans la future loi sur la gendarmerie le maintien de son statut militaire. L'annonce, par le Président de la République, d'une loi sur la gendarmerie a été très bien accueillie par les personnels, a indiqué M. Jean Faure, président du groupe de travail, en rappelant que la gendarmerie est actuellement régie par un simple décret datant de 1903. Cette loi ne devrait pas se résumer à un texte d'affichage, mais elle devrait rappeler les missions et le statut militaire de la gendarmerie, a-t-il estimé ;

- Quatrièmement, si la gendarmerie a progressivement acquis une certaine autonomie au sein des armées, elle le doit notamment à la création d'une direction générale spécifique au sein du ministère de la défense, a rappelé M. Jean Faure, président du groupe de travail. L'une des craintes fréquemment évoquées à l'égard du rattachement au ministère de l'intérieur tient à l'éclatement des différents services de la direction générale de la gendarmerie parmi ceux du ministère de l'intérieur, qui conduirait à une marginalisation des gendarmes au profit des policiers. Dans ce contexte, le maintien d'une direction générale de la gendarmerie autonome au sein du ministère de l'intérieur constituerait une garantie importante pour la préservation de la spécificité de la gendarmerie. La nomination à la tête de la direction générale de la gendarmerie d'un général issu de ses rangs en 2004 a été une nouveauté particulièrement appréciée par l'ensemble des personnalités entendues par le groupe de travail, car elle est apparue comme la marque d'un attachement à la pérennité de cette institution ;

Compte tenu du futur rapprochement avec le ministère de l'intérieur, il paraît d'autant plus souhaitable de conserver cette règle à l'avenir, a estimé M. Jean Faure, président du groupe de travail. En effet, tant que la gendarmerie était rattachée au ministère de la défense, la désignation à sa tête d'un magistrat ou d'un préfet avait une certaine logique, mais dès lors qu'elle sera rattachée au ministère de l'intérieur, le fait qu'elle soit dirigée par un général issu de ses rangs constituera une garantie supplémentaire pour le maintien de son statut militaire ;

- la cinquième priorité vise à renforcer la coopération entre la police et la gendarmerie sans fusionner les deux forces. Ainsi, l'action des groupements régionaux d'intervention (GIR), qui présentent l'originalité de regrouper au sein d'une même structure des gendarmes, des policiers, des douaniers et des agents d'autres administrations, mérite d'être amplifiée, a estimé M. Jean Faure, président du groupe de travail ;

- sixième recommandation, la coopération entre la police et la gendarmerie passe aussi par la mise en commun de leurs moyens. La mutualisation des moyens de la gendarmerie et de la police devrait être développée, notamment pour l'achat des équipements, le soutien logistique, ou encore les systèmes d'information et de communication. On pourrait également envisager des formations communes, dans certains domaines spécialisés, comme les maîtres-chiens par exemple. En revanche, la formation initiale doit rester distincte, et le maintien du recrutement d'officiers de gendarmerie à la sortie des grandes écoles des trois armées mérite d'être préservé car il participe de l'appartenance de la gendarmerie à la communauté militaire ;

- septième recommandation : le rapprochement entre police et gendarmerie ne doit pas non plus porter atteinte au dualisme de la police judiciaire, a estimé M. Jean Faure, Président du groupe de travail. Le dualisme de la police judiciaire, qui se traduit par le principe du libre choix du service enquêteur par les magistrats, constitue une garantie essentielle d'indépendance pour l'autorité judiciaire. Il convient donc de le préserver en mentionnant dans la future loi sur la gendarmerie que, pour l'exercice de sa mission de police judiciaire, la gendarmerie est placée sous la responsabilité de l'autorité judiciaire ;

- huitième recommandation : il en va de même pour l'emploi des forces mobiles. A la différence des CRS, les gendarmes mobiles ne peuvent être employés au maintien de l'ordre que sur réquisition des préfets, a rappelé M. Jean Faure, président du groupe de travail. Ce système de réquisitions est la traduction du principe de subordination des forces armées à l'autorité civile, de plus, en vertu de cette procédure, l'autorité civile n'interfère pas dans le commandement de la force armée ; enfin, elle constitue une garantie pour les citoyens, notamment en cas de circonstances exceptionnelles, où serait prescrit l'usage des armes ou de véhicules blindés pour le rétablissement de l'ordre. C'est la raison pour laquelle il paraît très important de conserver cette procédure, en particulier son caractère écrit, même si l'on pourrait envisager d'en alléger le formalisme, a estimé M. Jean Faure, président du groupe de travail ;

