Intervention de Bruno Le Maire

Commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire — Réunion du 2 novembre 2011 : 2ème réunion
Loi de finances pour 2012 — Audition de M. Bruno Le maire ministre de l'agriculture de l'alimentation de la pêche de la ruralité et de l'aménagement du territoire

Bruno Le Maire, ministre :

La viticulture me passionne, et pas seulement pour des raisons économiques... La récole est effectivement très bonne. Nous pouvons être fiers de la qualité de notre vin. Dans un pays où l'on a tendance à noircir le tableau, la viticulture est la parfaite preuve que définir une stratégie cohérente et s'y tenir paye. En 2011, nous sommes redevenus le premier pays producteur au monde en valeur exportée, le premier producteur européen en volume avec 47,9 millions d'hectolitres, contre 47,7 l'an dernier. L'arrachage des vignes, il est vrai, a été terrible sur le plan humain... Mais, avec la réorganisation des plantations, on a arrêté de « faire pisser la vigne » - comme on dit - pour en tirer du vin de qualité médiocre. L'organisation des producteurs progresse : en trois ans, nous sommes parvenus à réduire le nombre d'interprofessions dans le Languedoc-Roussillon à trois, contre 13 auparavant. Le jour où je fermerai la porte de ce ministère derrière moi, j'espère qu'il n'en restera plus qu'une seule. Pourquoi ? Parce que cela signifie des frais de fonctionnement réduits - 1 à 2 centimes en moins sur chaque bouteille -, une stratégie commerciale à l'exportation plus cohérente, des choix de structuration de l'offre et, donc, la capacité à répondre aux Chinois, notre premier marché aujourd'hui. Un petit château sympathique du bordelais qui n'est pas en mesure d'offrir au minimum 10 millions de bouteilles, cela ne les intéresse pas ! Nous devons ce succès à l'excellence, non du ministre de la viticulture, mais des viticulteurs !

S'agissant de l'aide à la promotion, l'Union européenne avait laissé le choix, en 2008, de distribuer les crédits aux exploitants ou de les concentrer sur la promotion collective. Sur la recommandation de leur ministre, les viticulteurs ont opté pour la seconde solution ; bien leur en a pris ! Des crédits européens de 260 millions d'euros sur cinq ans ainsi qu'une aide nationale de 8 millions représentent une véritable force de frappe dans la commercialisation à l'exportation tandis qu'un chèque de 50 euros à chaque viticulteur n'aurait qu'à peine amélioré leurs fins de mois. Pour autant, la bataille n'est jamais gagnée d'avance : nous devons la poursuivre.

Je serais tenté de répondre à Rémy Pointereau que le problème politique que nous rencontrons en matière de grappes d'entreprises est identique à celui que nous observons à propos des pôles d'excellence rurale ou des pôles de compétitivité. Cette politique lancée par le gouvernement est victime de son succès. Fin juin 2010, lors du second appel à candidatures sur les grappes d'entreprises nous avons reçu 186 candidatures, soit une augmentation de 40 % par rapport au premier appel d'offres, et 83 lauréats seulement ont pu être sélectionnés. J'ai donc décidé d'augmenter l'enveloppe des grappes d'entreprises de 4 millions d'euros par rapport au budget initialement prévu, mais, dans la mesure où il s'agit de politiques nationales, je vous rappelle que ces dispositifs ne peuvent bénéficier de fonds européens.

S'agissant des pôles d'excellence rurale, nous rencontrons aussi un très grand succès ; en témoigne la labellisation de 263 nouveaux pôles. Mais il nous est, là encore, très difficile de lancer de nouveaux appels d'offre parce que nous n'avons plus les moyens de répondre à des candidatures qui pourraient être extrêmement nombreuses. Je préfère assurer la réussite des pôles d'excellence rurale existants et veiller à ce qu'ils grandissent de façon cohérente plutôt que de multiplier les appels d'offre et occasionner des déceptions.

Quant aux services publics en milieu rural, qui correspondent, je le sais, à de très fortes attentes de nos concitoyens, je me dois de rappeler que nous avons fait le choix politique d'en moderniser le fonctionnement. Cela consiste, par exemple, à installer des relais postaux ou des « points Poste » à la place de bureaux de poste traditionnels de façon à réaliser des économies de fonctionnement, tout en assurant le même niveau de service en milieu rural.

