Intervention de Jean-Étienne Antoinette

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 6 juillet 2011 : 1ère réunion
Accord france-brésil de lutte contre l'exploitation aurifère illégale — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Étienne AntoinetteJean-Étienne Antoinette :

La France et le Brésil développent depuis plusieurs années un partenariat stratégique, prenant la forme d'un dialogue approfondi entre les deux pays, de visites officielles régulières, d'une coopération culturelle et scientifique riche et ambitieuse, mais aussi d'une coopération judiciaire et policière. Le Sénat est aujourd'hui saisi du projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre la France et le Brésil dans le domaine de la lutte contre l'exploitation aurifère illégale dans les zones protégées d'intérêt patrimonial, signé à Rio de Janeiro le 23 décembre 2008. Ce projet de loi a été adopté par l'Assemblée nationale le 7 avril dernier.

L'exploitation de l'or en Guyane a commencé en 1854. Après un important ralentissement dans les années 1950, la forte hausse des cours de l'or dans les années 1970 provoque un regain d'intérêt pour l'activité aurifère. L'exploitation aurifère légale emploie un peu plus de 400 personnes déclarées. C'est un vecteur de développement non négligeable, créateur d'emplois et ressource pour les collectivités, et le deuxième secteur en valeur à l'exportation en Guyane après le spatial.

La pratique de l'activité aurifère légale est soumise à la possession de titres miniers que sont les autorisations d'exploitation (AEX), les permis exclusifs d'exploitation (PEX) et les concessions. En 2008, on dénombrait 46 AEX et 35 PEX et concessions répartis sur les axes Ouanary/Grand Santi et Camopi/Maripasoula. Les acteurs de la filière sont multiples, la plupart sont des artisans orpailleurs, d'autres sont des PME/PMI, et enfin quelques multinationales sont également implantées.

La production d'or déclarée avoisinait les 3 tonnes par an ces dernières années (2,8 tonnes en 2004, 3 tonnes en 2006, 2,8 tonnes en 2007), en forte baisse en 2008 (1,94 tonnes), à comparer avec les 9 tonnes exportées annuellement. En parallèle, le cours de l'once d'or s'est envolé.

La présence de cet important potentiel aurifère est source de convoitise et provoque une « ruée vers l'or » de travailleurs clandestins de pays voisins. Cet afflux massif de « garimpeiros » et leur pratique illégale de l'orpaillage a des conséquences multiples et désastreuses en Guyane :

- en matière d'environnement tout d'abord, des atteintes à la biodiversité sont constatées, par la destruction de cours d'eaux, la disparition de forêts primaires, et la fragmentation des milieux forestiers et aquatiques, ainsi que de graves atteintes à la qualité de l'eau, en particulier par l'utilisation du mercure ;

- en matière de santé publique, dès 1994 des études ont montré une contamination au mercure chez des populations d'Amérindiens Wayanas dans le Haut-Maroni ;

- en matière d'ordre public, il existe toute une délinquance parallèle qui découle de l'orpaillage clandestin : immigration clandestine, meurtres, prostitution, trafic d'armes, trafic de stupéfiants;

- en matière financière, cela représente un réel manque à gagner pour les collectivités. L'activité aurifère légale est une ressource non négligeable pour les collectivités, de l'ordre de 1 million d'euros par an en 2007. Tout développement de la filière clandestine représente donc une importante perte de recettes fiscales pour les collectivités territoriales comme pour l'État.

