Intervention de Muguette Dini

Commission des affaires sociales — Réunion du 2 avril 2008 : 1ère réunion
Egalité — Lutte contre les discriminations - examen du rapport

Photo de Muguette DiniMuguette Dini, rapporteur :

a indiqué que le projet de loi transpose partiellement ou intégralement cinq directives communautaires relatives à la lutte contre les discriminations. La France a déjà transposé en partie les trois premières directives datant de 2000 et 2002. Cependant, la Commission européenne a estimé cette transposition incomplète, et le délai de transposition expirant en 2005, elle a engagé trois actions en manquement contre l'Etat français. Soucieux de parfaire l'image européenne de la France trois mois avant de prendre la présidence de l'Union, le Gouvernement a souhaité se mettre à l'abri de toute procédure judiciaire en répondant un à un, dans le projet de loi, aux griefs de la Commission européenne.

Ceci étant, cet objectif, si légitime soit-il, ne doit pas conduire les parlementaires à fermer les yeux sur le contenu du texte. Or, certains points sont inquiétants et on peut se demander si le retard pris par la France pour transposer ces directives est vraiment le fait du hasard.

Le projet de loi apporte quatre éléments nouveaux : il redéfinit les notions de discrimination et de harcèlement en recopiant les définitions communautaires, il interdit les discriminations fondées sur le sexe en matière d'accès aux biens et services, il généralise l'aménagement de la charge de la preuve à tous les contentieux qui concernent les discriminations et il prévoit, enfin, que les interdictions en matière de discrimination s'appliquent à toutes les personnes publiques ou privées, y compris celles exerçant une activité professionnelle indépendante. L'Assemblée nationale a par ailleurs prévu que les cinq premiers articles du projet de loi et les articles du code du travail correspondants seront affichés dans les lieux de travail.

Le texte constitue donc en apparence un progrès, mais cette apparence est trompeuse pour plusieurs raisons a indiqué Mme Muguette Dini, rapporteur.

D'abord, le projet de loi fait un amalgame entre l'inégalité de traitement et la discrimination : la définition de la discrimination directe, reprise des directives, laisse penser qu'une inégalité de traitement est toujours due à une discrimination. Or, le droit français veille au contraire à distinguer clairement les deux, la Cour de cassation rappelant régulièrement qu' « une différence de traitement entre plusieurs salariés d'une même entreprise ne constitue pas une discrimination ». La distinction n'est pas anodine : une femme moins bien payée qu'un collègue masculin pour le même travail et le même niveau de compétences peut soit plaider qu'étant une femme elle est victime d'une discrimination - c'est la voie communautaire - soit demander l'application du principe d'égalité de traitement, en vertu duquel les salariés placés dans une situation identique doivent être payés de la même manière - c'est le droit français actuel. Le résultat sera finalement le même mais l'état d'esprit qui sous-tend la démarche et ses effets sur les rapports sociaux seront différents : d'un côté, on insiste sur les différences, sur les caractéristiques particulières et l'on place la personne en position de victime pour réclamer l'égalité ; de l'autre, le droit encourage à invoquer le principe de l'égalité de traitement et conforte de ce fait la personne dans une posture positive et constructive. Or, la transposition ici proposée engage la France dans la première voie et l'on ne peut que regretter que les principes français n'aient pas été mieux défendus lors de la négociation des directives à Bruxelles.

Le deuxième problème soulevé par le projet de loi est l'insécurité juridique qu'il risque de provoquer, car plusieurs définitions communautaires sont confuses. La discrimination directe, par exemple, y est définie comme un traitement plus favorable qui pourrait être accordé à une autre personne : la dimension fictive de la comparaison, introduite par l'usage du conditionnel, est inquiétante, car elle autorise des condamnations fondées sur des hypothèses invérifiables. Comment prouver qu'il n'y a pas discrimination si des éléments de comparaison objectifs n'existent pas ?

La même observation s'applique pour la discrimination indirecte, qui condamne tout élément « susceptible » de désavantager certaines personnes par rapport à d'autres. Là encore, le texte risque de conduire à des condamnations fondées sur de simples suppositions si le juge estime qu'une mesure, sans créer de discrimination, est susceptible de le faire. On frôle ici le procès d'intention, et cela n'est pas acceptable.

La manière de traiter le harcèlement sexuel dans le projet de loi est également préoccupante, car celui-ci reprend la définition communautaire sans supprimer celle déjà en vigueur en droit français. Cette coexistence de définitions pose un problème d'égalité devant la loi dès lors que le jugement pourra être différent selon celle qui sera invoquée. C'est d'autant plus gênant que la définition communautaire du harcèlement sexuel est extrêmement large et qu'elle risque de transférer au juge le soin de la préciser, et donc de dire la loi.

Puis Mme Muguette Dini, rapporteur, a souligné qu'il n'est pas certain, au regard des textes communautaires et du traité européen, que le Parlement français n'ait aucune marge de manoeuvre dans ce travail de transposition en droit interne. L'article 249 du traité stipule en effet que « la directive lie tout Etat membre destinataire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens ».

Elle a donc proposé d'amender le projet de loi pour préciser certaines définitions communautaires, indiquer qu'une différence de traitement entre les salariés d'une même entreprise ne constitue pas en elle-même une discrimination et améliorer la mesure de publicité et d'affichage des textes antidiscrimination votée par l'Assemblée nationale.

Par ailleurs, pour répondre aux recommandations de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes, il serait judicieux de supprimer d'une part, la disposition, techniquement inapplicable, prévoyant que la liste des emplois pour lesquels les discriminations fondées sur le sexe sont autorisées est fixée en Conseil d'Etat, d'autre part, l'autorisation inacceptable donnée par le projet de loi à l'organisation d'enseignements par regroupement d'élèves en fonction de leur sexe.

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