Intervention de Daniel Reiner

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 6 juillet 2011 : 1ère réunion
« défense antimissile balistique » — Examen du rapport d'information

Photo de Daniel ReinerDaniel Reiner :

Mes chers collègues, Jacques Gautier, Xavier Pintat et moi-même allons vous présenter le rapport d'information sur la défense antimissile balistique (DAMB) qui nous a été confié par la commission en fin d'année dernière et sur lequel nous avons travaillé depuis six mois en rencontrant de nombreux experts, responsables civils et militaires, industriels ou diplomates. Notre présentation s'appuie sur un certain nombre de planches qui illustrent les points principaux de notre rapport.

En introduction, je crois qu'il faut tout d'abord rappeler que la défense antimissile balistique a fait l'objet au sommet de Lisbonne, en novembre 2010, d'une décision politique de l'Alliance atlantique. Par cette décision, l'Alliance se fixe l'objectif d'assurer la défense du territoire européen contre les missiles balistiques, objectif allant au-delà de la défense de théâtre qu'elle avait décidé de développer pour protéger ses forces déployées. A ce stade, la défense antimissile des territoires n'est pas encore un programme militaire de l'OTAN, mais ce devrait être le cas en 2013 avec l'adoption d'un « paquet de capacités » destiné à réaliser cet objectif.

Les planches suivantes illustrent le passage de la défense de théâtre à la défense du territoire. Dans le premier cas, la zone protégée couvre quelques milliers de kilomètres carrés - en l'espèce la péninsule du Qatar, un peu plus de 11 000 km² - et dans l'autre, plusieurs centaines de milliers de kilomètres carrés, par exemple une large partie de la France.

Notre sentiment est que la France est entrée dans ce processus à reculons, pour plusieurs raisons.

La première tient à l'articulation entre la DAMB et la dissuasion nucléaire. La DAMB conforte-t-elle ou affaiblit-elle le concept de dissuasion nucléaire ? Cette question a fait l'objet de sourdes controverses au sein de l'appareil d'Etat où l'engagement en faveur de la DAMB a été ressenti par beaucoup comme un déchirement conceptuel. A tel point que, pendant longtemps, le débat en a été tout simplement interdit. Un rapport classifié du Secrétariat général à la défense et à la sécurité nationale (SGDSN) de mars 2010, préparatoire au sommet de Lisbonne et dont vos rapporteurs ont pu prendre connaissance, semble avoir tranché de façon définitive, en faveur de la complémentarité de la DAMB et de la dissuasion. S'est ajoutée à ce débat une discussion franco-allemande sur le point de savoir si la DAMB complète ou se substitue à la dissuasion nucléaire. Cette question a fait l'objet d'âpres discussions diplomatiques, mais telle que définie à Lisbonne, la DAMB de territoire n'a pas pour ambition d'assurer une protection totale contre tous les types de missiles. Si tel était le cas, elle rendrait caduque la dissuasion nucléaire et s'y substituerait. Le nouveau concept stratégique adopté à Lisbonne est conforme à la thèse de la complémentarité puisqu'il affirme que : « aussi longtemps qu'il y aura des armes nucléaires, l'OTAN restera une alliance nucléaire. ».

La France s'est aussi inquiétée d'un possible effet d'éviction de la DAMB sur d'autres programmes militaires, dans un contexte peu propice à l'accentuation de l'effort de défense. Participer à la défense antimissile balistique implique-t-il de renoncer à d'autres programmes militaires ? Or nos armées manquent de drones et de pods de reconnaissance adaptés à la guerre moderne, n'arrivent pas à remplacer les missiles Milan, sans parler des sujets tout aussi importants tels que le programme des avions ravitailleurs stratégiques MRTT, la rénovation des Mirages 2000D ou le second porte-avions.

