Intervention de André Lardeux

Commission des affaires sociales — Réunion du 3 avril 2008 : 1ère réunion
Temps de travail — Journée de solidarité - examen du rapport

Photo de André LardeuxAndré Lardeux, rapporteur :

a rappelé que la décision de supprimer un jour férié, en l'occurrence le lundi de Pentecôte, afin de dégager des ressources supplémentaires destinées aux personnes âgées et aux personnes handicapées, a été prise dans le contexte tragique de la canicule de l'été 2003. Quelques mois plus tard, la loi du 30 juin 2004 a créé le mécanisme de la journée de solidarité qui a pris la forme, en définitive, d'une majoration de sept heures de la durée annuelle de travail des salariés.

Cette initiative a revêtu, à l'origine, une force symbolique importante, mais qui a rapidement disparu à l'épreuve des faits. Alors que la suppression d'un jour férié était intervenue dans le même objectif en Allemagne, en 1994, sans susciter de problème particulier, la mise en oeuvre de la journée de solidarité a fait l'objet, en France, de nombreuses critiques injustes et d'une certaine dose de mauvaise volonté dans le monde du travail. En dépit des déclarations de principe sur le fondement solidaire du système de protection sociale, de nombreux acteurs économiques et sociaux renâclent à fournir, en faveur des plus fragiles, un effort limité de sept heures supplémentaires chaque année dans un pays où la durée moyenne du travail est l'une des plus faibles au monde.

De fait, en 2007, la majorité des salariés n'a pas travaillé le lundi de Pentecôte. La proposition de loi vise à améliorer ce bilan peu flatteur en apportant de nouveaux assouplissements techniques à la loi du 30 juin 2004.

Le bilan de la journée de solidarité apparaît aujourd'hui mitigé en raison d'importantes difficultés pratiques résultant de la diversité des jours chômés accordés aux salariés français.

a déploré qu'à ces problèmes de mise en oeuvre se soit ajouté un certain nombre de manifestations de mauvaise volonté aboutissant in fine à vider la loi d'une grande partie de sa substance. Ni les grèves intervenues en 2005 dans les services publics, ni les recours contentieux déposés par les organisations syndicales, ni l'attitude de certaines entreprises du secteur privé offrant cette journée à leurs salariés sans contrepartie, n'ont été conformes à l'esprit de la loi. La pratique consistant à fractionner la journée de solidarité sous la forme de quelques minutes de travail supplémentaires chaque jour en est l'illustration la plus caricaturale.

A l'actif de cette mesure, on peut inscrire le fait qu'un nouveau mode de financement pérenne a été créé pour un montant annuel de 2,1 milliards d'euros, dont 1,85 milliard versés par les employeurs privés et publics, auxquels s'ajoute une contribution sur les revenus du capital produisant 350 millions d'euros de recettes supplémentaires ; de même, le pouvoir d'achat des salariés a été effectivement préservé.

En revanche, l'insertion de la journée de solidarité dans le droit social s'est avérée très difficile et la neutralité économique de cette mesure n'est pas entièrement assurée.

En outre, la disparité de situations individuelles entre les assurés sociaux sape aujourd'hui la légitimité de la journée de solidarité auprès de l'opinion publique. Si, dans le secteur privé, 70 % des entreprises sont ouvertes et 48 % des salariés travaillent le lundi de Pentecôte, la plupart des services publics sont fermés. Certes, 86 % des salariés au total se conformeraient à la loi, d'une façon ou d'une autre, durant l'année civile, mais cette contribution est susceptible de prendre des formes diverses de fractionnement ou de renoncement à un jour de RTT.

a estimé que la solution exposée dans la proposition de loi s'inscrit dans la continuité des démarches déjà engagées dans le secteur public. Il s'agit à nouveau, cette fois dans le secteur privé, de promouvoir davantage de souplesse dans l'organisation de la journée de solidarité.