Au plan interne, des mesures pour lutter contre l'exploitation aurifère illégale ont été prises depuis plusieurs années, au premier plan desquelles on trouve l'opération Harpie. Très brièvement, elle s'inscrit dans un contexte interministériel (parquet, gendarmerie, police aux frontières, forces armées en Guyane, douanes, office national des forêts ...), et est placée sous l'autorité du préfet et du procureur de la République. Son but est de mettre un coup d'arrêt à l'orpaillage illégal en Guyane, de détruire les installations sur les sites d'orpaillage illégaux et de remettre les sites en état, de détruire l'économie souterraine en Guyane, et de lutter contre l'immigration irrégulière. Ses résultats sont probants, même si la mission sénatoriale conduite par notre Président a pu constater la présence de sites illégaux, puisqu'on dénombre environ 500 chantiers clandestins. Le bilan au 1er trimestre de l'année 2011 est de 2 623 grammes d'or et 43 kg de mercure saisis, 66 puits ont été découverts. En termes de poursuites judiciaires, selon les statistiques du parquet de Cayenne relatives à l'orpaillage clandestin, sur l'année 2010, 129 personnes ont été mises en cause, 53 mandats de dépôt, 40 peines de prison avec sursis et 75 emprisonnements fermes ont été prononcés.

Juridiquement, c'est le code minier qui réprime l'orpaillage clandestin. Il dispose que toute exploitation aurifère illégale est punie d'une peine d'emprisonnement de 2 ans et d'une amende de 30 000 €, portées à 5 ans et 75 000 € si cette infraction s'accompagne d'atteintes graves à l'environnement.

La lutte contre ce phénomène nécessite une coordination étroite entre les pays de la zone, c'est pourquoi des négociations ont été engagées avec le Brésil, et ont abouti en février 2008 à une déclaration conjointe des Présidents Sarkozy et Lula, et en décembre de la même année à la signature de l'accord dont le Sénat est saisi aujourd'hui. Cet accord est composé de 9 articles.

L'article 1er et l'article 2 sont des articles introductifs visant à préciser les termes de l'accord ainsi que son objet. L'accord a ainsi pour but de « renforcer la coopération (...) pour la prévention et la répression des activités de recherche et d'exploitation aurifère sans autorisation dans les zones protégées ou d'intérêt patrimonial ». Les autres zones sont par conséquent laissées en suspens.

L'article 3 liste les mesures que les Parties s'engagent à mettre en oeuvre afin de lutter effectivement contre l'exploitation aurifère clandestine. A ce titre, un régime interne complet de réglementation et de contrôle doit être mis en place par les Parties, constitué d'autorisations administratives préalables pour les activités de recherche et exploitation aurifères, et de négoce d'or non transformé, ainsi que d'une obligation de déclaration de leurs activités par les entreprises commercialisant des tables de granulométrie ou du mercure. Ces entreprises doivent en outre tenir un registre des transactions.

Une autorisation administrative préalable est également requise pour l'exercice de la profession de transporteur fluvial de personnes ou de marchandises sur le bassin du fleuve Oyapock, ces transporteurs devant être immatriculés auprès des autorités administratives compétentes. Cependant, il est à noter que ces fleuves ne sont pas répertoriés dans la nomenclature nationale, ils ne sont donc pas légalement navigables.

L'article 4 liste les activités sanctionnées ainsi que les mesures pénales à mettre en oeuvre afin de réprimer les activités d'orpaillage clandestin. Ainsi, est constitutive d'une infraction toute activité d'exploitation illégale dans les zones protégées ou d'intérêt patrimonial ; toute activité de transport, détention, vente ou cession de mercure sans autorisation ou en violation des dispositions de la législation nationale ; et toute activité de négoce d'or non transformé sans autorisation.

Les sanctions prévues sont la saisie et la confiscation du produit des infractions commises, mais aussi la saisie, confiscation et même destruction des biens, matériels et instruments utilisés pour commettre lesdites infractions.

L'article 5 prévoit un renforcement de la coopération entre les deux États par la mise en place de méthodes, formations professionnelles et standards communs en matière de recherche et exploitation aurifère.