- neuvième recommandation : la coopération entre police la gendarmerie passe aussi par une meilleure répartition des deux forces sur le territoire. Le « maillage » territorial de la gendarmerie, assuré grâce à l'implantation des brigades territoriales, doit être absolument préservé, car il est la condition de la proximité de la gendarmerie avec la population. L'évolution des bassins de vie et de la délinquance rend toutefois de nouveaux redéploiements indispensables, afin de mettre l'organisation territoriale des forces de sécurité en adéquation avec les réalités du terrain. La police devrait s'inscrire dans une logique d'agglomération, tandis que la gendarmerie devrait s'inscrire dans une logique de contrôle du territoire et des flux ;

- la dixième recommandation du groupe de travail porte sur l'action internationale et européenne de la gendarmerie. L'exemple de l'Espagne montre que le rattachement de la Garde civile au ministère de l'intérieur se traduit par une moindre implication de cette force dans les opérations extérieures, car le ministère de l'intérieur espagnol est réticent à laisser partir à l'étranger des forces destinées à assurer la sécurité sur le territoire et à en supporter le coût budgétaire.

Il convient donc de veiller à ce qu'en France, le rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur n'entame pas l'investissement de la gendarmerie dans les opérations extérieures, a estimé M. Jean Faure, président du groupe de travail, rappelant que le Président de la République s'est engagé à préserver la capacité opérationnelle de la police et de la gendarmerie ;

- onzième recommandation : dans le même temps, se pose la question de l'application éventuelle à la gendarmerie du principe de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, qui est étudiée dans le cadre de la révision générale des politiques publiques. Certes, la suppression de 3500 postes sur trois ans sur un effectif total de 101 000 personnels de la gendarmerie peut sembler à première vue négligeable, mais elle équivaudrait cependant à la suppression d'un poste de gendarme par brigade territoriale, alors que de nombreuses unités sont d'ores et déjà confrontées à un problème de sous-effectif. Afin de préserver sa capacité opérationnelle, il paraît donc indispensable aux membres du groupe de travail, sinon d'augmenter les effectifs, du moins de les maintenir à leur niveau actuel ;

- douzième recommandation : la future loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure devrait également poursuive les efforts de modernisation des équipements de la gendarmerie et de la police, en les dotant de nouveaux moyens technologiques. En outre, si d'importants efforts ont été réalisés ces dernières années par les collectivités territoriales, l'état de vétusté de certaines casernes appartenant à l'Etat demeure préoccupant et cela pèse lourdement sur les conditions de travail et de vie des personnels de la gendarmerie et de leur famille. Un important effort budgétaire de longue haleine nécessite donc d'être entrepris dans les prochaines années concernant la rénovation des casernes domaniales ;

- treizième recommandation : accroître le potentiel opérationnel de la gendarmerie passe aussi par le rencentrage des gendarmes sur leur coeur de métier et la réduction des « tâches indues ». Comme le groupe de travail a pu le constater, lors de son déplacement en Isère, la charge des transfèrements et des extractions judiciaires, c'est-à-dire des escortes de détenus d'un établissement pénitentiaire à un autre ou à une juridiction, pèse lourdement en temps et en personnel sur la gendarmerie. Faute d'unités spécialisées, cette mission est assurée par les gendarmes des brigades territoriales, au détriment de leur mission de surveillance.

