Intervention de Bassma Kodmani

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 1er mars 2006 : 1ère réunion
Proche et moyen-orient — Elections palestiniennes - Audition de Mme Bassma Kodmani chercheur associé au collège de france

Bassma Kodmani :

indiqué, en premier lieu, que les résultats surprenants des élections législatives palestiniennes n'avaient été prévus par aucun analyste. Les Israéliens eux-mêmes, qui prennent leurs décisions sur la base d'une planification approfondie, déclinée en différents scénarios, n'avaient que peu développé une telle hypothèse. Aucun institut de sondage ne les avaient non plus annoncés, soit en raison de la précision insuffisante de leurs méthodes, soit parce que la population palestinienne n'a pas distingué les élections législatives des élections municipales, soit, enfin et surtout, parce que les instituts de sondage n'ont pas su analyser les résultats des sondages en fonction du système électoral. Celui-ci a permis au Hamas de largement devancer ses concurrents, en nombre de sièges, au Conseil législatif, avec 45 % des voix, alors que le Fatah et les autres listes avaient ensemble totalisé 55 % des voix. Le Hamas était la seule formation cohérente en présence, alors que les autres partis se sont présentés aux suffrages en ordre dispersé et divisé.

Elle a considéré que les motivations du vote apparaissaient en revanche assez clairement dans ces mêmes sondages : en premier lieu, le vote a marqué une demande d'intégrité dans la gestion des affaires publiques et une sanction contre la corruption. Cette motivation est d'ailleurs fondamentale dans toute la région, où on observe une corrélation étroite entre le développement de la corruption et la montée des islamistes. La deuxième motivation du vote a trait à la sécurité. Les Palestiniens souffrent de l'enfermement, de l'appauvrissement, du chômage et de l'absence de communication entre les différentes parties des territoires. Les institutions de l'Autorité palestinienne se sont effondrées sous l'effet de la corruption, de la mauvaise gestion, mais aussi du manque de moyens et du cantonnement dans les territoires. Cet Etat en construction est déjà, depuis plus de deux ans, un « Etat failli » où se développent milices, bandes armées et gangs divers. La troisième composante des motivations du vote a trait au processus de paix et à la contestation de la stratégie retenue pour conduire les négociations avec Israël. La contestation porte sur la manière dont ces négociations ont été conduites et non sur les négociations elles-mêmes auxquelles 75 % des Palestiniens et 60 % des électeurs du Hamas sont favorables.

a ensuite évoqué la signification du vote palestinien, rappelant que la société palestinienne était l'une des moins « religieuses » du monde arabe et que la religion ne structurait pas la vie quotidienne comme elle peut le faire dans d'autres Etats de la région. Les Palestiniens ont cependant voté pour un mouvement clairement islamiste. Le Hamas appartient à la mouvance des Frères musulmans, dont ils partagent les valeurs, les références et les méthodes d'action sociale et politique. La question de savoir dans quelle mesure ses dirigeants sauront faire preuve de pragmatisme et comprendre les attentes de la population est désormais posée. Mme Kodmani a considéré qu'il était trop tôt pour y apporter une réponse, en dépit de signes positifs donnés par certains dirigeants du mouvement. Elle a estimé que le rôle de la communauté internationale serait très important à cet égard et qu'il était peu probable que la feuille de route redevienne la base à partir de laquelle il serait possible d'obtenir du Hamas la reconnaissance d'Israël. La feuille de route, du point de vue des Palestiniens, incarne l'échec de la stratégie de négociation et contient trop peu d'avantages pour les Palestiniens. En revanche, le plan de paix proposé par le prince héritier saoudien Abdallah, adopté lors du Sommet arabe de Beyrouth, en mars 2002, et qui prévoit la reconnaissance pleine et entière d'Israël par les pays arabes, en échange du règlement de l'ensemble des sujets liés au conflit israélo-palestinien (Jérusalem, frontières, réfugiés...), constitue une base de discussion équilibrée qui mérite d'être activée. L'Arabie saoudite y travaille, et ce plan, qui fait consensus dans le monde arabe, pourrait permettre de faire entrer le Hamas dans le jeu diplomatique, sur un mode accepté par tous les partenaires. Elle a reconnu que ce plan ne constituait cependant pas une base de négociations pour Israël, mais a néanmoins estimé qu'il représentait une voie de sortie de la crise, dans la mesure où il définit d'emblée les objectifs ultimes d'un accord de paix. Or le Hamas a dénoncé un processus de négociation ouvert, repoussant indéfiniment les questions de fond, notamment le statut de Jérusalem et le sort des réfugiés. Les discours de campagne du Hamas mettaient ainsi l'accent sur le « leurre » qu'a représenté, pour les Palestiniens, le processus graduel d'Oslo.

