A la suite de ces interventions, Mme Bassma Kodmani a apporté les précisions suivantes :
- une large partie de l'opinion palestinienne est favorable à la recherche d'une solution négociée ; il est donc clair que le succès électoral du Hamas ne peut en aucun cas être interprété comme une volonté de reprendre la lutte armée ; une majorité de l'opinion est hostile aux attentats commis sur le territoire israélien, mais les opérations visant des cibles militaires ou des colonies dans les territoires occupés se voient en revanche reconnaître une certaine légitimité ;
- en dépit de leur enlisement en Irak, les Etats-Unis ne renoncent en rien à une stratégie globale de caractère impérial, fondée sur une révision de leurs implantations militaires et de leurs modalités d'action diplomatiques ; les déclarations officielles américaines ne laissent apparaître aucun regret d'avoir encouragé la tenue d'élections démocratiques en Palestine ; en revanche, il ne faut pas s'attendre à un assouplissement de la position de Washington à l'encontre du Hamas dans la mesure où celle-ci est exclusivement déterminée par les impératifs de la lutte anti-terroriste, indépendamment de toute analyse plus large de la question palestinienne ;
- l'Iran est résolu à se poser en soutien du Hamas et ce dernier pourrait être amené à durcir ses positions s'il devenait entièrement dépendant des subsides iraniens ; il semblerait toutefois que le Hamas puisse trouver d'autres substituts à l'aide occidentale ; les sommes en jeu demeurent relativement modestes et les bailleurs de fonds potentiels ne sont pas exclusivement gouvernementaux, puisqu'il serait possible de solliciter les donateurs privés et les réseaux de charité, puissants au sein des sociétés musulmanes ;
- la question du retour des réfugiés palestiniens demeure explosive ; les négociateurs palestiniens ont toujours su que les concessions seraient inévitables en la matière, mais le débat n'a jamais été porté devant la population ; celle-ci n'a absolument pas été préparée à un éventuel renoncement au droit au retour ; un sondage d'opinion avait montré qu'une majorité de réfugiés seraient prêts à accepter une compensation financière sous réserve d'une reconnaissance de la résolution 194 des Nations unies par Israël comme base de négociation. Cette résolution prévoyait le droit au retour ou la « compensation pour les réfugiés », mais il est significatif que la publication de ce sondage ait entraîné des réactions très hostiles, montrant combien la question demeure toujours un tabou ;
- il ne faut pas surévaluer l'importance du clivage sunnites/chiites ; les chiites irakiens se considèrent avant tout comme Irakiens ; le berceau du chiisme se trouve en Irak et l'Iran n'exerce aucune tutelle sur les chiites irakiens ; pour autant, l'embrasement du conflit intérieur irakien inquiète le monde sunnite, car il pourrait avoir des répercussions sur les minorités chiites de plusieurs pays et surtout parce qu'il fait de l'Irak un nouveau terrain pour le développement de noyaux terroristes ;
- le modèle de société préconisé par les mouvements islamistes comporte des aspects inquiétants du fait de la position de la charia vis-à-vis des femmes et des minorités non musulmanes ; il implique également une censure morale et religieuse sur les moyens d'expression et sur la création littéraire et artistique ; en revanche, les mouvements islamistes s'accommodent pleinement de l'économie de marché et mettent l'action sur la justice sociale et la solidarité ;
- il est important de pouvoir dialoguer avec les nouvelles autorités palestiniennes, afin de mieux cerner leur état d'esprit, en particulier sur la poursuite du processus de paix ; les contacts non gouvernementaux sont à ce titre utiles ;
- la notion de « Grand Moyen-Orient » correspond moins à une réalité géographique et politique qu'à l'approche sécuritaire retenue par les Etats-Unis dans le cadre de la lutte anti-terroriste.