Ronan Dantec, est-ce une bonne chose que l'aménagement du territoire soit accolé à l'agriculture et à la pêche ? Je vous répond très franchement que oui. Je crois qu'il s'agit d'un choix cohérent. Cela étant, si jamais le Président de la République et le Premier ministre souhaitaient, dans leur immense sagesse, placer un puissant secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'agriculture, je n'y verrais que des avantages. La charge de travail est lourde et l'on pourrait tout à fait envisager de renforcer l'équipe du ministre pour l'aider à accomplir sa mission.

S'agissant de la DATAR, je souhaite qu'elle continue de jouer un rôle très important, car c'est l'un des rares lieux de l'État où l'on fait encore de la prospective à long terme sur les politiques publiques. Elle apporte vraiment des aides extrêmement utiles à la décision, qui ne sont pas des outils pensés uniquement en termes sectoriels. Certes, des réflexions sont également menées chez Nathalie Kosciusko-Morizet pour les questions environnementales ou chez François Baroin en matière économique, mais la DATAR constitue véritablement, en France, le lieu où l'on réfléchit en fonction des évolutions démographiques, des déplacements de population, ou encore en fonction de l'évolution des filières industrielles. Par exemple, les équipes de la DATAR me remettront prochainement un rapport intitulé France 2040 sur les évolutions à long terme de la Nation. A titre personnel et indépendamment de mes fonctions ministérielles, je trouve par exemple absolument passionnante en France, et même parfois inquiétante, la question des inégalités entre les territoires, en termes démographiques ou en termes économiques. Le fait que les populations se déplacent de plus en plus massivement vers l'Ouest, le littoral et les communes rurales sera ainsi de plus en plus déterminant dans nos choix économiques, sociaux et politiques. Le fait que certaines régions réussissent admirablement en termes industriels parce qu'elles sont mieux reliées ou parce qu'elles disposent d'infrastructures alors que, pour d'autres, le développement est plus difficile constitue aussi une donnée majeure. Telles sont, me semble-t-il, certaines des questions fondamentales qui se poseront à la France de demain.

Concernant le programme « algues vertes », je rappelle que nous y avons consacré 135 millions d'euros sans que les résultats ne soient, pour le moment, à la hauteur de ce que nous pouvions espérer. Mais il n'y a pas d'impuissance de l'État. Des choix ont été faits, qui donneront des résultats sur le long terme, notamment grâce à des pratiques plus respectueuses de l'environnement, au développement de l'élevage à l'herbe et à des conditions d'épandage plus strictes. Je rappelle que j'ai eu l'occasion de répondre à une question au Sénat sur ce sujet et je précise que le décret que j'ai signé il y a quelques jours avec Nathalie Kosciusko-Morizet n'aboutit nullement à un allègement, mais au contraire à un durcissement des normes, notamment par une évaluation plus stricte des rejets d'azote par les animaux.

Il convient de toute façon d'examiner chaque année le résultat de ce plan afin de nous assurer qu'il donne les résultats que nous pouvons en attendre et de corriger le tir si jamais nous voyons qu'il faut aller plus loin. C'est la démarche dans laquelle nous sommes engagés avec les agriculteurs et avec les associations environnementales, et sans jouer les uns contre les autres. Mais ce n'est qu'à long terme que nous pourrons voir si cette démarche peut produire les résultats que nous attendons.

En réponse à Elisabeth Lamure à propos des pertes et du gaspillage dans le secteur agro-alimentaire, j'indiquerais, comme l'a très bien remarqué Marcel Deneux, que la situation dépend évidemment de la nature du pays. Le taux de perte est plus élevé dans les pays en développement que dans les pays développés. Ce taux est de 30 % environ dans les pays développés alors qu'il peut atteindre 40 % dans les pays les plus pauvres de la planète.