a souligné l'influence que pourront avoir, sur le Hamas, les Frères musulmans des pays voisins. Elle a indiqué que l'Arabie saoudite pourrait détenir une influence déterminante sur le mouvement, notamment en raison de la qualité de son monarque, homme de sagesse et d'expérience qui jouit d'une grande légitimité. L'Arabie saoudite, elle-même engagée dans un processus de réformes internes, pourrait constituer l'interlocuteur naturel des différents mouvements islamistes. Le Hamas est ainsi confronté à un choix important, entre le parrainage de l'Arabie saoudite ou celui de l'Iran. Ce choix devrait naturellement le porter vers l'Arabie saoudite, puissance sunnite et « courroie de transmission » avec les pays occidentaux, dont l'aide, notamment financière, est essentielle pour l'Autorité palestinienne. Le rôle de l'Arabie saoudite dépendra aussi de la marge de manoeuvre que les Etats-Unis lui laisseront, mais on devrait assister à la montée en puissance du rôle régional de ce pays.

a ensuite abordé les conséquences des élections palestiniennes pour le processus de paix et la région. Elle a tout d'abord estimé que la situation sécuritaire pourrait s'améliorer avec une reprise en mains, par le Hamas, des services de sécurité. Si le Hamas s'engageait dans une trêve de longue durée, il pourrait contenir les éléments les plus radicaux, ouvrant la voie à une diminution des attentats perpétrés sur le sol israélien.

Elle a souligné, avant d'aborder les conséquences de l'influence islamiste croissante pour la région, les spécificités palestiniennes. Il s'agit d'un Etat en construction dont la viabilité est plus qu'incertaine, qui dépend totalement de l'aide extérieure et qui est, de surcroît, occupé. Deux forces politiques majeures y sont en compétition, le Hamas et le Fatah, toutes deux également présentes sur le terrain, à la différence de ce qui peut être observé dans d'autres Etats.

a considéré que les élections démocratiques avaient accru la complexité de la situation régionale. Elles ont ceci de positif qu'elles peuvent convaincre les mouvements islamistes que les moyens démocratiques sont une méthode pertinente, même si certains persistent à considérer qu'ils ne sont qu'un moyen de conquête du pouvoir. Une fois parvenus au pouvoir, ces mouvements seraient ensuite plus attentifs à leur opinion publique qu'à la qualité ou à la pérennité de leurs relations avec les Etats occidentaux, ce qui constituerait une nouveauté dans des Etats réputés jusqu'à présent pour leur relative docilité à l'égard de leurs partenaires occidentaux.

Elle a estimé que l'ouverture démocratique devrait se traduire par la transformation des institutions propres aux régimes autoritaires et, en premier lieu, des appareils de sécurité et de répression. Dans certains Etats, comme en Syrie, cette transformation mettrait en péril la stabilité même et la cohésion de l'Etat. La réforme démocratique est donc lourde de risques. Dans certains Etats, elle devrait donc prioritairement porter sur d'autres secteurs que sur les structures sécuritaires que sont l'armée, la police ou les services de renseignements.

a estimé que l'accession des islamistes au pouvoir, lors d'élections démocratiques, semblait acquise dans toute la région. Elle a cependant mis en garde contre une banalisation excessive des mouvements islamistes qui proposent un schéma de société qu'on ne peut considérer comme rassurant, non seulement pour l'occident, mais pour les élites laïques de ces pays, les minorités non musulmanes, les femmes ou encore les milieux d'affaires. Pour autant, le soutien à des régimes autoritaires, au prétexte de la stabilité, n'est plus pertinent et on a constaté, avec les attentats du 11 septembre 2001, que l'autoritarisme pouvait au contraire générer une violence dévastatrice.

Elle a souligné la rapidité des processus d'ouverture politique en cours, prenant pour exemple les récentes élections en Egypte. Elle a indiqué que, si l'évolution vers la démocratie était nécessaire, le processus ne serait pas forcément linéaire, mais que l'expression soudaine de voix diverses, jusqu'à présent réprimées et absentes de l'espace public, pourrait conduire à compliquer la lecture des situations politiques dans les pays concernés.

Elle a affirmé que les islamistes s'inscrivaient sans nul doute durablement dans le paysage politique, tout en soulignant les tendances et courants très divers qui composent ces mouvements, et dont certains peuvent être qualifiés de modérés, dans la mesure où ils défendent une certaine neutralité de l'Etat à l'égard du fait religieux.

a plaidé pour un soutien aux éléments laïcs des sociétés des pays arabes et a souligné qu'il était essentiel que l'ensemble des formations politiques puisse s'exprimer dans des Etats où l'espace du débat public est resté trop longtemps fermé et qui s'est souvent déplacé, de ce fait, vers les mosquées.

Elle a estimé qu'il convenait d'engager un dialogue critique avec les mouvements islamistes, qui consisterait à leur poser toutes les questions relatives aux libertés, aux minorités, aux femmes, à l'ouverture de l'espace social et culturel. Au sein des mouvements islamistes eux-mêmes leurs tendances les plus modérées ont tout à gagner à ce que cette pression soit exercée dans le cadre du dialogue critique, dans la mesure où elle leur permettrait de gagner en influence.

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