Intervention de Xavier Pintat

Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées — Réunion du 6 juillet 2011 : 1ère réunion
« défense antimissile balistique » — Examen du rapport d'information

Photo de Xavier PintatXavier Pintat :

Un rappel historique tout d'abord. L'OTAN travaille sur la défense antimissile depuis plus d'une quinzaine d'années.

A la suite de la 1ère guerre du Golfe, elle s'est inquiétée de la protection des troupes en opérations face aux missiles balistiques. Elle a décidé de modifier son système de commandement de défense aérienne pour lui donner une fonction défense antimissile de théâtre : c'est le programme de défense de théâtre « multi-couches » dit ALTBMD (Active Layered Theater Ballistic Missile Defense), conçu à partir de 1999 et officiellement lancé en 2005.

Elle a aussi réfléchi sur la défense du territoire européen, en liaison avec les projets américains. C'est le sommet de Prague, en 2002, qui a lancé les premières études. La décision de Lisbonne est donc l'aboutissement de huit années de travaux et de débats.

Il faut dire quelques mots du programme de défense de théâtre « multi-couches » -l'ALTBMD- car il servira de socle à la future défense antimissile territoriale de l'OTAN. Dans ce programme, le rôle de l'OTAN se limite à réaliser un système commun de commandement et de contrôle (C2). Ce C2 permettra au commandement OTAN de gérer la protection des troupes en opérations. Il recevra des données de satellites et de radar sur les tirs de missiles détectés. Il transmettra les ordres aux systèmes d'interception.

Les capteurs - satellites et radars - et les intercepteurs sont des moyens exclusivement nationaux. Ils sont engagés par les nations, au bénéfice de l'OTAN, le temps d'une opération.

Le programme est complexe, car il doit agréger des systèmes très différents venant de plusieurs nations. Certains de ces systèmes existent, d'autres sont en développement, d'autres en projet. C'est un programme qui a glissé dans le temps.

La première capacité opérationnelle n'est attendue qu'en 2014, avec les intercepteurs « couche basse » (moins de 20 km d'altitude), pour des missiles de portée inférieure à 1 500 km. Le principal système en service sera le Patriot PAC-3 américain, en service également en Allemagne et au Pays-Bas. Il y aura aussi le système sol-air moyenne portée terrestre - le SAMP/T - réalisé par la France et l'Italie sur la base de l'Aster 30. Les autres contributions sont en projet (système PAAMS des frégates anti-aériennes italiennes) ou hypothétiques. Le MEADS était basé sur une version améliorée du Patriot, avec une contribution de l'Italie et de l'Allemagne sur les radars de surveillance. Mais les Etats-Unis se sont retirés du programme.

Quant à la « couche haute » (plus de 50 km d'altitude), destinée à contrer les missiles jusqu'à 3 000 km de portée, elle ne pourrait reposer que sur des intercepteurs américains : le système terrestre THHAD et l'intercepteur SM-3 embarqué sur des navires équipés du système de combat Aegis. Dans le calendrier établi avant le sommet de Lisbonne, il n'était pas prévu d'intégrer ces intercepteurs « couche haute » avant 2019.

Parallèlement à ce programme de défense de théâtre, l'OTAN discutait aussi, depuis plusieurs années, de la possibilité d'une protection de l'ensemble du territoire européen contre les missiles balistiques.

Le point de départ se situe en 2001, lorsque les Etats-Unis revoient leur programme dans un sens plus ambitieux, avec l'objectif, non seulement de protéger le territoire national américain, mais également celui des alliés et amis.

Pourquoi cette extension aux alliés et amis ? Parce que la défense antimissile fait partie intégrante des garanties de sécurité apportées par les Etats-Unis, mais aussi parce qu'une défense antimissile positionnée chez un ami ou un allié peut constituer l'échelon avancé d'une protection du territoire américain. C'est l'analyse qui est faite sur la menace iranienne. Pour protéger le territoire américain d'un missile tiré d'Iran, mieux vaut l'avoir détecté et intercepté en Europe.

