La Délégation procède à l'audition de M. Jean-Pierre Balligand, coprésident de l'Institut de la décentralisation.
A son grand regret, mon collègue Michel Piron, qui copréside avec moi l'Institut de la décentralisation, ne peut pas être des nôtres et vous prie de bien vouloir l'excuser.
L'Institut de la décentralisation est une structure totalement indépendante, financée exclusivement par les collectivités. L'Institut ne reçoit rien de l'Etat et ne lui demande rien par principe. C'est une garantie d'indépendance.
C'est un lieu transpartisan. J'en assure actuellement la coprésidence avec un élu UMP, Michel Piron, qui a succédé à Adrien Zeller ; l'Institut est donc dirigé par des personnes appartenant à des sensibilités politiques différentes, mais qui ont pour point commun d'être particulièrement engagées en matière de décentralisation.
L'Institut compte de nombreux adhérents : une trentaine de départements, une quinzaine de régions, beaucoup de grandes villes et d'agglomérations, comme Bordeaux, Marseille, Strasbourg, Lille, Dijon, Lyon, Nantes, Rennes... Nous sommes organisés en trois collèges : élus, directeurs généraux des services et universitaires spécialistes de la décentralisation.
A l'Institut, nous pensons que la décentralisation est depuis un certain temps, à la fois en danger et dans une impasse.
Elle est d'abord en danger parce que, de toute évidence, aucun des textes récents ne constitue une avancée en la matière. Pour nous, la décentralisation c'est une dévolution de pouvoir de la part de l'Etat. Or, il n'y a pas eu de dévolution supplémentaire de pouvoir de la part de l'Etat dans la dernière loi. C'est, pour nous, un sujet d'inquiétude. La loi qui avait été votée à l'initiative de M. Raffarin, que l'on peut discuter, affectait néanmoins de nouvelles compétences aux collectivités. Là, on est sur une philosophie pour nous très différente : il n'y a aucune avancée en matière de compétences.
La deuxième chose source d'inquiétude, à laquelle il faudra sans doute s'atteler, réside dans le fait que l'Etat ne cesse de créer de la norme. Chaque dévolution de pouvoir, et d'ailleurs quels que soient les gouvernements, est suivie de normes nouvelles. Par exemple, l'Etat transfère la formation professionnelle (c'était la loi Raffarin) puis, sous prétexte de développer l'insertion, produit toute une série de normes pour mettre en place de nouveaux dispositifs de formation professionnelle. Une telle attitude part souvent de bons sentiments, mais elle est quelque peu en contradiction avec la logique du transfert de compétence.
Cette situation entraîne un troisième problème : dans les matières transférées, l'Etat a un rôle essentiel à jouer, mais qu'il ne joue pas, à savoir le rôle d'évaluateur. Il n'y a jamais réellement d'évaluation ex ante, ni ex post. Cela tient au fait que l'Etat reste toujours partie à ces dispositifs, via les normes qu'il adopte ; il peut donc difficilement en être aussi juge. Dès lors que les collectivités ont reçu des compétences de l'Etat, celui-ci ne devrait pas s'immiscer directement dans leur exercice, mais s'assurer que les entités à qui il les a transférées les accomplissent de manière satisfaisante.
Le quatrième problème que je voudrais soulever concerne les moyens : la crise des finances publiques est une réalité et oblige à des mutations. Il faut l'admettre, même si cela ne fait pas forcément plaisir à entendre : on ne peut pas rester en l'état. Les finances publiques étant ce qu'elles sont, et pour longtemps, l'Etat ne pourra que se désengager et il faut s'y préparer.
En ce qui concerne les finances, nous pensons, à l'Institut, que, comme on est incapable de réformer la décentralisation, on cherche à étrangler les collectivités. C'est vrai que c'est plus ou moins violent : le bloc communal (intercommunalité et communes) est un peu moins affecté que les départements, qui subissent une explosion de la dépense obligatoire (APA, RSA, handicap...). Ils la ressentent d'autant plus que ces dépenses obligatoires représentent, et de très loin, la part essentielle de leur budget : dans mon département, sur environ 450 millions de dépenses de fonctionnement, 372 millions correspondent à des dépenses obligatoires. Les départements sont en grave danger parce qu'ils ont une explosion des dépenses liées au vieillissement et à l'exclusion sociale, dues à des normes établies sur des critères nationaux qui ne leur laissent aucune marge de manoeuvre. Quant à la région, elle est en très grave danger car elle n'a plus la moindre autonomie fiscale. Je ne comprends pas le Conseil constitutionnel, qui a considéré qu'il n'y avait pas atteinte à l'autonomie des collectivités. Certes, dans la Constitution, on a consacré l'autonomie financière plutôt que l'autonomie fiscale. Il n'empêche qu'une collectivité qui ne lève pas d'impôts, cela devrait nous interpeler.
