Je n'ai pas participé à l'élaboration du document cadre sur la politique de coopération. N'étant actuellement que pressenti pour occuper les fonctions de directeur général de l'AFD, il m'est difficile de me prononcer sur ce texte ; je crois d'ailleurs que les discussions budgétaires sont en cours.
Si je suis nommé, je demanderai à mes autorités de tutelle de formuler des orientations précises sur plusieurs sujets, et d'abord sur les priorités géographiques de notre action. L'AFD intervient aujourd'hui en Tanzanie, au Mali, en Argentine, en Inde, en Chine, et bientôt aux Philippines et au Mexique. Mais il faut éviter le saupoudrage. Il me paraît souhaitable de nous concentrer sur les pays francophones d'Afrique subsaharienne, des pourtours de la Méditerranée et de la péninsule indochinoise, ainsi que là où nos troupes sont présentes, pour compléter leur action militaire - par exemple en Afghanistan - et au Proche-Orient, où nous avons des engagements historiques et oeuvrons pour la paix. La question des choix géographiques rejoint celles de la combinaison de l'aide bilatérale et multilatérale et de la répartition entre prêts et dons.
Il faut ensuite définir des priorités sectorielles. L'AFD ne s'interdit aucun domaine d'intervention : lutte contre la pauvreté, aide au rattrapage économique, préservation de la biodiversité. Mais il faut privilégier la création de valeur, et préférer l'aide-projet à l'aide budgétaire, notamment dans le domaine agricole.
L'AFD utilise aussi une multitude d'instruments financiers, grâce à la dextérité de ses agents. Il faut poursuivre cette diversification.
Il est nécessaire d'augmenter la part de l'aide bilatérale, qui ne représente aujourd'hui que 40 % de l'aide publique au développement, ce qui pose un problème de lisibilité. Mais ne perdons pas de vue que si l'AFD dispose aujourd'hui de 6,5 milliards d'euros alors que sa dotation budgétaire ne dépasse pas 1 milliard, c'est parce qu'elle a réussi à récolter des fonds auprès de la Banque européenne d'investissement ou des Nations unies.
La Chine est aujourd'hui le sixième bénéficiaire de l'aide publique française. Si ces aides sont accordées sans concessionnalité, je n'y vois pas d'inconvénient. Nous avons intérêt à être présents dans ce pays influent, dont le rôle dans les négociations sur le climat est éminent, mais cela ne doit pas amputer les ressources dont nous disposons pour aider les pays moins favorisés.
Enfin, je crois nécessaire de renforcer les liens de l'AFD avec son pouvoir de tutelle, afin de rendre notre action plus lisible.
Vous m'avez interrogé sur la production cotonnière en Afrique, notamment au Mali. Alors que les pays du Sahel connaissent une progression démographique vertigineuse, leurs agriculteurs ne sont pas en mesure de nourrir leur population. Pourtant, l'expérience m'a appris qu'il est possible de doubler, voire de tripler leur production agricole. Le coton africain est aujourd'hui le plus compétitif au monde ; il fait vivre des millions de personnes et encourage le développement d'industries locales - production d'huile, de savon, d'aliments pour le bétail ...-, freinant ainsi la désertification des campagnes. Jusqu'au début des années 2000, l'Afrique assurait 16 % des exportations mondiales de coton, et ce succès est en partie dû à la coopération de la France. Mais elle subit aujourd'hui la concurrence des producteurs du Nord, subventionnés par les Etats. Le prix du coton a été divisé par trois en valeur réelle depuis une trentaine d'année. Aujourd'hui le cours remonte, et le taux de change est devenu plus favorable puisque le cours est libellé en dollars, mais les problèmes structurels subsistent. Plus que de charity business, l'Afrique a besoin que les promoteurs de la doctrine du Trade, not aid respectent les règles du commerce international. Ceux qui empêchent les agriculteurs africains de vivre de leur production ne doivent pas s'étonner de les voir peupler les bidonvilles des capitales, puis émigrer dans les pays du Nord !