Dans un contexte de progrès des capacités balistiques iraniennes et de révélations sur des activités nucléaires sensibles et clandestines, l'OTAN décide, fin 2002, de lancer une étude sur la possibilité de protéger les populations et le territoire européen contre les missiles balistiques. L'étude est rendue en 2006. Elle chiffre à 8 milliards d'euros une couverture des principaux centres de population, et à 27 milliards d'euros une couverture complète, non compris les satellites d'alerte supposés être ceux des Etats-Unis.

Lorsque l'administration Bush décide d'implanter un radar en République tchèque et 10 intercepteurs en Pologne, l'idée est lancée que l'OTAN pourrait compléter la couverture du territoire européen avec des moyens complémentaires, notamment ceux prévus dans son programme de défense de théâtre.

En effet, le projet Bush est destiné à protéger le territoire américain, mais il peut également protéger une partie de l'Europe de l'Ouest et du Nord. En revanche, la Turquie, la Grèce, la Bulgarie, la Roumanie, c'est-à-dire les régions les plus proches de l'Iran, ne sont pas couvertes par les moyens américains. Elles pourraient l'être par des moyens complémentaires fédérés par l'OTAN et articulés au système américain.

Cette idée va être reprise en 2009, sous une autre forme et selon un schéma assez différent, par l'administration Obama.

C'est le nouveau plan de déploiement américain décidé par l'administration Obama qui va convaincre l'OTAN d'endosser, à Lisbonne, l'objectif d'une défense antimissile territoriale.

Ce plan dénommé EPAA - European Phased Adaptive Approach - apparaît en effet plus réaliste que celui de Bush, mieux adapté à la menace, et il semble à lui seul pouvoir permettre d'atteindre l'objectif d'une couverture complète du territoire européen.

C'est un plan par phases, avec de premiers déploiements dès 2011 au plus près de l'Iran, puis des déploiements supplémentaires qui, à l'horizon 2020, devraient permettre progressivement la protection de l'Europe et celle d'une partie des Etats-Unis, grâce à des versions de plus en plus évoluées de l'intercepteur SM-3.

C'est une approche flexible. Une partie des moyens américains sont navals : les fameux croiseurs ou destroyers Aegis. Ils peuvent donc être déplacés en fonction de la situation.

Deux sites fixes sont prévus pour les intercepteurs : l'un en Roumanie en 2015 et l'autre en Pologne en 2018.

La phase 1 a commencé cette année. Un croiseur Aegis, l'USS Monterey, a été déployé en Méditerranée et en mer Noire. Un deuxième bâtiment -peut-être un troisième- devrait suivre dans les années qui viennent.

Pour que les intercepteurs SM-3 embarqués sur ces navires soient efficaces, il faut également positionner à terre un radar dit « en bande X », capable d'effectuer une trajectographie précise des têtes assaillantes. L'emplacement optimal se situait en Turquie, mais celle-ci n'en a pas voulu pour ménager ses relations avec l'Iran. On cherche donc un autre emplacement. La Bulgarie est candidate. On pense aussi à un pays du Caucase.

Selon la carte présentée par la Missile Defense Agency américaine, durant cette phase 1, les navires Aegis et le radar associés permettraient de protéger la zone la plus méridionale de l'OTAN. Vous pouvez voir sur la carte une zone grisée allant de l'ouest de la Turquie à l'Italie en passant par les Balkans. Evidemment, les zones de couverture annoncées dépendent d'hypothèses et de paramètres que nous ne connaissons pas. Il faut prendre cela avec prudence.

La phase 2 commence en 2015. Il y a deux changements par rapport à la phase 1 : tout d'abord un site terrestre -dit « Aegis Ashore »- en Roumanie ; ensuite le remplacement des intercepteurs par une version plus performante du SM-3 (block IB). La zone protégée doit s'élargir à l'Europe centrale.

Dans la phase 3, en 2018, un second site fixe est prévu en Pologne. Il y a également l'entrée en service d'une troisième version du SM-3 (Block IIA), en cours de développement dans le cadre d'une coopération américano-japonaise. La couverture s'étend à toute l'Europe, y compris la France.

Enfin, dans la phase 4, les Etats-Unis prévoient de déployer en Pologne une quatrième version du SM-3 (Block IIB). Cette version n'est pas encore entrée en développement. Elle doit pouvoir intercepter des missiles intercontinentaux (plus de 5 500 km de portée). La couverture de l'Europe est à peu près analogue à celle de la phase 3. En revanche, vous voyez apparaître sur une seconde carte une nouvelle zone couverte : les deux-tiers Est des Etats-Unis.

On remarque cependant, sur la carte de l'Europe, que certaines parties de la Turquie, celles qui sont les plus proches de l'Iran, ne sont pas couvertes quelles que soient les phases.

L'image présentée à l'écran montre comment les moyens américains déployés en Europe s'intègreront, à l'horizon 2020, dans un système global de défense antimissile couvrant les trois-quarts de l'hémisphère nord, du Japon à la mer Noire, en passant par les Etats-Unis et l'Europe, - avec un réseau de satellites et de radars d'alerte et de trajectographie et des systèmes d'interception à terre et sur mer.

C'est sur la base du plan américain que l'OTAN a décidé, à Lisbonne, de développer une défense antimissile territoriale. L'objectif est ambitieux : « assurer la couverture totale et la protection de l'ensemble des populations, du territoire et des forces des pays européens de l'OTAN ». La déclaration des chefs d'Etat et de gouvernement énumère un certain nombre de conditions : l'indivisibilité de la sécurité des alliés : cela veut dire que tous les alliés doivent bénéficier du même niveau de protection ; le partage équitable des charges ; l'adaptation au niveau de la menace, la soutenabilité financière et la faisabilité technique, qui tendent plutôt à tempérer l'objectif de couverture totale.

Enfin, à Lisbonne, l'OTAN s'engage à rechercher activement une coopération avec la Russie sur ce projet.

Le coût pour l'OTAN se limitera au système de commandement et de contrôle.

Tous les moyens de détection et d'interception devront être apportés par les nations sur une base volontaire. Le C2 mis en place par l'OTAN pour la défense de théâtre - ALTBMD - servira de socle pour son C2 de défense territoriale. Il faudra lui ajouter quelques fonctions supplémentaires propres à la défense territoriale, et qui ne sont pas nécessaires pour la défense de théâtre.

Combien cela coûtera-t-il ? Une étude de l'OTAN aboutit à 147 millions d'euros. M. Rasmussen arrondit à 200 millions d'euros sur 10 ans. Je souligne à nouveau qu'il s'agit d'un coût additionnel. Il s'ajoute à celui du C2 pour la défense de théâtre, évalué à 800 millions d'euros. Au total, cela fait donc environ 1 milliard d'euros pour le C2, dont une partie a déjà été financée. Le reste à financer, défense de théâtre et défense territoriale comprises, peut être évalué à 800 millions d'euros sur 10 ans, dont 12 % pour la France, soit 100 millions d'euros.

Les systèmes de détection et d'interception sont à la charge des nations.

Si l'on se fie aux cartes américaines, la contribution annoncée par les Etats-Unis couvrira une grande partie du besoin. Faudra-t-il et y aura-t-il d'autres contributions nationales volontaires ? La question est posée. A ce stade, seule la France a mentionné une contribution potentielle : la capacité d'alerte avancée prévue par le Livre blanc.

Comme je viens de le dire, le C2 prévu pour la défense de théâtre servira de socle pour la défense territoriale. Le calendrier du programme a été remanié en conséquence.

L'objectif est d'avoir une première capacité « défense des territoires » en 2016, et une pleine capacité en 2018. C'est un calendrier serré, car le programme de théâtre, très complexe, avançait lentement. Il faut l'accélérer tout en intégrant les exigences propres à la défense des territoires. Si l'OTAN veut respecter les objectifs qu'elle s'est fixés, il faudrait avoir mis au point toutes les spécifications en 2012, faire approuver le programme par le Conseil de l'Atlantique Nord en 2013 et passer les contrats en 2014.

Ce calendrier comporte des risques. C'est un point qui nous est particulièrement apparu lorsque nous nous sommes rendus au siège de l'OTAN au mois de mai.

Il faut greffer les exigences liées à la défense territoriale sur un programme déjà complexe, réalisé pour la défense de théâtre.

Pourquoi les paramètres à intégrer ne sont-ils pas évidents ? D'abord parce qu'il s'agit d'un système de commandement multinational. La défense antimissile exige des délais brefs et des procédures automatisées. Il faut que les nations définissent préalablement les conditions dans lesquelles elles vont déléguer leur autorité à ce C2. Ensuite, parce que le théâtre européen est beaucoup plus complexe que le théâtre américain. Il n'est pas indifférent de savoir au-dessus de quel pays le missile va être intercepté et dans quelle direction l'intercepteur va être tiré.

Pourquoi le calendrier de l'OTAN est-il risqué ? Principalement parce qu'il est déjà en décalage avec celui des déploiements américains, et que ce décalage pourrait s'accentuer. Les Etats-Unis veulent hâter les échéances. Le prochain sommet de l'OTAN aura lieu à Chicago, en mai 2012. Barack Obama veut qu'y soit annoncée une première capacité « intérimaire » de l'OTAN en matière de défense territoriale, alors que l'OTAN n'aura pas de réelle capacité de commandement avant 2016, au mieux.

Il y a donc deux risques. Un risque à prendre du retard. La mission de défense territoriale sera assurée par le commandement américain et on finira par se demander si un C2 de l'OTAN sera bien nécessaire. Un risque à aller trop vite. Les besoins et les intérêts européens ne seront pas bien pris en compte par le C2 de l'OTAN et on laissera peu de temps aux discussions avec la Russie pour trouver un terrain d'entente.

A nos yeux, la mise en oeuvre de la décision de Lisbonne laisse trois grandes questions en suspens :

- la Russie. La défense antimissile se fera-t-elle avec, sans, voire contre la Russie ?

- le système de commandement. Sera-t-il véritablement allié ou exclusivement américain ?

Enfin, la consistance de cette défense antimissile : protègera-t-elle vraiment la totalité du territoire européen et, dans l'affirmative, à quel prix ?

La première des questions en suspens est celle de la coopération avec la Russie. Le sommet de Lisbonne a scellé la réconciliation entre la Russie et l'OTAN après la crise géorgienne, sur fond de « reset » américano-russe. Dmitri Medvedev était présent. Une déclaration commune a été adoptée. Le nouveau concept stratégique de l'OTAN souligne l'importance stratégique de la coopération avec la Russie, avec une mention spécifique sur la question de la défense antimissile. Mais, depuis Lisbonne, on assiste davantage à un dialogue de sourds qu'à l'amorce d'une coopération.

La Russie a demandé un système de commandement commun à l'OTAN et à la Russie, avec une répartition géographique des missions. L'OTAN a répondu qu'elle ne pouvait pas partager sa défense collective avec un pays tiers.

La Russie a ensuite demandé un traité lui garantissant que la défense antimissile de l'OTAN ne ciblait pas ses forces nucléaires. Mais le Président Obama a répondu qu'un tel traité ne trouverait jamais le soutien de 67 sénateurs américains pour sa ratification.

La Russie souhaite maintenant être associée à la définition de l'architecture du futur système OTAN. Mais cela supposerait de partager avec les Etats-Unis les éléments les plus secrets sur les capacités et les performances des systèmes américains. Les alliés de l'OTAN eux-mêmes n'en auront certainement pas une connaissance complète.

Actuellement, l'OTAN propose à la Russie de mettre en place deux structures communes : un centre conjoint pour surveiller la menace, partager les données d'alerte avancée, partager des évaluations ; une cellule pour assurer en commun des travaux de planification et une coordination des réponses en cas d'attaque balistique.