J'en viens maintenant aux propositions de l'Institut.
Tout d'abord, nous pensons qu'il serait souhaitable d'avoir des garanties de la part de l'Etat, afin d'arriver à des situations comme celle dans laquelle se trouve la région qui, de réforme en réforme, n'a finalement plus ni taxe d'habitation, ni taxe professionnelle aujourd'hui, ni foncier bâti, bref à un niveau de collectivités qui n'a plus aucun levier fiscal.
Nous pensons aussi, à l'Institut, qu'il faut redémarrer, rebâtir la décentralisation. Il faut d'abord desserrer l'étau de l'Etat. L'Etat ne peut pas être juge et partie. Il faut qu'il transfère un certain nombre de compétences. Nous pensons ainsi qu'il faut donner un pouvoir normatif aux régions. L'Etat, dans un certain nombre de domaines, ferait mieux de déléguer. Un exemple caractéristique : le logement ; l'Etat pourrait très bien dire chaque région mène une politique sur la base d'orientations obligatoires qu'il définirait. Autre exemple : la formation professionnelle, qui ne peut pas être uniforme sur le territoire ; elle doit être adaptée.
L'Etat devrait donc déléguer, mais pas forcément ad vitam aeternam. On pourrait le décider pour quatre ans, par exemple, pour disposer ensuite d'une année d'évaluation, donnant lieu une vraie interpellation du Parlement national. A l'Institut, on approuve la proposition de M. Pierre Méhaignerie d'une expérimentation, permettant de voir, par exemple sur trois ou quatre régions, comment, dans tel et tel domaine faire fonctionner un pouvoir réglementaire d'adaptation. Il faudrait essayer de rebâtir la région autour de cette idée.
Par ailleurs, nous condamnons, à l'Institut, une approche uniforme qui ne nous semble pas répondre à la nécessité de compétition et d'attractivité territoriale. Par exemple, l'idée d'avoir des villes métropoles reprenant des compétences des départements, et de procéder en conséquence à des adaptations dans les départements concernés, n'a rien de scandaleux... dès lors, bien sûr, qu'il ne s'agit pas de faire disparaître le département.
Nous refusons donc une uniformité qui tuerait l'émergence des métropoles. En ce sens, le rapport Balladur ne nous a pas choqués, on n'a pas trouvé absurde de dire qu'il fallait 4, 5 ou 6 métropoles, en dehors de Paris qui est ville mais aussi conseil général. Pourquoi Paris aurait le droit d'exercer les compétences d'un département et pas des villes comme Lyon, Marseille, Toulouse, Nantes ?
Il faut aussi s'attaquer à la péréquation. Mais, jusqu'à présent, la péréquation est verticale, et non horizontale : faire de la péréquation uniquement sur le budget national, cela ne peut pas fonctionner dans un pays où les finances de l'Etat sont dans la situation que l'on sait. Il faut donc faire de la péréquation à la fois horizontale et verticale. Les conseils généraux sont à cet égard très utiles et remplissent de vraies fonctions de péréquation là où nous avons des villes moyennes, des petites villes, des villes rurales.
La réforme de la taxe professionnelle a prévu des dispositifs de péréquation pour la région et le département. Mais rien n'a été fait pour le bloc communal où les disparités sont les plus fortes. L'Assemblée nationale comme le Sénat, vont retravailler sur cette péréquation. Les grandes associations nationales d'élus (AMF, ADCF) y travaillent également. Il faut s'occuper vraiment du problème de la péréquation.
Sur les compétences des régions, il faut tirer les régions vers le haut, mais pas vers le bas. Leur rôle c'est de faire de la recherche/développement, du capital risque régional, de l'université de filières, beaucoup de formation professionnelle, de l'enseignement technique, qui pour moi ne doit pas être uniforme, et de la politique de l'emploi.
Nous ne sommes pas hostiles à une spécialisation des compétences, hors sport, culture, tourisme (ce dont a d'ailleurs tenu compte la loi de 2010). Je ne crois pas qu'il faille dire que tout le monde doit faire tout, ne serait-ce que parce qu'il y a raréfaction de l'argent public. Même s'il ne faut pas exagérer les chevauchements, il faut être responsable et gérer au mieux l'argent public.