Intervention de Jean-Pierre Le Goff

Mission d'information sur le mal-être au travail — Réunion du 24 mars 2010 : 1ère réunion
Audition de M. Jean-Pierre Le goff sociologue au laboratoire du cnrs georges friedmann à l'université de paris i

Jean-Pierre Le Goff, sociologue :

a indiqué que l'époque des emplois fixes et stables est révolue et que la mondialisation des échanges impose une adaptation des entreprises qu'il serait irresponsable de refuser. Pourtant, la fuite en avant ne constitue pas non plus une solution satisfaisante : le « changement pour le changement » ou la logique de survie économique ne peuvent redonner du sens au travail, d'autant plus que les salariés ont légitimement le sentiment que les sacrifices demandés n'ont pas de fin. Il n'est pas rare qu'une même entreprise présente à ses salariés un plan de restructuration comme douloureux mais décisif et durable, puis en impose un autre quelques années plus tard, avec les mêmes arguments.

Trois éléments sont nécessaires pour « humaniser » à nouveau les rapports de travail. D'abord, les salariés doivent avoir le sentiment de pouvoir coopérer avec leurs collègues, y compris et surtout avec la hiérarchie. Une enquête menée chez Bouygues a ainsi montré que les ouvriers préfèrent un travail difficile au sein d'une équipe soudée à des tâches moins dures mais sans coopération au sein de l'équipe. Ensuite, la reconnaissance du travail et de l'effort accomplis est fondamentale et indispensable à l'envie de travailler dans une structure. Enfin, des espaces et des temps de sociabilité sont nécessaires : pouvoir échanger avec ses collègues, notamment sur des sujets non professionnels, est essentiel pour une communauté de travail.

Le creuset culturel français, au sens du « rapport français » au travail, a été mis en évidence par le sociologue Philippe d'Iribarne. En vertu de « la logique de l'honneur » qui le caractérise, le travailleur français attache une grande fierté à l'idée du travail bien fait, en conséquence de laquelle il revendique une certaine autonomie dans son travail et supporte mal que tous ses faits et gestes soient contrôlés et évalués. Or, les méthodes d'évaluation anglo-saxonnes sont fondées sur des grilles à la fois exhaustives et imprécises, qui prétendent jauger notamment le « savoir-être ». Elles sont donc difficilement compatibles avec ce qui fait sens pour les salariés français dans leur travail : être jugés sur leur capacité à produire un ouvrage de qualité, et non sur leur conformité à des grilles d'évaluation intrusives et qui laissent une large place à l'arbitraire.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion