Merci. C'est un honneur de venir déposer devant vous.
L'OICS -que l'on appelle « l'Organe »- est née des traités qui ont prévu l'organisation permettant de vérifier la mise en place des clauses de ces traités.
Il s'agit d'une institution qui n'est rattachée à rien sinon aux traités. Elle ne dépend pas de l'ONU, même si celle-ci la finance. Il n'y a aucun doute sur son indépendance : les membres sont élus par le Conseil économique et social des Nations-Unies et signent un document attestant l'absence de rapport avec l'Etat d'origine. Cette indépendance est jalousement gardée, à bonne raison.
Cette indépendance a toutefois amené cet organe à peu communiquer. Il est peu connu et ne tient pas tellement à l'être. Seul le Président communique. Lorsqu'on reçoit une convocation du Parlement, on est cependant tenu d'y déférer. On m'a donc autorisé à parler au nom de l'Organe, toutes les questions que vous avez posées ayant été débattues par celui-ci.
Cet Organe est né en même temps que les conventions et a deux fonctions, l'une clairement définie et l'autre établie dans son principe général mais dont les contours sont assez souples.
En premier lieu, l'Organe est là pour éviter tout détournement du marché licite des drogues. Qu'il s'agisse de stupéfiants ou de substances psychotropes, on a besoin des drogues dans la vie courante, sous forme de médicaments par exemple. Tant que ce commerce n'a pas été contrôlé, il a été l'occasion de détournements considérables.
Le premier objectif est de mettre en place un système qui contrôle notamment les importations et les exportations. Dans ce système, l'Organe, avec les moyens qui étaient les siens, a à peu près réussi. Quand un pays exporte, on est certain à 99 % que la drogue part d'un endroit et arrive bien à un autre.
Cela ne règle pas tout le problème : une fois la drogue arrivée dans le pays où l'autorisation d'importation a été donnée, il n'y a pas toujours de contrôle par l'Etat national des sociétés qui ont besoin de cette drogue pour des raisons médicales, pharmaceutiques, voire industrielles.
Les détournements se font parfois à partir du marché national mais davantage à partir du marché international. Même s'ils ont diminué, ils existent encore.
Lorsqu'un précurseur est vendu d'un Etat à un autre, on vérifie auprès des deux Etats si les sociétés existent ; la drogue ou le précurseur arrivent alors dans la société qui l'a demandé -souvent l'industrie pharmaceutique. Certains Etats répertorient très mal ces produits, ne donnent pas de licence de fabrication ou d'importation. On ne sait alors plus ce que le produit devient. Les trafiquants connaissent bien ces Etats. Nous aussi et nous travaillons avec eux pour mettre en place des structures de surveillance de ces sociétés mais beaucoup d'Etats ont peu de moyens.
On a parfois du mal à voir naître ce que l'on met en place, non parce que les Etats ne le veulent pas mais parce qu'ils n'ont pas de moyens, comme en Afrique par exemple.
Il n'existe quasiment plus de détournements de pays à pays mais énormément à l'intérieur des pays. Nous sommes actuellement en pourparlers avec la Commission européenne pour que certains pays mettent en place un encadrement de ces sociétés. Il ne sert à rien d'encadrer le commerce international si des détournements doivent ensuite avoir lieu !
Le blocage qui a été réalisé au plan international est toutefois une réalité et les détournements n'ont plus rien à voir avec ce qui se passait auparavant mais ils existent cependant -et pas seulement dans les pays émergents. On connaît ce problème dans le cadre de l'Union européenne. On demande donc instamment à la Commission de produire des règlements face aux groupes de pression.
Comment en est-on arrivé là ? Les Etats ont l'obligation, tous les ans ou tous les deux ans, en fonction du type de drogues ou de substances psychotropes, de nous tenir informés de tout ce qui touche à la fabrication, la culture, la consommation, l'exportation, l'importation et les stocks en ce domaine. On a ainsi une idée de ce qui se passe dans un pays.
En second lieu, les Etats doivent nous communiquer chaque année une évaluation de leurs besoins. Certains Etats le font correctement, d'autres n'en ont pas les moyens. Nous devons confirmer ces évaluations et effectuer des missions dans ces pays. Nous nous rendons parfois compte que tel pays a triplé ses besoins par rapport à l'année précédente. Il faut alors qu'il s'explique. S'il ne peut le faire, nous ne confirmons pas les évaluations. Les autres Etats ne peuvent alors pas commercer avec ce pays. Parfois, l'explication tient à de simples erreurs.
L'informatique a rendu plus aisé le suivi des exportations et des importations. Un contrôle très important est exercé sur les produits précurseurs -héroïne, acide sulfurique, acide chlorhydrique, acide acétique, etc.- qui ne constituent pas des drogues mais qui sont nécessaires aux trafiquants pour passer de la morphine à l'héroïne. Tous les pays doivent disposer d'un système d'autorisation préalable et nous transmettre informatiquement les demandes d'importation qu'ils adressent à telle ou telle société exportatrice. Le pays exportateur doit vérifier si la société importatrice est autorisée à faire entrer de tels produits sur son territoire et vérifier l'utilisation de ceux-ci.
Ce système, qui était initialement mis directement en oeuvre entre les pays, passe maintenant par nous. Il est toutefois beaucoup moins performant pour les substances psychotropes ou pour les stupéfiants -mais on est en train d'avancer dans ce domaine. Il ne s'agit que d'un problème informatique. Le seul problème réside dans le fait que tous les Etats ne sont pas informatisés.
