Intervention de Jean Bizet

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 29 juin 2010 : 1ère réunion
Conclusions du groupe de haut niveau sur le lait — Débat et présentation d'une proposition de résolution européenne

Photo de Jean BizetJean Bizet, président de la commission des affaires européennes :

Le projet de proposition de résolution qui vous a été adressé à la fin de la semaine dernière fait suite au rapport du groupe d'experts à haut niveau sur le lait qui a été rendu public le 15 juin 2010.

Ce groupe fut créé le 5 octobre 2009 à la suite de la crise du lait. La France a très largement poussé à sa création sous l'égide de la Commission européenne. Composé de représentants de chaque État membre, il était présidé par Jean-Luc Demarty, le directeur général de la DG agriculture de la Commission européenne. Il m'a semblé important que, dans le cadre du groupe de travail conjoint sur la réforme de la politique agricole commune (PAC), notre commission, puis la commission de l'économie, prenne rapidement position sur ce document. En effet, même si le groupe d'experts avait pour unique lettre de mission de se pencher sur le secteur du lait, ses conclusions alimenteront les réflexions sur la réforme de la PAC.

Le calendrier est serré. Les conclusions du groupe d'experts devraient en effet se traduire par des initiatives de la Commission européenne à la fin de l'année et les discussions sur la réforme de la PAC devraient débuter au mois de novembre prochain. Nous ne pouvions donc pas nous permettre de laisser passer l'été avant de réagir à ce document important.

J'ai procédé à une dizaine d'auditions auxquelles plusieurs membres du groupe de travail ont participé. Je ne reviendrai pas sur la crise du lait de 2008-2009. Nous l'avons souvent évoquée et analysée dans nos commissions respectives. Je dresserai néanmoins un bref panorama de la filière lait.

Depuis 1999, la filière lait tend de plus en plus à se rapprocher du fonctionnement normal d'un marché concurrentiel. Les prix d'intervention baissent régulièrement, les droits à paiement unique (DPU) sont déconnectés de la production réelle et la fin des quotas est annoncée normalement pour 2015. Ces réformes ont eu pour effet de rattacher de plus en plus les prix européens aux prix mondiaux, et en particulier à celui de la poudre de lait. Simultanément, les caractéristiques du marché du lait n'ont pas fondamentalement changé : l'offre et la demande sont très peu élastiques, le stockage du lait brut est limité, les aléas climatiques et sanitaires demeurent, la production est peu différenciée et le rapport de force entre producteurs et transformateurs est resté inégal. Il a résulté de l'ensemble de ces facteurs une très forte volatilité des prix et une tendance à faire peser sur les seuls producteurs l'effort de réduction des marges. Ainsi, le consommateur final n'a même pas bénéficié de la baisse des prix.

Cette analyse est partagée par le rapport du groupe d'experts. Cela constitue déjà un point de satisfaction, car c'est une reconnaissance du fonctionnement non optimal du marché.

Le groupe d'experts avait pour mission de dégager des solutions à moyen et long terme pour le secteur laitier qui tiendraient compte de la fin des quotas en 2015. L'objectif était de définir un cadre réglementaire contribuant « à stabiliser le marché et le revenu des producteurs et à améliorer la transparence sur le marché ». Trois principaux défis sont à relever :

- réduire la volatilité des prix ;

- rétablir un partage plus équilibré des marges ;

- améliorer la compétitivité et la valeur ajoutée des producteurs.

Sur le premier point, la volatilité des prix, le groupe d'experts répond qu'il faut maintenir les mécanismes d'intervention sur les marchés en vigueur. Ce constat a d'ailleurs été confirmé par mes auditions. Les deux mécanismes les plus efficaces ont été le stockage public et privé. A cet égard, le stockage public a été profitable in fine à la Commission européenne qui, ayant acheté au plus bas, a pu revendre une grande partie de son stock ces dernières semaines à un prix très intéressant. Il est donc fondamental de préserver ces outils, voire de les perfectionner pour rendre leur utilisation beaucoup plus souple et rapide en cas de retournement brusque du marché.