Le texte propose en substance de donner « carte blanche » aux entreprises pour aménager au mieux, durant l'année civile, ces sept heures de travail supplémentaires. Il se fonde sur le rapport publié en décembre 2007 par le secrétariat d'Etat chargé de la prospective et de l'évaluation des politiques publiques, qui a mis à l'étude trois hypothèses d'évolution du cadre juridique actuel :

- le premier scénario consistait à revenir à une application uniforme fixée au lundi de Pentecôte ;

- le deuxième scénario impliquait l'abandon de toute référence au lundi de Pentecôte et le renvoi des modalités pratiques à des négociations avec les partenaires sociaux et in fine, en cas d'échec, aux employeurs ;

- le dernier scénario visait à mettre fin aux principaux goulets d'étranglement empêchant l'enracinement de la journée de solidarité dans la vie économique et sociale le lundi de Pentecôte, notamment en améliorant l'accueil et la garde des enfants, ainsi que la situation dans le secteur des transports.

C'est la deuxième piste qui a été retenue. M. André Lardeux, rapporteur, a observé que la version initiale de la proposition de loi ne concernait paradoxalement que les salariés relevant du code du travail, alors que les principaux problèmes se situent dans les services publics. Mais un article additionnel adopté en première lecture par l'Assemblée nationale a opportunément réparé cet oubli. En conséquence, il a proposé à la commission de ne pas modifier le texte voté par l'Assemblée nationale, tout en observant que trois questions majeures demeurent en suspens.

La première porte sur le rapport des Français au travail, dans un contexte de déficit structurel croissant du système de protection sociale. On observe que le nombre annuel d'heures travaillées par actif occupé est en France inférieur d'environ 15 % à la moyenne des pays de l'OCDE.

La deuxième est relative au dialogue social souhaité par la proposition de loi mais qui peut ne pas produire les effets escomptés dans la mesure où la quasi-totalité des organisations syndicales a manifesté son hostilité au principe même de la journée de solidarité, parfois qualifiée de « corvée ». Il n'est guère étonnant, dans ces conditions, que seulement dix-neuf accords de branche aient été signés depuis 2004 entre les partenaires sociaux à ce sujet. Les chefs d'entreprise seront donc probablement le plus souvent conduits, comme aujourd'hui, à définir en dernier ressort les modalités de la journée de solidarité. Enfin, compte tenu des délais très courts entre la date prévisionnelle d'entrée en vigueur de la proposition de loi et le prochain lundi de Pentecôte (12 mai 2008), les effets des nouvelles dispositions ne seront guère perceptibles avant 2009.

La troisième question porte sur la réelle neutralité économique de la journée de solidarité pour le secteur productif. En effet, faute d'une augmentation durable de 0,4 % de la quantité de travail produite par l'ensemble de l'économie française, l'apport de la loi du 30 juin 2004 se bornerait à la création d'un prélèvement obligatoire. Un processus d'ajustement dynamique dans les entreprises est donc indispensable pour leur permettre de faire travailler leurs salariés davantage. Mais l'introduction, pour le secteur privé, de davantage de souplesse ne risque-t-elle pas, à l'instar de ce qui s'est déjà produit dans les services publics, de vider la loi du 30 juin 2004 d'une partie de sa substance ?

Il faut espérer qu'en autorisant plus largement « toute autre modalité » pour effectuer la journée de solidarité, la loi n'incite pas au développement du schéma de fractionnement journalier des sept heures de travail supplémentaires.

En conclusion, M. André Lardeux, rapporteur, a proposé l'adoption du texte dans la rédaction votée à l'Assemblée nationale, qui a du moins le mérite d'une plus grande lisibilité pour l'opinion publique. Il aurait néanmoins été tout autant concevable de conserver l'acquis du lundi de Pentecôte, tout en améliorant l'accueil des enfants dans les crèches et les écoles et l'organisation des transports publics et privés afin de le rendre plus facilement applicable.

Quoi qu'il en soit, cette proposition de loi ne résout pas à elle seule le problème du financement de la politique de la dépendance. Ce sera l'objet du projet de création d'un cinquième risque de protection sociale, auquel le Gouvernement travaille actuellement et que le Parlement examinera probablement d'ici à la fin de l'année.

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