a indiqué que le travail de Technologia consiste à aider les entreprises à revenir vers le réel. Quand les salariés vont bien, l'entreprise se porte bien elle aussi : les vingt années qui se sont écoulées depuis la fondation du cabinet ont permis maintes fois de faire empiriquement ce constat.
Le cabinet est intervenu à l'université de Jussieu, au moment de l'affaire de l'amiante, a beaucoup étudié l'impact des trente-cinq heures sur les conditions de travail et a été sollicité après l'explosion de l'usine AZF. Plus récemment, Renault et France Telecom ont fait appel à ses services. Le cabinet rassemble une centaine de collaborateurs, aux compétences variées : économistes, médecins, ingénieurs, ergonomes, etc. Une approche multidisciplinaire et transversale est en effet nécessaire pour appréhender la complexité des situations.
Depuis le milieu des années quatre-vingt-dix, on observe que de plus en plus de salariés souffrent au travail. L'entreprise, qui était un lieu de partage mais aussi de conflit, est devenue un instrument d'optimisation financière. Une logique actionnariale et financière domine, qui conduit à privilégier le court terme : les plans à cinq ans sont remplacés par des plans à six mois, le travail dans l'urgence et l'exigence de réactivité se généralisent. L'économiste Michel Aglietta a calculé que les sociétés financières étaient à l'origine, en 1990, de 10 % des profits réalisés aux Etats-Unis ; ce taux est aujourd'hui passé à 40 %, ce qui montre la place prise par la finance dans l'économie.
Le mode de sélection des élites peut également avoir des conséquences sur la stabilité des entreprises : en Allemagne, elles ont souvent bénéficié d'une promotion interne, elles connaissent donc bien les métiers de l'entreprise et mesurent les conséquences de leurs décisions ; en France, il est plus rare qu'elles aient fait toute leur carrière dans l'entreprise et ont donc une connaissance moins approfondie de ses métiers.
Il résulte de ces évolutions une forte pression sur les salariés : on cherche à supprimer des emplois ou à sous-traiter, ce qui n'est d'ailleurs pas sans incidence sur la sécurité. La maintenance, fonction essentielle dans une entreprise, est par exemple moins bien assurée par les salariés d'une entreprise sous-traitante, qui ne connaissent pas bien les machines ni leur mode de fonctionnement.
A la notion de poste de travail s'est substituée une logique de compétence et de performance, évaluée sur une base de plus en plus individualisée. Quand les objectifs fixés aux salariés sont trop difficiles à tenir, le collectif de travail se fragmente et les potentialités d'épanouissement des salariés diminuent. Or, le travail devrait être un lieu où s'exprime la créativité et où se tisse le lien social.
De surcroît, l'irruption du numérique a estompé la différence entre les temps sociaux : les salariés, notamment les cadres, peuvent être rattrapés par leur travail même pendant leurs vacances.
Le consumérisme débridé et l'avènement du « client-tyran », qui exige une réponse immédiate, sont un facteur de tension supplémentaire pour les salariés en contact direct avec la clientèle.
L'évolution de la situation des acteurs de la régulation aggrave encore les choses : le directeur des ressources humaines (DRH), le médecin du travail et les syndicats ont pour mission de contribuer à réguler les conflits qui peuvent apparaître entre la direction et ses salariés. Or ces acteurs sont affaiblis : les DRH sont, par exemple, de plus en plus tenus à l'écart des décisions stratégiques.
Puis M. Jean-Claude Delgenes a expliqué comment les salariés réagissent quand les choses vont mal dans leur entreprise :
- ils peuvent développer des stratégies d'évitement : absentéisme, « turn-over » rapide de ceux dont les qualifications sont recherchées, les infirmières par exemple, départ en congé parental, réorientation professionnelle...
- les relations professionnelles peuvent se cristalliser, dans un climat dégradé, ce qui altère la capacité de changement de l'entreprise et sa productivité ;
- la violence peut apparaître, dirigée contre soi (suicide) ou contre les autres.
Le nombre de suicides lié au travail est estimé à cinq cents par an en France, mais ce chiffre est sans doute sous-évalué. En outre, un tiers des problèmes cardio-vasculaires résulterait d'une tension ou d'un stress causé par le travail. Il est donc indispensable d'en revenir à une approche plus respectueuse des rythmes de chacun.