Les problématiques sont aussi très différentes. Dans les pays comme le nôtre les pertes tiennent, d'une part, à nos comportements de consommateurs. Nous n'avons pas toujours le réflexe qui consiste à se dire que la nourriture est rare et qu'il faut donc y faire attention. Cela peut être très largement corrigé. Mais cela tient aussi, d'autre part, au système des dates de péremption qui sont extraordinairement strictes, et qui aboutissent à des rejets massifs de la part de la grande distribution. Or, ces dates de péremption sont aussi une garantie de notre haut niveau de sécurité sanitaire grâce auquel les maladies et intoxications alimentaires sont sous contrôle. Elles sont moins nombreuses en Europe que sur d'autres continents, et notamment en France que dans d'autres pays développés.

Je suis tout à fait partisan d'un changement des comportements car gâcher la nourriture n'est pas acceptable. En revanche, face à certains projets d'assouplissement des règles de péremption, je suis surtout tenté de répondre : « prudence, prudence, prudence ». Si tout cela aboutissait à une augmentation du taux d'intoxications alimentaires, je ne suis pas sûr que l'on aurait beaucoup avancé.

Quant aux pays en développement, où les taux de perte sont plus importants, c'est un des objectifs du G20 que de contribuer à les faire baisser en agissant sur les trois causes principales. La première tient aux dégradations causées par les fléaux sanitaires ou environnementaux sur les cultures. Je songe notamment aux invasions de sauterelles. Rien n'a changé depuis les Sept plaies d'Egypte, de telles invasions continuent de détruire des récoltes entières dans un certain nombre de pays africains.

La deuxième raison est l'insuffisance de stockage. Dans bien des cas, celui-ci se fait quasiment à ciel ouvert, ce qui entraîne des pertes de récolte très importantes. Dans le cadre du G20, nous avons obtenu la possibilité de développer les réserves et le stockage dans les pays en développement, nous opposant sur ce sujet à la position des États-Unis.

Enfin une troisième cause de perte est l'absence d'une véritable chaîne du froid. Il s'agit d'un sujet absolument majeur dans nombre de pays en développement. C'est très bien de produire du lait ou de déclarer qu'il faudrait que les pays en développement aient accès à du lait frais. Mais c'est impossible tant qu'il n'y aura pas de chaîne du froid et extraordinairement complexe à mettre en place, même en Chine ou en Inde. La France, qui dispose d'une chaîne du froid particulièrement efficace, s'est donc engagée dans un certain nombre de coopérations techniques sur cette question avec des pays en développement.

Enfin, merci pour vos remarques sur la qualité de l'alimentation dans la restauration collective, parce que c'est un combat personnel auquel je suis très attaché. Si l'on veut garder un niveau et de sécurité sanitaire, et de qualité de l'alimentation en France qui soit un des meilleurs au monde, cela commence en effet par la restauration collective, et notamment par la restauration scolaire. Les enfants sont très attentifs à ce qu'ils mangent à l'école et ils trouvent que l'on peut faire beaucoup mieux. Mais quand je vois que les résultats en termes de lutte contre l'obésité en France sont les meilleurs de tous les pays développés, j'y vois la preuve que nous sommes dans la bonne direction. Tout n'est pas parfait, l'obésité progresse encore trop en France par rapport à ce qu'on pourrait espérer, mais si vous comparez la France à l'Allemagne, à l'Angleterre ou aux États-Unis, les ratios d'évolution de l'obésité vont de 1 à 3.

En réponse à Marcel Deneux, j'indiquerai que la volatilité des prix agricoles reste un combat absolument majeur. L'une des clefs de cette lutte réside d'abord dans l'augmentation de la production. Viennent ensuite les mesures de marché qui sont en cours de négociation. J'espère que nous aurons de bons résultats sur ces sujets demain, dans le cadre du G20.

Quant au nouveau responsable néo-zélandais, pour tout vous dire, je n'ai pas encore d'information. Mais je vais bien entendu y remédier très vite.

Enfin, concernant les farines animales, ma position m'a été reprochée parce qu'elle a été jugée trop sévère du point de vue sanitaire. Permettez-moi toutefois de dire que je me méfie de ces avis scientifiques qui vous disent que, suivant toute probabilité, il n'y aurait pas de risque sanitaire à réintroduire les farines animales, mais qui vous laissent entendre que, malgré tout, il y aurait peut-être, éventuellement, un petit risque...

Je le redis très clairement : tant que je serai ministre de l'agriculture, on ne réintroduira pas les farines animales dans l'alimentation des animaux d'élevage français.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion