Intervention de Jean Leonetti

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 25 octobre 2011 : 1ère réunion
Conclusions du conseil européen du 23 octobre 2011 — Audition de M. Jean Leonetti ministre chargé des affaires européennes

Jean Leonetti :

Je vous remercie de m'accueillir entre deux mi-temps dont la première a apporté des éléments qui doivent faciliter la seconde. Les yeux du monde sont tournés vers cette réunion du Conseil européen, qualifiée par beaucoup de « rendez-vous de la dernière chance » tant est puissant le sentiment que l'avenir de l'Europe et l'équilibre monétaire mondial se jouent dans les jours à venir.

Quelle stratégie économique pour la zone euro et l'Europe ? Tel est, je suppose, parmi les sujets abordés, celui qui vous occupe aujourd'hui. Le Conseil a cependant permis d'avancer, également, sur la question du G20 ou la conférence de Durban ; les conclusions du Conseil « Affaires générales » ont également oeuvré pour répondre à la nécessité de voir la croissance au rendez-vous en Europe, une fois la crise passée. Le sujet de préoccupation principal restant, comme de juste, la recherche d'un accord autour de la crise de la dette.

Les craintes d'un défaut et d'un abandon de la Grèce sont levées. L'Europe n'abandonne pas la Grèce, qui ne sort pas l'euro. Ce n'était pas, d'emblée, une évidence, tant restait marqué l'écart entre la position française, préconisant l'alliance de la solidarité et de la discipline, et celle de l'Allemagne, tenant davantage pour la rigueur, au risque de l'abandon.

Le peuple grec est en grande souffrance. Un plan de rigueur strict, alors même que la Grèce manque cruellement d'une administration fiscale digne de ce nom, associé à une récession profonde, ne saurait mettre ce pays en mesure de rembourser à bref délai la dette qui pèse sur ses épaules. Il faut donc la restructurer. Les institutions financières avaient précédemment accepté de renoncer à 21 % de leur créance. Les chiffres avancés sont aujourd'hui plus élevés, de 40 à 60 %. Le débat a lieu avec les banques, car la restructuration ne peut se faire que sur la base d'une décision volontaire du système bancaire, et de telle manière qu'elle n'apparaisse pas comme un défaut ou un « évènement de crédit », au risque de créer un effet de domino.

Depuis l'accord du 21 juillet, le FESF a gagné en souplesse, grâce au vote de l'ensemble des pays, de la France à la Slovaquie. Ce ne fut pas un parcours sans embûches, mais on ne peut pas demander que soient consultés les parlements des dix-sept, voire des vingt-sept démocraties européennes et reprocher à l'Europe d'agir avec lenteur. Les décisions du Conseil de juillet ont donné au FESF un caractère plus opérationnel. Il est doté par les États de 440 milliards, et les dettes grecque, irlandaise et portugaise ne l'amputeront que de 140 milliards. Les 300 milliards restants seront-ils suffisants pour qu'il joue son rôle de tampon ? Sachant que la Grèce ne représente que 2 % du PIB et 4 % de la dette de la zone euro, le problème n'apparaît pas insurmontable. Néanmoins, par un effet de domino, d'autres pays se trouvent touchés, dont l'Italie, troisième puissance économique de l'Europe. D'où l'idée qu'il faut un FESF fort, capable d'opposer un mur à la tentation spéculative. On a parlé de 1 000 milliards, voire de 2 000. Comment y parvenir ?

L'hypothèse française va à un adossement à la BCE, qui est au reste déjà un peu sortie de l'orthodoxie en rachetant de la dette souveraine, au profit des pays en difficulté, ce que certains n'ont néanmoins accepté qu'à condition que cela restât une situation transitoire. Il est vrai qu'assimiler le FESF à une banque pourrait mettre en cause l'indépendance de la BCE, à laquelle l'Allemagne et la France, sont très attachées, et blesser une lecture véritablement orthodoxe des traités. La France n'a cependant pas renoncé à explorer cette piste, même si elle a bien compris que la BCE et l'Allemagne y étaient opposées. De là sont venues d'autres pistes, comme l'aide du FMI en même temps que la création d'un véhicule spécifique de soutien à la dette des pays membres, engageant un partenariat entre fonds publics et fonds privés. L'objectif est de lever des fonds sans une contribution trop forte des États, ce qui pourrait aboutir, pour la France, à une aggravation excessive de sa dette, au risque de fragiliser sa notation. L'hypothèse retenue consiste alors en une « garantie plancher » accordée par le FESF, susceptible de déclencher un effet de levier démultiplicateur.