J'ajoute que ces mécanismes d'interventions sur le marché sont à peu près les seuls moyens de réduire la volatilité des prix. Preuve en est que le groupe d'experts se contente, fort de ce constat, de demander à la Commission d'explorer d'autres solutions... sans donner la moindre piste ! Les marchés à terme sont certes évoqués, mais avec prudence. Le risque spéculatif est pointé du doigt, ce qui serait plutôt de nature à amplifier la volatilité. En revanche, cela peut devenir un indicateur des prix futurs et un moyen de gérer le risque. Quant aux autres mesures proposées, comme la contractualisation ou la concentration de l'offre des producteurs, elles ne devraient pas influer sur la volatilité des prix, mais offrir plutôt une certaine stabilité et prévisibilité du revenu et redistribuer partiellement la marge au profit des producteurs.

Ce plaidoyer pour le maintien de mécanismes d'intervention sur le marché du lait n'a pas pour but d'en faire la solution parfaite. A cet égard, la perspective de la fin des quotas en 2015 est porteuse d'incertitude. Aujourd'hui, le déséquilibre entre l'offre et la demande demeure malgré tout encadré par les quotas. Demain, si les quotas sont supprimés, il n'y aura plus de limites a priori au volume de production et le maniement des interventions pourrait devenir plus délicat, s'il n'est pas adapté.

Le deuxième point est le rétablissement d'un partage plus équilibré des marges entre producteurs, transformateurs et distributeurs.

A titre liminaire, remarquons que les travaux du groupe d'experts n'abordent pas directement les relations avec les distributeurs, mais traitent seulement des relations producteurs-transformateurs. Pourtant, les distributeurs font peser une pression générale sur les prix, tout particulièrement en France où la concentration du secteur est exceptionnelle. Mais c'est un problème qui dépasse le seul marché du lait. En revanche, on peut espérer que le rétablissement d'un équilibre entre producteurs et transformateurs contraigne à moyen terme les transformateurs à ne pas faire jouer la variable d'ajustement sur les seuls producteurs, mais aussi sur les distributeurs.

Que propose le groupe d'experts ? Tout d'abord, il propose de développer la contractualisation par écrit entre producteurs et transformateurs, les États membres pouvant la rendre obligatoire. Sur ce point, le projet de loi de modernisation agricole et de la pêche anticipe donc.

Nous ne pouvons que nous féliciter de cette proposition. Elle offrira une meilleure visibilité pour le producteur, ce qui est essentiel quand on souhaite investir. La contractualisation peut aussi, si le rapport de force est équitable, favoriser une certaine stabilité du revenu.

C'est la raison pour laquelle je vous proposerai d'ajouter dans la proposition de résolution que des contrats types pourraient être définis dans un cadre interprofessionnel. Le but est d'éviter que le producteur se retrouve seul face à son acheteur pour négocier toutes les clauses du contrat. Un contrat type pourrait prévoir par exemple qu'une partie du volume est achetée à un prix relativement stable sur deux ou trois ans, tandis qu'une autre partie obéirait plus aux variations des cours.

Il est important que notre proposition de résolution mette en avant l'interprofession, car de nombreux États membres ignorent ce mode d'organisation et le groupe d'experts est lui-même assez timide sur ce sujet. A cet égard, je souhaite attirer votre attention sur la décision prise la semaine dernière par la Fédération nationale des industries laitières d'augmenter unilatéralement le prix d'achat du lait. Cette décision unilatérale va à l'encontre de toute cette politique de contractualisation et d'organisation des relations commerciales. Je la regrette sur la méthode, sans me prononcer sur le prix du lait retenu. Cela montre en tout cas que le chemin est encore long.

L'autre proposition phare du groupe d'experts s'attaque directement à la question de l'application du droit de la concurrence au secteur du lait. Le droit de la concurrence est souvent critiqué pour ne pas permettre aux producteurs de s'organiser entre eux, afin de négocier le prix d'égal à égal avec des transformateurs beaucoup plus concentrés.