On peut se demander si les préoccupations russes portent réellement sur les déploiements américains en Europe. N'est-ce pas plutôt le développement de la défense antimissile en tant que tel qui lui fait craindre une dévaluation de sa capacité de dissuasion ? Dans ce cas, les demandes d'assurances viseraient plutôt à retarder ou entraver le programme de l'OTAN.

De son côté, l'OTAN considère-t-elle la coopération avec la Russie comme une simple option ? C'est parfois le sentiment que l'on a face à la volonté d'aller vite et au calendrier apparemment intangible qui a été annoncé.

En réalité, ni la Russie, ni l'OTAN n'ont intérêt à faire de ce dossier un sujet de confrontation. L'OTAN n'a pas intérêt à entretenir une tension latente sur le continent européen. La Russie n'a pas intérêt à rejeter les offres de coopération de l'OTAN, au risque d'être exclue de toute information. Le contexte pré-électoral en Russie donne à ce dossier une dimension politique qui n'en facilite pas le règlement, mais nous sommes pour notre part convaincus de la nécessité de trouver un terrain d'entente, avec des mesures de confiance et un partage d'informations sur la menace moyen-orientale.

La deuxième question en suspens porte sur le commandement de la future défense antimissile de l'OTAN. Le schéma qui vous est présenté tente de résumer ce que sera la future architecture de cette défense antimissile. On voit que le commandement central américain de défense antimissile dirige les moyens destinés à la défense du territoire américain. Mais il supervise également des commandements régionaux subordonnés, notamment en Asie et en Europe. Le C2 américain en Europe est situé sur la base aérienne de Ramstein, en Allemagne. C'est lui qui dirige les intercepteurs déployés en Europe.

On voit aussi que le C2 de l'OTAN - le BMC3I - ne commande directement aucun intercepteur américain. Tout passe par le C2 américain de Ramstein. Les moyens américains en Europe peuvent parfaitement fonctionner sans C2 de l'OTAN.

Le C2 de l'OTAN sera également raccordé aux moyens fournis par d'autres nations, via des C2 nationaux, comme le SCCOA français.

Y aura-t-il réellement un C2 de l'OTAN, ou y aura-t-il surtout un C2 américain qui gèrera tout ce qui se passe dans la « couche haute » de l'espace européen ?

Cette question se pose pour deux raisons. D'abord, à cause du décalage dans le temps entre le calendrier des Etats-Unis et celui de l'OTAN. Jusqu'en 2016 -et peut-être plus longtemps encore si l'OTAN ne tient pas ses échéances- les moyens américains déployés en Europe relèveront exclusivement du C2 américain, tout simplement parce que le C2 de l'OTAN n'existera pas encore. Plus longtemps on restera dans cette situation, plus la tentation existera de considérer que le C2 américain suffit et qu'il n'y a pas besoin d'un C2 OTAN spécifique.

La deuxième raison est qu'un C2 multinational OTAN se justifie par des contributions multinationales. Si les moyens affectés à la défense des territoires -intervenant dans la « couche haute »- proviennent exclusivement d'une seule nation, alors il est logique qu'ils soient sous commandement de cette nation, en l'occurrence les Etats-Unis.

Cette question du C2 peut paraître complexe, voire ésotérique. Elle est cependant fondamentale, car le système de commandement représente le coeur de la défense antimissile. C'est lui qui définit comment la défense va fonctionner.

Le C2 américain - cela est normal - est optimisé pour la défense des Etats-Unis. Un C2 OTAN, défini par les alliés, sera nécessairement différent, car il prendra en compte les besoins et les spécificités du théâtre européen.

C'est toute la problématique des règles d'engagement. Compte tenu des délais de réaction, ces règles devront avoir été prédéfinies, selon une planification très précise. Le commandement OTAN, sous l'autorité du SACEUR, recevra délégation permanente des nations, mais il n'aura en pratique qu'une faible marge d'initiative. Définir des règles d'engagement à 28, au sein de l'OTAN, est une entreprise complexe. Les premiers concepts ont commencé à être testés dans un exercice multinational qui a lieu tous les deux ans : Nimble Titan. Parmi les paramètres principaux des règles d'engagement figurent :

- les zones à protéger en priorité ;

- le choix des trajectoires et des points d'interception, qui doit tenir compte des zones potentielles de retombées des débris si l'interception est réussie, de retombée de l'intercepteur si l'interception échoue, et de retombée du missile et de l'intercepteur si le missile assaillant est simplement dévié de sa course.