Enfin, à supposer que la France envisage de se doter de capacités antimissiles balistiques, elle aurait beaucoup de mal à décider dans quelle voie s'engager : faut-il réaliser un satellite d'alerte avancée, un radar très longue portée ou les deux ? Faut-il réaliser un intercepteur endo-atmosphérique ou plutôt exo-atmosphérique ? Faut-il disposer d'une chaîne complète ou bien ne rien faire du tout ?

Vous voyez, sur le schéma qui vous est présenté une première approche de ce qu'est technologiquement la DAMB : un ensemble d'effecteurs et de senseurs, ainsi qu'un système de commandement permettant d'assurer la coordination de l'ensemble.

Je voudrais insister sur ce point. Plus qu'un mur où chacun pourrait apporter sa « brique », il s'agit d'une chaîne -comme la dissuasion- et dans une chaîne, on raisonne par « maillon ». En d'autres termes, ou la chaîne est complète et elle sert à quelque chose, ou elle est incomplète et elle ne sert à rien. On peut certes apporter ses maillons à une chaîne construite par d'autres, mais alors il faut accepter de ne pas en avoir la maîtrise.

Cette question est au coeur de la problématique de la défense antimissile balistique.

Une « chaîne DAMB » n'est pas uniquement un objet à vocation militaire. C'est un objet complexe qui comprend quatre autres dimensions : politique, diplomatique, commerciale et stratégique. Parmi ces cinq dimensions, la dimension militaire nous est apparue en fin de compte comme étant la moins importante.

Permettez-moi d'insister sur la dimension politique de la DAMB. En France cette dimension est totalement absente du débat. Les Français ne vivent pas dans la crainte d'une attaque balistique et s'estiment vraisemblablement suffisamment protégés par la dissuasion nucléaire.

Mais ce n'est le cas ni aux Etats-Unis, ni au Japon, ni en Israël, ni dans tous les pays où une menace balistique sérieuse existe. Trois rapports parlementaires - deux du Sénat et l'un de l'Assemblée nationale - menés entre 1999 et 2002 ont montré l'importance de cette dimension politique dans la DAMB, en particulier aux Etats-Unis où c'est le Congrès qui a imposé à l'exécutif -l'administration Clinton- la défense antimissile.

Pour nous, il est fondamental de comprendre que la DAMB revêt plusieurs fonctions, et que ces différentes fonctions peuvent conduire à des choix antagonistes. Il n'y a donc pas de « bonne réponse » à la question que « faut-il faire ? ». Tout dépend de l'objectif que nous souhaitons privilégier. S'agit-il de parer une menace ? S'agit-il de répondre aux inquiétudes de l'opinion publique ? S'agit-il de tenir son rang, de faire des affaires, ou de préserver son autonomie stratégique ?

Les réponses ne seront pas les mêmes en fonction des objectifs que vous poursuivez. Pour ne prendre qu'un exemple -le plus emblématique-, celui du choix de l'intercepteur. S'il s'agit de parer une menace, de faire de la diplomatie ou des affaires, alors notre sentiment est qu'il faut faire un intercepteur endo-atmosphérique. S'il s'agit en revanche de préserver notre autonomie stratégique, d'accéder au système de commandement et de contrôle (C2) en tant qu'architecte et non pas en tant qu'ouvrier, alors notre sentiment est qu'il faut faire un intercepteur exo-atmosphérique.

Toute la question est de savoir ce que l'on veut faire : où on veut aller. Nous mettons en exergue cette citation de Sénèque : « il n'est pas de vent favorable pour celui qui ne sait pas où il va ».

Notre rapport s'attache tout d'abord à dresser l'état des lieux et à souligner les grandes questions en suspens à l'OTAN. Le débat sur la défense antimissile n'a fait qu'avancer, à l'OTAN, depuis le sommet de Prague en 2002. À force d'indécision, la France a été conduite à s'adapter au mieux, faute d'avoir anticipé selon une stratégie clairement établie.

La dernière partie du rapport présente ce qu'il est possible de faire et ce que nous vous suggérerons.

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