Reste la question de la recapitalisation. On se souvient que les banques européennes avaient été soumises à des stress tests -fondés sur une hypothèse de croissance négative de deux points sur une période de plus de deux ans- dont l'ensemble des banques françaises se sont sorties avec succès. Cependant, la situation de Dexia, très particulière, était mal prise en compte, puisque les tests ne prenaient pas en compte le problème, fondamental pour cette banque, de la combinaison de prêts de court terme à taux bas et de crédits à long terme à taux plus élevés. Si seules huit banques européennes se sont mal sorties des stress tests, il convient, cependant, de refinancer l'ensemble des banques, et pas seulement les structures les plus fragiles, ne serait-ce que pour éviter un effet de cible, qui verrait les banques soutenues mises en difficulté par les marchés financiers, ainsi avertis de leurs difficultés. Parce que la réponse doit être globale, harmonisée, durable, l'idée d'une recapitalisation de l'ensemble des banques fait son chemin. L'Allemagne souhaite qu'elle se fasse avec la participation de tous les États. L'expertise des banques françaises a montré qu'elles n'ont aucun besoin d'une recapitalisation étrangère à leurs fonds propres, mais seulement d'une anticipation sur le calendrier de Bâle III. Elles devront augmenter leurs fonds propres de 10 milliards, sachant qu'elles l'ont déjà fait, pour ce même montant, au premier semestre. Etant exposées pour 8 milliards d'euros à la dette grecque, la restructuration de celle-ci, dans une hypothèse de 50 % de décote, les expose à une perte de 4 milliards, qui sera largement absorbée par l'effort de renforcement des fonds propres consenti.

Parmi les autres points évoqués, vient l'association des 27 Etats de l'Union européenne aux 17 Etats de la zone euro. J'ai dit à mes collègues du Conseil « Affaires générales » ce que, je le suppose, le Président de la République aura fait valoir à M. Cameron : que l'on ne peut vouloir tout à la fois rester à l'écart de la zone euro et participer aux décisions. Pour mieux connaître la zone euro, ai-je dit à mon homologue britannique, qui a beaucoup d'humour, le mieux serait d'y entrer. Quant à M. Van Rompuy, il a déclaré que les 27 devaient être « informés et impliqués » dans les décisions, mais qu'il n'accepterait en aucun cas les amendements des gouvernements.

Autre point abordé, celui de la discipline budgétaire. Elle doit être au coeur des politiques, sans qu'elles en fassent cependant un élément de récession. C'est pourquoi la France et l'Allemagne ont réaffirmé leur solidarité avec l'Italie tout en rappelant leur vigilance.

Troisième volet, enfin, et d'importance, la question de la renégociation des traités. L'Allemagne milite pour leur révision, selon une double optique. Règles de discipline budgétaire, tout d'abord - et l'on peut comprendre que nos compatriotes d'outre-Rhin requièrent des grands pays qui affichent des déficits importants qu'ils prennent des initiatives, sachant que l'Allemagne est le contribuable habituel des défauts... Elle suggère un cadre comparable à la « règle d'or » telle que proposée en France, ce qui exigerait une vigilance européenne, soit un contrôle préalable ou ex post, pour vérification. Cette proposition est assortie, ensuite, d'un volet relatif à la relance de l'économie, issu de l'initiative française, pour aller vers une gouvernance économique européenne. Puisqu'on est arrivé aux limites du respect des traités, mieux vaudrait les adapter. Le Président de la République a clairement déclaré qu'il ne saurait être envisagé de franchir cette étape supplémentaire sans débat, et que les peuples devaient être associés à une telle évolution. Avec tous les risques que cela comporte. N'allons-nous pas alimenter par là l'euroscepticisme, ainsi que me le faisait remarquer un journaliste ? Mais nous ne pouvons nous soustraire au devoir de pédagogie qui est le nôtre. Utilisons tous les moyens que nous laissent peu ou prou les traités - renforcement du FESF, recapitalisation des banques, restructuration de la dette grecque, puis attelons-nous à leur révision, pour franchir une étape supplémentaire qui verra s'allier solidarité et discipline. Il est acté que M. Herman Van Rompuy présidera pour les deux ans et demi à venir les sommets de la zone euro, le commissaire aux affaires économiques, Olli Rehn, lui étant associé, avec l'objectif d'ébaucher cette gouvernance économique et je dirais sans hésiter, si le mot ne faisait pas si peur à certains, un fédéralisme économique, pour nous assurer la protection que nous souhaitons tous.

Telles sont, en quelques mots, les hypothèses brassées par le Conseil, dont le compte rendu que je viens de faire devant vous ne préjuge en rien de ce qui se passera mercredi.

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