Intervention de Frédéric Grare

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 26 mai 2010 : 1ère réunion
Situation au pakistan — Audition du dr frédéric grare chargé de projet prospective zone asie à la sous-direction prospective de la défense de la délégation aux affaires stratégiques du ministère de la défense

Frédéric Grare :

La déstabilisation du Pakistan serait effectivement un désastre pour la région est vraisemblablement au-delà. Le problème majeur est la difficulté d'identifier les causes de cette fragilité. Je voudrais aborder trois questions. Celle de la réforme constitutionnelle et de la situation politique, celle du terrorisme dont le Pakistan est également victime et celle de la relation avec ses voisins notamment l'Afghanistan et l'Inde.

La réforme constitutionnelle qui vient d'être adoptée ressemble à un retour à la normalité étant entendu qu'au Pakistan la crise a toujours été un moyen de gestion du politique. Il faut rappeler que le 17e amendement avait permis la concentration des pouvoirs militaires et politiques dans les mains du général Musharaf qui correspondait à une sorte de présidentialisation du régime mettant face à face une opposition civile et à un régime militaire. Depuis 2008, est réapparu un phénomène récurrent de la vie politique au Pakistan chaque fois que les civils sont au pouvoir, la reprise des responsabilités de gestion au jour le jour par les autorités civiles tandis que l'armée conservait la réalité du pouvoir sur les points clés de la décision politique. L'adoption récente du 18e amendement rétablit le pouvoir parlementaire mais ne change en rien le rapport de force avec les militaires.

Le poids du premier ministre reste d'autant limité que le chef de l'exécutif, le Président Zardari, conserve la direction du parti, ce qui n'avait jamais été le cas de ses prédécesseurs civils à la présidence. Il pourra donc continuer à peser sur les décisions par l'intermédiaire du parti du peuple pakistanais (PPP). Dans ce contexte, il est très peu probable que les arbitrages budgétaires évolueront favorablement puisque ce sont les militaires qui continuent à fixer les contraintes de l'établissement du budget.

Vous avez évoqué dans votre propos liminaire l'éducation et le rôle des madrasas qui ont connu une spectaculaire montée en puissance au Pakistan qui s'explique plus par une demande d'éducation phénoménale que par le radicalisme religieux. Il n'y a pas d'opposition entre des écoles privées qui seraient réservées aux riches et des madrasas auxquelles les pauvres recourraient. La demande d'éducation se rencontre à tous les niveaux de la société et il convient de relativiser l'impact des madrasas dans le phénomène de radicalisation. En fait, la multiplication des écoles coraniques trouve sa source dans la politique d'islamisation suivie depuis les années 70, en particulier au Baloutchistan et dans les territoires du Nord-Ouest, pour lutter contre le séparatisme ethnique.

Le système public d'éducation n'a rien à envier en matière de propagande aux madrasas, notamment en ce qui concerne la réécriture de l'histoire et des conflits avec l'Inde. Dans les années 2000, les autorités pakistanaises ont attribué un certain nombre des problèmes à l'existence des madrasas de manière à faire financer le système par l'aide internationale, non à en changer.

S'agissant du terrorisme, le Pakistan est effectivement également une victime de ce fléau. Cela étant, la gestion du système politique au quotidien explique largement le phénomène de radicalisation. La politique pakistanaise ressemble souvent à une partie de billard à trois bandes. On crée souvent un groupe pour s'opposer au niveau local ou national à un autre. À cela s'ajoutent des alliances fluctuantes qui permettent notamment à l'armée d'être toujours en situation d'arbitrage. Cette situation a un avantage puisqu'elle rend impossible un vide politique. Ainsi, l'hypothèse d'une prise de pouvoir par les islamistes est très peu probable. L'inconvénient majeur de ce système est qu'il détruit toute légitimité de l'Etat et développe une culture de la violence permanente surtout quand le pays est confronté à des choix. Le fléau du terrorisme existe mais l'Etat est souvent à l'origine des groupes auxquels il fait face.

Le véritable tournant du terrorisme se situe en 2007 avec la prise d'otages puis l'attaque de la mosquée rouge à Islamabad. Cette mosquée, géographiquement située dans un quartier résidentiel proche du quartier général de l'ISI (Inter-Services Intelligence), était connue depuis très longtemps pour son radicalisme. Il est donc impossible que les autorités n'aient pas été au courant de ce qui se préparait. Depuis l'assaut donné à la mosquée rouge, qui avait fait une centaine de morts, les unités et institutions qui ont participé font l'objet d'attaques fréquentes.

De même, en 2009, il y a eu une prise de conscience soudaine de la montée du terrorisme dans la vallée de Swat. Or cette vallée, proche de la capitale, donne accès au Cachemire et en Afghanistan. Les groupes qui s'installaient dans cette vallée, depuis 2007, l'ont fait avec le consentement des autorités pakistanaises qui négociaient d'ailleurs un accord avec eux. Ce sont ces groupes, aidés et entraînés par les autorités, comme le Jamaat-e-Islami qui était l'émissaire des militaires, qui se sont retournés contre le gouvernement et ont pris le contrôle du district de Buner, à une centaine de kilomètres d'Islamabad, déclenchant la réaction de l'armée pakistanaise soutenue par la Parlement.

Vous avez parlé, Monsieur le président, de l'archaïsme du statut des FATA (Federally administered tribal areas). Le problème est d'abord une question démographique et d'opposition entre les tribus des Wazir et celles des Mehsud. De plus, sont arrivés devant les FATA de véritables « entrepreneurs religieux » soutenus par d'importants moyens financiers d'origine illicites qui ont fait procéder à l'assassinat systématique des leaders tribaux de la zone. Le système féodal a été profondément déstructuré et les populations se voient proposer une autre légitimité sur fond de redistribution de ces nouvelles ressources par les islamistes.

Entre les taliban qui interviennent dans ces zones frontières avec le Pakistan, les groupes intermédiaires de type Al-Qaïda, à l'influence aujourd'hui limitée, et l'ISI, la situation des zones tribales est complexe et voit se recouper deux types d'insurrection. On peut dire que c'est la structure archaïque des territoires tribaux qui s'oppose à un début de règlement. Leur réintégration dans le système fédéral, avec son système de financement, pourrait contribuer à une solution en concentrant des moyens pour développer la zone.

Pour conclure sur la question du terrorisme, on peut dire qu'il n'y a pas réellement de consensus mais plutôt le soutien de certaines entités et la lutte contre d'autres.

S'agissant des interactions avec l'Afghanistan, rien n'avait été fait jusqu'à présent contre les taliban afghans installés au Baloutchistan. Selon le même schéma que celui connu au Cachemire, des groupes, partant des camps de réfugiés, instrumentalisés par l'ISI, armés au-delà des frontières, se battent en Afghanistan. Des groupes comme le Lashkar-e-Taiba, proche de Al-Qaïda mais d'origine Pendjabi, opèrent à partir des FATA, avec le soutien des services, et a intensifié ses actions depuis le tremblement de terre de 2005.

De plus, le soutien au groupe Haqqani ou au Gulbuddin Hekmatyar continue.

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