Comme vous le savez, le Président de la République a lancé, à la fin de l'année dernière, le chantier de l'allègement des normes qui pèsent sur les collectivités territoriales.
Il était tout à fait logique que le Sénat y participe. Le Président Larcher a souhaité que notre délégation soit en quelque sorte la cheville ouvrière de cette réflexion, en étroite concertation avec les commissions permanentes (hors, bien sûr, la commission des Affaires étrangères) ; nous en avons rencontré les présidents et chacune m'a adressé sa contribution dont, vous le verrez, j'ai toujours tenu grand compte.
Vous savez aussi que, parallèlement, le Président de la République a nommé notre collègue Eric Doligé, parlementaire en mission sur ce sujet ; ses conclusions sont attendues pour la fin du mois de mars. J'ai bien entendu travaillé en relation avec lui.
Les associations d'élus ont aussi été sollicitées sur un sujet que chacun s'accorde à reconnaître comme fondamental.
On évalue à 400 000 le nombre de normes applicables aux collectivités territoriales. Le seul code général des collectivités territoriales fait 3 500 pages. Il ne représente pourtant qu'une toute petite partie des textes que sont censés connaître et faire appliquer les élus locaux (code électoral, code de l'urbanisme, code de la construction et de l'habitation, code de l'environnement, code de la fonction publique...).
Le hasard faisant mal les choses, il se trouve que j'ai reçu, hier, deux courriers symptomatiques de la situation à laquelle nous sommes parvenus. Le premier pour m'informer que, à la suite de nouvelles normes de la fédération de basket, les installations de la région Poitou-Charentes sont à refaire et que les maires sont priés de faire appliquer ces exigences. L'autre courrier, relatif à la continuité écologique des cours d'eau, me demandant de créer des rivières de contournement pour assurer le passage des poissons et allant jusqu'à préconiser l'arasement des ouvrages existants ; en clair, on me demande de supprimer les aménagements de rivières, des moulins multiséculaires... pour faciliter le passage des poissons ! Quand on lit des choses comme ça, on se dit que les élus sont parfois confrontés à des interlocuteurs bien loin des réalités.
Pour vous donner une idée du coût qui pèse sur les collectivités, sachez que les seules normes du pouvoir exécutif adoptées en 2009 et 2010 ont représenté respectivement 580 et 577 millions d'euros...près de 1,2 milliard en deux ans, pour les seules normes de l'Etat.
Il faut y ajouter les coûts de toutes les autres normes : lois, textes communautaires, règlements des fédérations sportives, normes AFNOR (facultatives en droit, mais quasi obligatoires en fait)... et parfois des normes venant des collectivités territoriales elles-mêmes, puisque certaines administrations locales ont tendance à subordonner l'octroi de subventions au respect de prescriptions qui, au final, finissent par représenter des dépenses absorbant peu ou prou l'enveloppe accordée.
A côté de leurs coûts purement financiers, l'inflation des normes porte gravement atteinte à la sécurité juridique : les règles changent, se superposent, deviennent incompréhensibles, mais les élus sont censés toutes les connaître sous peine d'être poursuivis pénalement, ce qui, on le sait, arrive.
Le Gouvernement a conscience du problème puisqu'il a décidé, en juillet dernier, un moratoire sur les normes. Mais ce moratoire n'est que partiel : il ne concerne notamment ni la mise en oeuvre du droit communautaire ni l'application des lois, sans parler des cas où, par exception, l'administration juge nécessaire de contourner ce moratoire. En outre, celui-ci ne répond pas à la question du stock de normes.
Endiguer le flux de normes, et a fortiori réduire le stock, se heurte à au moins trois séries d'obstacles.
La première résulte de l'atomisation des prescripteurs.
La deuxième est liée à la multiplicité des secteurs concernés par les normes. Dans les contributions des commissions, certains reviennent cependant régulièrement, ce qui nous permet d'établir une sorte de « hit-parade » : les normes relatives à l'accessibilité, aux SDIS, à l'urbanisme.
L'exercice est complexe, car s'attaquer au stock suppose un réexamen complet de l'existant, mais il est indispensable d'agir, et d'agir vite.
Depuis un peu plus de deux ans, une commission consultative d'évaluation des normes, la CCEN, présidée par Alain Lambert, examine les conséquences pour les collectivités territoriales des projets de normes. Mais elle n'a qu'un pouvoir consultatif et ses avis ne sont pas forcément suivis par le Gouvernement. De plus, là aussi, le stock n'est pas concerné.
Les premières propositions que je vous fais consistent à responsabiliser financièrement l'Etat. Comme l'Etat n'assume pas les conséquences financières de ses prescriptions, il a tendance à être extrêmement exigeant, dans le contenu des mesures qu'il édicte et dans leur application. Beaucoup de fonctionnaires n'ont d'ailleurs plus que ça comme travail. D'où mes deux propositions :
- exiger, sous peine d'irrégularité, une compensation équivalente par l'Etat des conséquences pour les finances locales des normes qu'il édicte dans les domaines transférés aux collectivités territoriales ;
- instaurer un fonds de compensation des conséquences financières des normes de l'Etat.