Intervention de Jean-Michel Blanquer

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 6 juin 2006 : 1ère réunion
Amérique latine — Audition de M. Jean-Michel Blanquer recteur de l'académie de guyane

Jean-Michel Blanquer, recteur de l'Académie de Guyane :

a apporté les éléments de réponse suivants :

- Cuba et le Venezuela sont des pays clés pour l'avenir des négociations de paix en Colombie. Cuba vient d'ailleurs de jouer un rôle important pour la réalisation de négociations avec l'ELN. A cet égard, la récente réélection du président Uribe devrait permettre une phase nouvelle de modération. Le président colombien pourrait atténuer son discours radical sur la guérilla et s'appuyer sur sa nouvelle légitimité pour engager des négociations avec les FARC, si celles-ci veulent bien l'accepter. Par ailleurs, l'émergence, pour la première fois en Colombie, d'une « gauche de gouvernement » autour de M. Carlos Gaviria, dont le « pôle démocratique » a rassemblé 22 % des suffrages, est aussi un élément de contexte favorable ;

- les FARC sont plurielles et rassemblent des fronts qui n'ont pas toujours les mêmes positions. Le président vénézuélien fait preuve de prudence à l'égard des FARC, par crainte des conséquences de leur activité sur le territoire même du Venezuela et parce qu'il peut redouter des débordements sur sa gauche en politique interne. L'implication des FARC dans le narcotrafic est reconnu par tous et elles-mêmes ne s'en cachent pas, mais cet aspect n'affecte que peu leur crédibilité, qui repose justement sur leur puissance ;

- l'affaiblissement de l'influence des Etats-Unis, même s'il est relatif dans la région, n'est pas seulement transitoire. La maturation démocratique des pays latino-américains est entrée dans une phase irréversible et l'Amérique du sud (plus que la méso-Amérique) vit désormais une indépendance véritable à l'égard de leur voisin du nord. Après le temps de l'hégémonie, puis de la domination, on est aujourd'hui dans celui du partage d'influence ;

- la Chine est un nouvel acteur essentiel en Amérique latine et participe à la concurrence d'influences qui s'y exercent. Elle est un investisseur et un importateur majeur dans la zone et sa présence très active atteste d'une évolution sensible des relations internationales ;

- l'Union européenne n'a pas une approche homogène de l'Amérique latine, alors même que ces deux ensembles sont culturellement très proches et que des traditions communes et des coopérations anciennes les relient. L'Europe et l'Amérique latine sont cependant éloignées à l'aune des intérêts relatifs de l'Union européenne, qui privilégie traditionnellement l'Asie, l'Afrique ou le Proche et Moyen-Orient.

La politique des grandes entreprises et des grands groupes industriels européens est différente et ceux-ci ont pris l'Amérique latine au sérieux depuis longtemps. A cet égard, la politique des pays européens dans cette zone n'est pas à la hauteur de celle des grands groupes industriels, même si elle a pu, ici et là, conduire à quelques échecs, comme en Argentine ;

- l'émergence du mouvement amérindien est un élément, en effet, essentiel. Cette montée en puissance est constatée depuis plusieurs années, parallèlement à la démocratisation engagée dans les années 80. Des identités amérindiennes sont ainsi apparues dans des pays où elles étaient inconnues auparavant, comme en Colombie. Ces identités sont aujourd'hui dynamiques, aussi bien au Mexique qu'au sud de la Colombie. L'accès au pouvoir de leaders « indigénistes » peut être un facteur de modération en ce qu'il est l'occasion de réformes sociales et qu'il permet de réduire un certain « racisme » anti-blanc, « anti-colonisateur », « anti-bourgeois », qui pouvait conduire à de nouvelles dérives dans certains pays ;

- l'Amérique latine reste la zone du monde la plus inégalitaire, mais les partis représentant les classes défavorisées engagent, comme au Brésil, au Venezuela ou en Argentine, des réformes sociales qui permettent une réduction, même très légère et très lente, de l'inégalité ;

- le poids historique de la France en Amérique latine reste important : en particulier, sa présence culturelle y est forte, même si la coopération scolaire et universitaire gagnerait à être revitalisée. Sur le plan économique également, les grandes entreprises françaises sont implantées et actives. Tout cela crée un terrain favorable à des initiatives politiques. A cet égard, le récent déplacement du chef de l'Etat est significatif, ayant impliqué à la fois des grandes entreprises et des projets de coopération, notamment dans les domaines universitaire et scolaire. Enfin, il convient de ne pas oublier que la présence française dans la région, à travers les Antilles et la Guyane, constitue un atout que l'opinion française n'apprécie pas toujours à sa juste valeur.

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