Une dizaine d'Etats n'ont pas signé les conventions -Samoa, etc.- mais bon nombre, faute de moyens, sont incapables de nous fournir des indications informatiques. Dans un certain nombre de pays -nous ne donnons jamais de noms- le ministère de la justice ne dispose que d'un seul ordinateur -par ailleurs en panne. Il ne s'agit pas forcément de fraudeurs : tout le problème est de faire en sorte qu'ils puissent se mettre à notre niveau pour pouvoir travailler avec nous.
Ce n'est pas parfait -il s'agit d'une grosse machine- mais le marché international est sur la bonne voie. Cependant, les trafiquants sont très inventifs. Ce qui caractérise cette délinquance, c'est la souplesse, la capacité d'organisation des trafiquants, qui trouvent toujours des solutions et ont un jeu d'avance sur nous !
Sur le plan international, on a tout de même empêché que la drogue ne passe là où elle ne le devait pas.
Une autre obligation des traités est de répondre aux besoins des pays en matière médicale et scientifique. Il faut donc que la drogue y parvienne. On en est loin ! Personne n'utilise la morphine en Afrique alors qu'il existe des gens qui souffrent et qui en auraient besoin. On pourrait penser qu'il s'agit de raisons financières. Il n'en est rien. Au Ghana, par exemple, qui n'est pas un pays riche, on a initié des transformations législatives, formé les médecins et les infirmiers afin qu'ils prescrivent de la morphine : ils ne le font pas ! Ces Etats ne constituent par ailleurs pas de stocks. 80 % des analgésiques sont consommés par l'Europe et les Etats-Unis contre 3 % en Afrique.
Nous ne sommes donc pas parvenus à une répartition équilibrée pourtant tout aussi importante que le travail sur la drogue ! En tant que magistrat, je n'imaginais pas ce second volet. Il faut que la drogue existe en quantité suffisante dans certains pays pour soigner la population ! Tel n'est pas le cas...
Il y a à cela des raisons financières mais pas seulement : hésitations à prescrire, mauvaise information des médecins, peur de l'addiction, absence de stocks, législation trop restrictive. Il s'agit là d'un champ qui reste à couvrir. C'est un échec car le problème, qui suppose des efforts considérables, concerne deux cents Etats dotés de niveaux très différents.
Notre autre vocation, plus large, est d'être gardiens des textes et de veiller à la façon dont les Etats remplissent leurs obligations.
S'agissant de la question de la légalisation pour consommation personnelle, les traités ne le permettent pas. L'article 3 de la convention de 1988 dispose que « sous réserve de ses principes constitutionnels et des concepts fondamentaux de son système juridique, chaque partie adopte les mesures nécessaires (...) à la consommation personnelle ». On en pense ce que l'on veut mais la loi est la loi. Si on veut légaliser la consommation personnelle, il faut changer la loi. On peut en discuter, infraction pénale ne signifiant pas « pénalité ».
On m'a posé la question de savoir si la contraventionnalisation des sanctions respecte le traité. Je n'ai pas posé la question à l'Organe mais, à titre personnel, je répondrai oui, bien sûr ! Il s'agit bien d'une incrimination. Peu de pays appliquent des peines en la matière. En France, les peines de prison prononcées pour consommation personnelle sont liées à un vol, à une agression...
En 1970, la Suède avait choisi la libéralisation de l'héroïne. Elle est revenue à un Etat sans drogues et à une certaine répression. En fait, les plus gros efforts portent sur les traitements, dont certains sont obligatoires.
Le Portugal a abandonné la condamnation pénale mais a conservé la pénalisation administrative et a surtout mis en place -ce que j'approuve- des commissions de dissuasion interdisant la pratique de certaines professions, la rencontre avec certaines personnes et le fait de se promener dans certains lieux. Ce sont des pouvoirs considérables qu'un tribunal n'oserait du reste pas utiliser !
La politique portugaise en la matière est bien plus dirigiste. Je parle là en mon nom propre mais je ne pense pas, en dehors de ces annonces fortes, que l'on puisse se dispenser de l'une ou de l'autre.
J'en reviens à la qualification pénale, qui peut prendre la forme d'une contravention. L'Organe est allé jusqu'à conseiller de conserver la qualification tout en dispensant la consommation personnelle de peine ; dans le cas contraire, il faut changer tout le système !
Changer les textes qui concernent deux cents Etats est compliqué. On n'est pas près de le faire ! La Bolivie a émis des réserves à propos de la mastication de la feuille de coca lorsque le traité est devenu effectif. Ces réserves courraient jusqu'en 1989. La Bolivie a récemment demandé une modification des textes, toujours possible s'il n'existe pas d'objections. Vingt-cinq objections ont été émises !
Le problème vient de ce que la loi pénale représente quand même un interdit qui joue son rôle. Il existe cependant des dispenses de peines, des non-poursuites -je ne parle pas là du problème français...
Il en va de même pour les salles de soins. Si vous ne pouvez pas légaliser la consommation personnelle, on ne peut légaliser les salles de soins. On devient même complice de cette infraction ! Les gens y viennent avec leur drogue, qui provient de trafics, alors qu'on nous demande de le combattre.
On peut en discuter longuement. Tous ces problèmes ont été évoqués depuis 1992 et le sont régulièrement, soit du fait de cas nouveaux, soit parce qu'il faut préciser la doctrine.