Notre audition porte aujourd'hui sur l'évolution de la situation au Pakistan, pays que la commission a visité à la fin du mois de septembre 2009. Nous nous étions penchés en particulier sur l'environnement régional et la façon dont le Pakistan pouvait contribuer à la résolution de la question afghane. Nous avions porté une appréciation plutôt positive sur le rôle du Pakistan et sur la volonté de son gouvernement et de ses forces militaires de contribuer à une solution régionale de la crise. Notre conclusion était qu'il fallait supporter le Pakistan dont la déstabilisation serait extrêmement dangereuse.
Deux ans après la fin du régime militaire du Président Musharaf, le Parlement pakistanais vient de voter sa quatrième réforme constitutionnelle. Ce vote met fin à une crise institutionnelle qui a mis entre parenthèses pendant deux ans la résolution des grands dossiers économiques et sociaux dont seules les avancées permettraient aux pays d'aller de l'avant et de sortir du sous-développement qui est l'une des causes principales du terrorisme. Comme l'indiquait de manière très significative le Président Zardari à l'issue du vote constitutionnel, il faut s'attaquer à présent aux problèmes des gens : coupures d'électricité, chômage, inflation, sécurité publique, à l'alphabétisme et à la pauvreté. L'aide internationale, et notamment américaine, peut et doit y contribuer.
Si de nouveaux droits sont créés dans la Constitution amendée, et notamment un droit à l'éducation obligatoire jusqu'à 16 ans, nous avons pu constater sur place que la ponction budgétaire opérée par la défense depuis la création de l'Etat pakistanais s'était faite au détriment des deux piliers fondamentaux du développement que sont l'éducation et la santé. C'est en particulier la faillite de l'éducation nationale qui a permis le développement des écoles coraniques, les madrasas, où l'islamisme radical prospère. Les modifications apportées à la Constitution ne risquent-t-elles pas de demeurer un voeu pieu sans rééquilibrage budgétaire, c'est-à-dire vraisemblablement sans une diminution du poids global de l'armée dans l'économie ?
Mais celui-ci pose la question de la contribution du Pakistan à sa propre sécurité et à la sécurité régionale. Certes, l'amélioration des relations avec l'Inde avec la reprise du dialogue « sur tous les sujets » qui faisaient l'objet du dialogue composite avant l'interruption consécutive aux attentats de Bombay, pourrait permettre le desserrement de la contrainte militaire mais cette perspective semble se situer à moyen ou long terme. La prégnance de l'armée sur le budget, l'économie et la société pakistanaise ne paraît pas prête de disparaître.
Avec la réforme de la Constitution, qui devrait permettre un retour à la démocratie parlementaire, et la reprise du dialogue avec l'Inde, l'autre point positif de la situation au Pakistan est, semble-t-il, le consensus politique et dans l'opinion vis-à-vis des opérations militaires contre le terrorisme. C'est du reste l'un des fondements du lien stratégique avec les Etats-Unis.
Nos interlocuteurs, au mois de septembre comme aujourd'hui, ont insisté sur la singularité du terrorisme au Pakistan, lui aussi victime de ce fléau. La volonté du gouvernement et de l'armée pakistanaise de lutter contre le terrorisme est un élément fondamental de sa crédibilité internationale et de sa contribution à la résolution de la crise afghane.
Les opérations militaires dans les FATA (Régions tribales fédéralement administrées) et au Waziristân sont-elles de nature à aboutir à cet objectif alors que la réforme n'a rien changé au statut archaïque des territoires tribaux alors même que ce statut est l'une des raisons de leur sous développement social et économique et du développement de la violence ? Quelle est la réalité de l'implication de l'armée pakistanaise et de ses services de renseignement dans la lutte contre les taliban pakistanais, ou seulement une partie d'entre eux, dont l'action est effectivement de nature à menacer les institutions ?
S'agissant des relations avec l'Afghanistan, le ministre des affaires étrangères pakistanais définit les relations entre les deux pays en appliquant les règles de neutralité et de non-ingérence. Il en veut pour preuve la grande retenue observée par le Pakistan au moment des élections présidentielles afghanes et dans la préparation des réunions à venir comme celle de la grande Jirga, puis des élections législatives de l'automne prochain.
De même, le Pakistan, tout en encourageant le processus de réconciliation nationale en Afghanistan ne prétend pas en être acteur.
Quelle est la part d'imposture dans cette position officielle ?
Ces groupes ont de longue date un agenda international qui couvre évidemment l'Afghanistan et l'Inde mais aussi -de manière plus ancienne- la Bosnie ou la Tchétchénie. Il n'est donc pas étonnant que nos troupes en Kapisa soient confrontées à ces groupes. C'est également le problème pour le Royaume-Uni et son importante communauté pakistanaise dont certains des membres sont entraînés dans les FATA.
Pour le Pakistan, l'Afghanistan demeure un territoire dont le contrôle lui assurerait une profondeur stratégique dans son conflit avec l'Inde. L'armée craint une alliance de revers entre l'Inde et l'Afghanistan. Avec le Cachemire, les causes de la rivalité entre les deux pays sont là et expliquent qu'il y a peu de chances que la reprise du dialogue avec l'Inde aboutisse à quoi que ce soit.
L'argument selon lequel une baisse de la tension entre les deux pays serait de nature, à terme, à alléger son dispositif militaire sur sa frontière Est, n'est pas sérieux. Le niveau de concession consenti par l'Inde pour instaurer cette confiance reste soigneusement non défini. La situation d'équilibre instable entre les deux pays est donc destinée à perdurer.
Nous souhaiterions recueillir votre analyse sur l'évolution récente de la société pakistanaise, sur les moyens à mettre en oeuvre pour concrétiser la stabilisation du pays et surtout connaître votre opinion sur la crédibilité de la politique officiellement affichée.