Rappelant qu'il avait déjà exprimé son inquiétude à propos du projet de loi examiné dans un article intitulé « Un coup d'état électoral », M. Denys Pouillard a estimé que, même si le Président de la République avait indiqué que le texte pouvait évoluer, rien ne montrait pour l'instant des changements positifs d'orientation, concernant tant la parité que le mode de scrutin lui-même.
Il a estimé que le projet de loi déposé par le Gouvernement présentait une haute portée politique, et c'est sous cet angle, et non sous celui d'une analyse purement juridique, qu'il a souhaité l'aborder.
Il a relevé que, comme cela avait été le cas déjà pour le projet de loi ratifiant l'ordonnance du 29 juillet 2009 portant répartition des sièges et délimitation des circonscriptions législatives, le Parlement était invité à adopter des principes, tout en laissant au Gouvernement le soin de procéder au découpage des futurs cantons qui n'interviendrait qu'ultérieurement, mais dont celui-ci avait indiqué qu'il s'inscrirait dans le respect des limites des circonscriptions législatives.
Il a estimé que le problème de méthode était encore aggravé par le calendrier : la carte définitive des nouveaux cantons devant être finalisée au plus tard avant le mois de mars 2013, le Gouvernement aurait de ce fait la latitude d'y procéder en tenant compte des élections législatives qui se seront déroulées en juin 2012. Ainsi, la nouvelle carte des cantons risquera-t-elle moins de traduire l'intention du législateur que la stratégie électorale du pouvoir en place.
Il a souhaité ensuite attirer l'attention de la délégation sur l'incidence politique du choix du scrutin majoritaire à un tour, tout en reconnaissant que les projections réalisées à ce sujet par le passé s'étaient la plupart du temps révélées inopérantes.
Outre qu'il confère un avantage au personnel politique en place, une sorte de « prime au sortant », il a estimé que le choix d'un scrutin à un tour bousculerait la tradition électorale française, plus respectueuse du pluralisme politique que la méthode anglo-saxonne bipartiste.
Abordant le dispositif proposé du point de vue de la science politique, il a craint que la fusion des conseils généraux et des conseils régionaux en une seule assemblée territoriale ne réduise considérablement les possibilités de renouvellement de la classe politique, alors même que la diversité des parcours des élus au sein des différentes assemblées constituait une particularité de la vie politique française et une garantie de mixité, tant des âges que des genres, du personnel politique.
Par ailleurs, il s'est inquiété que l'incitation forte pesant sur les candidats à se rattacher à des listes politiques pour pouvoir bénéficier du « recyclage » des suffrages recueillis par les candidats non élus au scrutin majoritaire ne confère aux partis politiques majoritaires une influence défavorable à la diversité et à la richesse des appartenances des candidats, à l'instar des élus « divers droite » ou « divers gauche », qui risquent de disparaitre.
Concernant le découpage géographique des 2 400 nouveaux « territoires » et la représentativité territoriale des futurs conseillers, il a fait valoir que le texte proposé fournissait peu d'indications concrètes et que, faute de la définition d'un coefficient d'habitants par canton, dans le cadre départemental, ou d'un quotient national, les parlementaires ne pouvaient se fier qu'aux déclarations, au Sénat, du secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales, garantissant un minimum de quinze représentants par département.
Il a émis de sérieux doutes quant à la compatibilité du dispositif avec le principe constitutionnel d'égalité des citoyens devant le suffrage, tel que rappelé par la jurisprudence constante tant du Conseil constitutionnel que du Conseil d'Etat (arrêt Boulanger en 2004).
