Intervention de Jean-Michel Blanquer

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 6 juin 2006 : 1ère réunion
Amérique latine — Audition de M. Jean-Michel Blanquer recteur de l'académie de guyane

Jean-Michel Blanquer, recteur de l'Académie de Guyane :

pour son propos introductif, a dégagé trois lignes de force dans l'évolution politique, économique et internationale récente de l'Amérique latine :

- tout d'abord, une poursuite de la consolidation démocratique engagée depuis une quinzaine d'années, comme en témoignent le déroulement satisfaisant des processus électoraux et les alternances politiques ;

- la recherche d'un nouveau modèle économique, alors que, dans le passé récent, les conceptions néo-libérales ont été mises en oeuvre de manière beaucoup plus prononcée en Amérique latine que partout ailleurs ;

- enfin, un affaiblissement de la position des Etats-Unis, amorcé depuis plusieurs années, mais actuellement en voie d'approfondissement.

Evoquant les évolutions politiques internes en Amérique latine, M. Jean-Michel Blanquer a souligné la nécessité de relativiser certaines perceptions européennes. Les succès électoraux de la gauche dans certains pays ne doivent pas occulter les positions que la droite conquiert ou consolide dans d'autres, comme en Colombie, avec la réélection du président Uribe, ou au Mexique avec la situation favorable de Felipe Calderon, candidat du Parti d'Action nationale du Président Vicente Fox, pour la prochaine élection présidentielle. Par ailleurs, les notions de gauche et de droite ne recouvrent pas les mêmes réalités qu'en Europe, d'autres clivages pouvant s'avérer plus pertinents. Il faut noter cependant une tendance à la bipolarisation (comme en Colombie) qui est parfois porteuse de tension, mais aussi de clarification.

a néanmoins distingué trois tendances majeures dans les évolutions politiques internes des pays d'Amérique latine :

- l'affirmation d'une gauche de gouvernement, qui représente un phénomène nouveau au regard de la tradition historique du continent, et qui est illustrée par les cas du Chili, de l'Uruguay et surtout du Brésil, avec la consolidation de l'assise du président Lula qui se ressent au-delà de son seul pays ;

- le développement d'une gauche populiste incarnée par le président vénézuélien Hugo Chavez, bien que ce dernier soit avant tout un militaire et un nationaliste ; cette mouvance revendique une influence sur tout le continent, en relais de celle exercée par Cuba ; elle entend utiliser comme levier la puissance énergétique pour mieux affirmer sa ligne politique ;

- enfin, l'existence d'une droite de gouvernement venant d'enregistrer un succès notable avec la réélection en Colombie du président Uribe, crédité de sa fermeté dans la lutte contre la guérilla ; cette mouvance de droite développe sa propre philosophie économique et sociale ; elle est proche des Etats-Unis, comme en témoigne la signature avec ces derniers d'un traité de libre commerce par la Colombie, tout comme par le Pérou.

a observé qu'au-delà des positions exprimées dans les discours ou des tensions liées à la présence de certains éléments des Forces armées révolutionnaires colombiennes (FARC) sur le territoire vénézuélien, le dialogue entre la Colombie et le Venezuela était maintenu et les relations entre les deux pays s'étaient apaisées. Ces relations constitueront une des clefs de l'évolution politique du continent, au même titre que le développement de la puissance brésilienne.

a ensuite évoqué la situation régionale, marquée à ses yeux par une véritable crise des projets d'intégration. Il a rappelé que deux visions s'affrontaient. La première, soutenue par les Etats-Unis et incarnée par l'ALCA (zone de libre échange des Amériques), vise à promouvoir le libre commerce de l'Alaska à la Terre de Feu. Elle a recueilli l'approbation de plusieurs pays d'Amérique centrale, de la Colombie et du Pérou, qui pourraient être rejoints par l'Uruguay. Le Mercosur, quant à lui, est plus influencé par le modèle européen, puisqu'il comporte potentiellement un projet d'intégration politique et institutionnelle. Le Mercosur est toutefois paralysé par les divergences de vues entre ses membres, et notamment par la crainte éprouvée par les « petits » pays que sont l'Uruguay et le Paraguay, face au Brésil et à l'Argentine. Motivé par l'adhésion de la Colombie à l'ALCA, le retrait du Venezuela de la Communauté andine des Nations porte un coup décisif à cette dernière en tant que projet d'intégration et renforce la bipolarisation autour de l'ALCA, d'une part, et du Mercosur, de l'autre. L'arrivée du Venezuela dans celui-ci serait plutôt vue favorablement par l'Argentine, qui souhaite un rééquilibrage face à la puissance brésilienne. Les divergences entre pays constitueront toutefois un obstacle important à l'intégration régionale, tout comme la rivalité pour le leadership entre le président brésilien Lula et le président vénézuélien Chavez, qui n'a pas hésité à prendre parti dans les scrutins présidentiels des autres pays du continent. La question de l'énergie, aussi bien la production que les réseaux de distribution, sera cruciale au cours des prochaines années. Elle sera à la fois un facteur d'union (nécessité de construire des réseaux communs, de marquer des solidarités, de définir une position internationale) mais aussi de division (comme le montrent les tensions entre la Bolivie et le Chili ou plus récemment les divergences d'intérêt entre Bolivie et Brésil). La relation entre le Brésil et le Venezuela dans le futur sera une clé des évolutions de l'Amérique du sud en la matière.

a ensuite souligné l'autonomie politique de plus en plus affirmée prise par le continent sud-américain vis-à-vis des Etats-Unis. Les choix de politique énergétique en offrent l'illustration et les Etats-Unis, dépourvus de prise sur cette nouvelle orientation politique, sont désormais contraints d'adapter leur stratégie traditionnelle en jouant davantage sur la diplomatie.

S'agissant des relations avec l'Europe, M. Jean-Michel Blanquer a considéré que le récent sommet Union européenne - Amérique latine, à Vienne, s'était soldé par un échec. L'Union européenne, du fait notamment des divergences en matière agricole, n'est toujours pas en mesure de conclure des négociations commerciales avec le Mercosur, alors qu'elle est plus facilement parvenue, paradoxalement, à nouer des accords avec des pays comme le Mexique ou le Chili, qui avaient déjà traité avec les Etats-Unis. Le phénomène se produit de nouveau avec les négociations Union européenne-Amérique centrale, motivées en grande partie par l'existence d'un accord entre cette région et les Etats-Unis. Par ailleurs, les relations Union Européenne-Amérique latine ne pourront véritablement déboucher sur un axe politique efficace que lorsque les pays d'Amérique latine auront surmonté leurs propres difficultés et trouvé un accord sur leur propre modèle d'intégration régionale.

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