Le groupe d'experts en prend acte et propose, non pas de déroger au droit de la concurrence, mais d'adapter son application à la réalité du fonctionnement du marché du lait. En particulier, il propose de fixer a priori la définition du marché pertinent. Des organisations de producteurs seraient donc autorisées à négocier ensemble les contrats, y compris le prix, si leurs parts de marché cumulées n'excèdent pas une limite quantitative exprimée en pourcentage de la production de lait européenne. D'après les informations recueillies, ce pourcentage devrait tourner autour de 2 ou 3 %, ce qui correspond à la production laitière de la Bretagne ou de la Normandie. Il s'agit d'une avancée très significative. En outre, elle placerait les producteurs de l'Union sur un pied d'égalité.

Cette proposition très novatrice par rapport à l'orthodoxie du droit de la concurrence mérite d'autant plus d'être soutenue qu'un travail important de pédagogie reste à faire en France pour convaincre nos producteurs de la nécessité de s'organiser. Nous sommes l'un des pays où les producteurs sont les moins organisés, que ce soit dans un cadre coopératif ou non. Nous critiquons souvent les règles de la concurrence, mais il n'est pas sûr que nos producteurs utilisent déjà toutes les facultés offertes par ces règles.

Enfin, le rapport du groupe d'experts souligne l'importance d'un marché transparent. La connaissance du marché par les acteurs de la filière est fondamentale pour déterminer les prix, les évolutions prévisibles de la demande et de l'offre à court et moyen termes. La fin annoncée des quotas rend cette exigence encore plus impérieuse. Malheureusement, les propositions concrètes sont trop timides. Il ne suffit pas d'agréger ou de compiler au niveau européen des données statistiques existantes. La proposition de résolution propose d'aller plus loin en s'appuyant sur les organisations interprofessionnelles. C'est sans doute le lieu idéal pour mieux appréhender le marché du lait et essayer de dégager des prévisions sur l'offre et la demande.

Sur le troisième point, à savoir « améliorer la compétitivité et la valeur ajoutée des producteurs », le rapport est moins disert. Outre l'organisation des producteurs, qui peut être un facteur de compétitivité lorsqu'elle se traduit par une mise en commun de moyens ou une diversification des débouchés, le groupe d'experts insiste sur l'importance de la recherche et de l'innovation.

A ce chapitre important de l'innovation, il faut probablement ajouter celui de la défense de nos productions de qualité. Les productions de montagne en particulier ne sont pas compétitives sur le marché du lait brut basique. Avec la fin des quotas qui assure le maintien d'une activité de production de lait dans la plupart de nos régions, un risque important de délocalisation de la production existe. Pour le conjurer, une des réponses est de valoriser la qualité exceptionnelle de ces productions, y compris sur le plan environnemental. Cela ne sera possible qu'à la condition de rendre plus systématique l'étiquetage de l'origine ou de consolider les organisations interprofessionnelles.

Enfin, à partir de l'expérience du lait, la proposition de résolution s'essaie à dessiner quelques pistes de réflexion dans la perspective de la future réforme de la PAC. Ainsi, plusieurs des propositions du groupe d'experts pourraient être étendues à d'autres secteurs que le lait. D'ailleurs, les propositions sur le lait ont été en partie inspirées par l'expérience du secteur des fruits et légumes.

Une première idée, qui serait une réponse à la volatilité des prix et donc des revenus des producteurs, consisterait à moduler les DPU en fonction de la fluctuation des prix. Lorsque les prix sont hauts, une partie d'entre eux serait conservée pour être redistribuée en période de chute des prix. Ce système aurait aussi comme vertu de les rendre plus acceptables pour une partie de l'opinion. Une seconde fait écho aux observations sur l'organisation insuffisante des producteurs français. Il faut réfléchir à des incitations à plus et à mieux s'organiser.

Pour conclure, la proposition de résolution soutient globalement le rapport du groupe d'experts. Rien n'est acquis. Le rapport doit encore convaincre la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil. Ce dernier devrait d'ailleurs en discuter lors de sa réunion du 13 juillet. Les auditions ont montré que les acteurs de la filière lait étaient plutôt satisfaits. Les réserves ou critiques que je vous suggère tendent à pousser à un peu plus loin le curseur, sans toutefois prendre le risque d'une levée de boucliers chez certains États membres. Les esprits sont en train d'évoluer progressivement. Ne cassons pas cette bonne dynamique.

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