a ensuite estimé que le mode de scrutin retenu différait sensiblement de celui qui prévaut en Allemagne : dans celui-ci, l'électeur émet deux votes distincts : l'un en faveur d'un candidat élu au scrutin uninominal majoritaire à un tour, et l'autre pour un parti sur une liste de formations politiques (chacune disposant d'un ordre de candidats éligibles puis désignés, en fonction des voix obtenues, par ces partis, à la répartition proportionnelle) ; en revanche, dans le mode de scrutin proposé par le projet de loi seront comptabilisées, pour le scrutin de liste, les voix qui s'étaient portées, au scrutin uninominal, sur un candidat non élu. Il a estimé que, dans ces conditions, les candidats élus au scrutin de liste risquaient de représenter, politiquement, la somme des oppositions, et que la complexité du dispositif ne manquerait pas de désorienter le citoyen. Quant à la suggestion qui consisterait à faire figurer sur un même bulletin de vote le nom du candidat qui se présente au scrutin uninominal majoritaire, et la liste régionale à laquelle il se rattache, il a craint qu'elle ne se traduise par une multiplication des bulletins nuls.
Il a estimé que ce mode de scrutin qu'il a qualifié de « proportionnel par soustraction » avait pour objet, dans l'esprit de ses promoteurs, de compenser la disparition du scrutin de liste proportionnel qui prévalait jusqu'à maintenant dans l'élection des conseils régionaux, et de faire entrer quelques femmes supplémentaires dans les futurs conseils généraux.
Il a également souligné les incertitudes qui entourent la détermination, par le Gouvernement, du nombre des futurs cantons par département, incertitudes que n'ont pas levées les propos tenus devant le Sénat par le secrétaire d'Etat à l'intérieur et aux collectivités territoriales.
En outre, il s'est demandé dans quelle mesure le Gouvernement n'était pas tenté, dans son argumentation, de faire reconnaître par le Conseil constitutionnel une sorte de droit nouveau de « compensation » : le recul de la parité dans un certain domaine étant compensé par d'autres leviers, soit destinés à inciter les partis politiques à assurer une meilleure place aux femmes, soit destinés à favoriser la parité grâce aux nouveaux modes de scrutin dans les communes de 3 500 à 500 habitants. Il s'est alarmé des conséquences que pourrait entraîner, à l'avenir, l'application de cette notion de « compensation » à d'autres principes constitutionnels consacrés par l'article premier de la Constitution.
a ensuite rappelé que le projet de loi prévoyait la création de suppléants qui auraient vocation à remplacer le titulaire dans certaines circonstances. Il a regretté que cette innovation juridique n'ait pas été assortie des garde-fous nécessaires, et a relevé que, si l'on s'en rapportait à la répartition des rôles qui prévalait actuellement dans les conseils généraux, les candidats masculins risquaient de s'arroger les mandats de titulaire, et de laisser aux femmes ceux de suppléant. Il a souligné que la création de ces postes de suppléants, en doublant le nombre des mandats, allait à l'encontre de l'objectif affiché de réduction du nombre des élus des départements et des régions, mais qu'elle ne contribuerait en rien à la diversité politique de la représentation, dans la mesure où le suppléant, comme le titulaire, serait fortement incité à se rattacher à la liste d'un parti politique.
a jugé délicate la question de savoir dans quelle mesure le non-respect de l'objectif de parité par le mode de scrutin pouvait constituer un motif d'inconstitutionnalité, soulignant les ambigüités quant à la portée de l'expression « la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives », expression dont il a estimé qu'elle n'était sans doute pas assez coercitive.
Il a ensuite présenté deux options envisageables pour améliorer le dispositif électoral proposé : l'adoption d'un dispositif calqué sur le système électoral allemand, et qui inviterait chaque électeur à voter à la fois pour un candidat dans le cadre d'un canton, et pour une liste à l'échelle de la région ; un rééquilibrage de la répartition des sièges entre scrutin uninominal majoritaire, et scrutin de liste proportionnel, de façon à parvenir à un partage égal entre ces deux modes de scrutin, et non à un partage 80 contre 20 comme dans le projet de loi actuel. Il a cependant reconnu que cette solution, qui se traduirait par une diminution supplémentaire du nombre des cantons, risquerait de réduire de façon très prononcée la représentation, au sein d'une région, de certains départements très peu peuplés, sauf à remettre en cause le plafonnement à 3 000 du nombre de sièges de conseillers territoriaux.