a précisé qu'elle est docteur en psychologie, psychanalyste, expert près la Cour d'appel de Versailles sur les questions de harcèlement et responsable de la consultation « souffrance et travail » au Cash de Nanterre. Nanterre est un lieu particulièrement adapté à l'observation de la précarité et il est naturel qu'une consultation sur la souffrance au travail s'y soit développée. Cette consultation, comme les vingt-trois autres qui existent actuellement en France, a été mise en place à la suite d'un constat particulièrement inquiétant sur l'intensité de la souffrance au travail. On observe en effet depuis quelques années l'apparition de névroses post-traumatiques qui ne sont pas liées à un choc violent, comme c'est le cas habituellement, mais au travail lui-même.
Le travail est aujourd'hui à l'origine de pathologies spécifiques résultant de ses nouvelles formes d'organisation, qui mécanisent les gestes et considèrent le corps du salarié comme un moyen. Or, le geste de travail agit sur l'ensemble de la structure psychique de la personne car il est lié tant à son passé qu'à son rapport au monde. S'il ne faut pas minimiser la part des facteurs endogènes, c'est-à-dire ceux liés à la personne elle-même, dans la souffrance au travail, il est incontestable que les facteurs exogènes, liés à l'organisation du travail, ont des conséquences très importantes. Ainsi, quand une ouvrière se voit imposer une cadence de vissage de vingt-sept bouchons par minute ou qu'un cadre est soumis à une évaluation collective par onze de ses collègues, les effets sur la santé psychique ne peuvent être niés.
On peut caractériser les troubles cognitifs liés à la souffrance au travail comme une « surcharge mentale ». Ils se manifestent par :
- les effets de « burn out » dont le signe clinique reconnu est la névrose post-traumatique. On peut associer à ce phénomène les suicides « dédicacés » qui sont liés tout à la fois à l'espérance de laisser un message sur son lieu de travail et au sentiment d'être dans une impasse ;
- les violences au travail, qui sont en augmentation, que ce soient les violences des usagers, qui font face aux dysfonctionnements liés à l'insuffisance des moyens, les violences entre collègues qui résultent de la même cause ou les violences contre l'outil de travail. Ce phénomène est accentué par la pression morale désormais utilisée comme outil de management ;
- les troubles musculo-squelettiques et les accidents cardio-vasculaires sur le lieu de travail, connus sous le nom de « karoshi », et reconnus comme une maladie professionnelle tant au Japon, où ils ont été diagnostiqués pour la première fois, qu'aux Etats-Unis.
Sur une cohorte de six cents patientes du Cash de Nanterre victimes de harcèlement, on note aussi 30 % de troubles gynécologiques.
Ces trois aspects de la surcharge mentale sont liés à la pulvérisation des seuils physiques et psychologiques de soutenabilité des cadences de travail. Celui qui s'en sort n'est pas le plus solide mais bien le plus rapide, mais cette rapidité a un coût car la mauvaise qualité du travail accompli entraîne une piètre image de soi. L'hyperactivité devient une défense contre la souffrance et transforme les salariés en « athlètes de la quantité ». Il en est de même pour les cadres, si désireux de s'accomplir par leur travail que celui-ci occupe parfois toute leur existence. Le réveil en est pour eux d'autant plus rude et douloureux face à la réalité dégradée de leur activité. Il peut entraîner un raptus psychologique, c'est-à-dire une réaction brusque susceptible de conduire au suicide.
Cette réalité est inquiétante dans la mesure où le travail est une nécessité pour la construction psychique des individus. Il est le lieu de l'apprentissage de la résistance du réel et de la nécessité d'interagir dans le champ social. Seul le travail permet de canaliser les pulsions socialement destructrices. Il faut mettre fin au déni du caractère humain du travail et lui donner un sens, sous peine de se trouver face à des violences de plus en plus lourdes.