a identifié trois grands modes d'organisation du travail depuis le début du XIXe siècle. Le modèle de la manufacture, largement dominant jusqu'au début du siècle dernier, se définit par un encadrement strict des ouvriers, fondé sur un système d'interdictions et de punitions qui ignore la question de la subjectivité. Ceci étant, cette subordination est contrebalancée par un paternalisme qui comporte une dimension sociale. Après la Première Guerre mondiale émerge le modèle tayloriste qui se généralisera dans la seconde moitié du XXe siècle : la mise en équation du temps, sur laquelle il repose, permet d'accroître fortement la productivité au prix d'une certaine déshumanisation du travail. Enfin, à partir des années 1970, la contestation de la hiérarchie et de l'autorité, un des principaux traits de mai 68, pénètre le monde du travail. La crise culturelle se conjugue alors avec la crise économique et l'arrivée de nouvelles technologies pour aboutir à une nouvelle configuration du travail qui domine dans la société française d'aujourd'hui, du moins dans les grandes entreprises. Sa caractéristique essentielle est de réclamer une implication subjective des salariés sans pour autant leur offrir un cadre stabilisateur et porteur de sens : on les incite à s'adapter constamment au changement sans leur expliquer, car la plupart du temps les cadres et les dirigeants eux-mêmes ne le savent pas, la finalité des évolutions requises.
C'est ici qu'intervient le « discours managérial », discours chaotique et insignifiant du « changement pour le changement », du « parler creux sans peine », qui place les salariés devant des injonctions paradoxales : il leur faut à la fois être autonomes et responsables, et dans le même temps, puisque personne ne sait vraiment quel est l'objectif du changement, suivre et se conformer avec attention aux impulsions fluctuantes de la direction. Enfin, l'exigence d'une performance sans faille, appuyée sur la généralisation de l'évaluation individualisée, ne peut que susciter un mal-être chez des salariés jamais à la hauteur.