L'article 6 se réfère aux autres conventions bilatérales conclues entre la France et le Brésil, sur lesquelles les Parties doivent également s'appuyer afin de « s'accorder mutuellement la coopération la plus large possible ». Ces accords sont la convention d'entraide judiciaire en matière pénale signée le 28 mai 1996 et entrée en vigueur le 1er avril 2000, compétente pour toutes les questions de procédure, et l'accord de partenariat et de coopération en matière de sécurité publique, signé le 12 mars 1997 et entré en vigueur le 1er septembre 2007. Sur ce dernier accord, et bien que ce ne soit pas le sujet aujourd'hui, force est de constater que l'immigration clandestine en provenance du Brésil est très loin d'être maitrisée.

Enfin, les articles 7, 8 et 9 sont des articles administratifs classiques d'entrée en vigueur, règlement des différends et de dénonciation de l'accord.

Si l'on peut se féliciter du premier pas que constitue cet accord, on peut néanmoins émettre quelques réserves sur le dispositif de lutte contre l'orpaillage clandestin.

Tout d'abord, la portée de cet accord est en réalité limitée. En effet, les parties s'engagent essentiellement à mettre en place dans leurs juridictions internes des dispositifs permettant de lutter efficacement conte l'orpaillage illégal. La seule coopération conjointe s'articule autour de la formation professionnelle en direction des entreprises des deux pays (article 5), et de l'établissement de règles standards en matière d'exploitation aurifère dans la région (article 3). De plus, le droit interne français possède déjà des instruments de répression de cette infraction qui vont au-delà du contenu de cet accord.

Ensuite, des doutes subsistent quant à la ratification de l'accord par le Brésil. Un rapporteur a été nommé à la Chambre des Députés, le Député Bala Rocha, mais aucune date d'examen n'est pour l'instant à l'ordre du jour. Sachant que le texte devra ensuite être adopté par le Sénat, la ratification de l'accord parait peu probable à brève échéance. La délégation brésilienne reçue par notre commission au mois de juin n'a pas été plus précise sur le calendrier, dès lors on peut se demander si la lutte contre l'orpaillage clandestin constitue une priorité pour le gouvernement brésilien.

Plus globalement, c'est toute la coopération régionale en la matière qui est à revoir. Celle avec le Brésil va être approfondie avec un autre accord relatif à la création d'un Centre de coopération policière, actuellement en cours d'examen à l'Assemblée nationale, et dont notre collègue M. René Beaumont a été désigné rapporteur pour le Sénat. Mais les autres pays de la zone, comme le Suriname ou le Guyana, ne doivent pas être oubliés. Il conviendrait de travailler en étroite collaboration avec eux, voire de conclure des accords similaires afin que la lutte contre l'orpaillage clandestin soit plus intensive.

Enfin, au plan national, il convient de repenser le schéma départemental d'orientation minière (SDOM) afin qu'il devienne une véritable pièce centrale dans la gestion de l'activité aurifère légale, et surtout dans la lutte contre l'exploitation aurifère illégale. Il est aussi nécessaire d'améliorer la prévention, en assurant une meilleure traçabilité de l'or afin que l'or illégal ne soit pas mélangé à la production licite et ensuite écoulé dans les circuits légaux. C'est enfin toute une politique de développement de l'Etat de l'Amapa qu'il convient de mettre en oeuvre, au niveau français avec la coopération transfrontalière, mais aussi au niveau brésilien, pour que la recherche d'or en Guyane ne soit plus pour ces populations leur seule perspective de survie.

Malgré les réserves que je viens d'énoncer, cet accord représente un premier pas dans la lutte contre l'orpaillage illégal. C'est une phase importante dans la perspective de préservation de la biodiversité, de protection des populations, et de protection de cette ressource non renouvelable qu'est l'or, et qui devrait structurer le développement économique de la Guyane. C'est pourquoi je vous recommande d'adopter le présent projet de loi, qui pourrait faire l'objet d'une procédure d'examen simplifié en séance publique la semaine prochaine. Mais cette ratification n'aura de sens que si le Parlement brésilien le ratifie également. Pour cela, la diplomatie française doit faire preuve de fermeté.

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