Au total, la gendarmerie y aura ainsi consacré plus d'1,8 million d'heures en 2006 et plus de 1000 gendarmes sont mobilisés quotidiennement à ces tâches. Un transfert de cette charge à l'administration pénitentiaire ou la création d'une police spécifique, à l'image de l'Italie, mériteraient d'être étudiés. En tout état de cause, il semblerait logique que la charge financière des transfèrements et des extractions judiciaires incombe au ministère de la justice, a estimé M. Jean Faure, président du groupe de travail. Cela correspondrait, en effet, à l'esprit de la loi organique relative aux finances publiques (LOLF), selon lequel « celui qui commande paie ». En outre, le transfert de la charge financière au ministère de la justice serait de nature à responsabiliser davantage les magistrats et à encourager le recours à des moyens alternatifs, comme la visioconférence ;

- quatorzième recommandation : loin de représenter un simple avantage, la concession de logement par nécessité absolue de service, qui se traduit par l'obligation statutaire faite aux gendarmes de vivre en caserne avec leur famille sur leur lieu de travail, constitue un élément essentiel du fonctionnement de la gendarmerie, a-t-il estimé. Avec le régime spécifique de disponibilité qui découle du statut militaire, elle permet à la gendarmerie d'assurer sur l'ensemble du territoire un service de proximité et une mobilisation immédiate. Elle doit donc être préservée ;

- quinzième recommandation : comme les membres du groupe de travail ont pu le constater lors de leurs différents entretiens, la principale attente des gendarmes porte sur leur pouvoir d'achat et tient à la parité de traitement avec les policiers. Dans un rapport de février 2007, le Haut comité d'évaluation de la condition militaire avait, en effet, mis en évidence le net « décrochage » de la condition des militaires par rapport à celle des policiers. Garantir une parité globale de traitement et de carrière entre les gendarmes et les policiers n'est pas seulement une question d'équité, mais c'est aussi une condition du maintien du statut militaire de la gendarmerie, a estimé M. Jean Faure, président du groupe de travail. Elle est indispensable pour éviter que les personnels de la gendarmerie ne soient tentés par un alignement de leur statut sur celui des policiers, qui entraînerait la disparition du statut militaire et sa fusion avec la police. A cet égard, si elle correspond à une forte attente des personnels, l'évolution de la condition des militaires de la gendarmerie ne se réduit pas seulement à une affaire de grille indiciaire, elle concerne également le déroulement des carrières ou le nombre d'officiers. Telle est la raison pour laquelle il paraît souhaitable au groupe de travail de poursuivre le mouvement engagé en matière de « repyramidage » des corps et d'accélération des carrières au sein de la gendarmerie ;

- seizième recommandation : le rapprochement entre la police et la gendarmerie soulève aussi la question de la représentation des personnels, a indiqué M. Jean Faure, président du groupe de travail, en estimant que le dialogue social au sein de la gendarmerie ne fonctionne pas de manière satisfaisante. C'est aussi l'une des raisons qui expliquent les manifestations de gendarmes en décembre 2001, qui ont causé un grand traumatisme au sein de la gendarmerie et un certain ressentiment de la part des armées. Si l'appartenance à un syndicat est incompatible avec le statut militaire, la représentativité des membres du Conseil de la fonction militaire de la gendarmerie, qui sont actuellement tirés au sort, pourrait être grandement renforcée par l'instauration d'élections, a estimé le groupe de travail ;

- enfin, la dernière recommandation du groupe de travail concerne la réserve. Elément essentiel du lien Armée-Nation, la réserve de la gendarmerie, qui compte 25 000 personnes, constitue aujourd'hui une force d'appoint indispensable à l'efficacité opérationnelle des unités, notamment en période estivale. A l'avenir, son rôle est appelé à se développer, notamment pour faire face à l'augmentation de la population dans les zones périurbaines. Dans ce contexte, il paraît souhaitable aux membres du groupe de travail de conforter la montée en puissance de la réserve, pour atteindre un effectif de 40 000 réservistes à l'horizon 2012.

En conclusion, M. Jean Faure, président du groupe de travail, a indiqué qu'il a semblé nécessaire aux membres du groupe de travail sur la gendarmerie de mentionner la situation préoccupante de la condition des autres militaires des trois armées. Il ne faudrait pas, en effet, qu'au net « décrochage » constaté entre les gendarmes et les policiers se substitue un nouveau « décrochage » entre les personnels des armées et ceux des forces de sécurité. Le maintien de la gendarmerie au sein de la communauté militaire passe aussi par l'amélioration des conditions des militaires des trois autres armées.

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