Concrètement, voici certaines questions qui se posent :

- faut-il tenter d'intercepter systématiquement tout missile qui se présente, au risque de limiter les possibilités d'interception sur des tirs ultérieurs ?

- comment réagir en cas de tirs multiples ?

- où et quand intercepter le missile assaillant ?

On comprend que toutes les nations n'ont pas nécessairement la même vision des réponses à apporter. On comprend aussi que les règles américaines, valables pour la protection du territoire américain, seront différentes de règles définies à 28, pour la protection du territoire européen. La définition de ces règles est donc un enjeu très important qui ne doit pas être escamoté.

Enfin, notre troisième grande interrogation porte sur la protection effective qu'apporterait cette défense antimissile territoriale. Quel sera le niveau d'ambition de l'OTAN ? S'agira-t-il réellement d'une couverture totale et garantie de tout le territoire européen ? S'agira-t-il d'une couverture sélective de zones à haute valeur ? Dans quelle mesure cette défense sera-t-elle ajustée à une évaluation de la menace partagée par tous les alliés ?

Tel qu'il nous a été présenté, le plan de déploiement américain paraît capable à lui seul d'assurer la protection de toute l'Europe à l'horizon 2020. Peut-on vraiment en être certain ? Les rapports publiés depuis le début de l'année par la Cour des comptes américaine -le GAO- critiquent le fait que cette EPAA n'ait pas été chiffrée, que l'on ne connaisse pas réellement le nombre de bateaux, le nombre de missiles qui seront déployés en Europe, ni le coût de réalisation et les performances des futures versions de l'intercepteur SM-3, ni les coûts de personnel, de fonctionnement, de maintien en condition opérationnelle. En d'autres termes, quelle sera la couverture réellement assurée par la contribution américaine ?

Que se passera-t-il si l'on constate, dans les années qui viennent, que les performances ont été un peu surévaluées, et qu'en retenant des hypothèses réalistes sur la menace, les zones de couverture ne sont pas aussi vastes que celles figurant sur les cartes que nous avons projetées ?

Que se passera-t-il si, pour des raisons financières, ou parce que le contexte international l'exige, par exemple en Asie, les Etats-Unis ne déploient pas en Europe tous les moyens initialement annoncés ?

C'est pourquoi nous nous demandons si l'Europe sera exonérée des charges liées à la protection de son territoire.

En effet, si la contribution américaine, pour une raison ou pour une autre, ne suffit pas à réaliser une véritable défense antimissile de l'OTAN, deux situations pourront se présenter :

- soit cette défense de l'OTAN restera une coquille vide ; il s'agira d'une défense de l'Europe assurée par les Etats-Unis à la mesure des efforts qu'ils voudront bien consentir au profit des nations européennes ;

- soit on voudra donner à cette défense de l'OTAN une réalité et il faudra que les nations européennes assument la lourde charge de compléter la contribution américaine, en réalisant leurs propres moyens ou, plus vraisemblablement, en achetant des intercepteurs américains.

Face à ce défi, il nous semble que les nations européennes sont peu impliquées.

La défense antimissile territoriale est avant tout une idée américaine, à laquelle les pays alliés ont adhéré pour des raisons très diverses. D'abord parce que cet objectif paraissait accessible à moindre frais, grâce aux Etats-Unis. En outre, beaucoup de nouveaux membres de l'OTAN appellent de leurs voeux des déploiements américains sur leur sol. Mais il n'y a pas de vision commune européenne sur un projet pourtant destiné à protéger le territoire européen.

Aujourd'hui, seules quelques nations européennes sont engagées dans des programmes de défense antimissile. Mais il s'agit de la défense de théâtre, avec le SAMP/T, le MEADS, ou des projets visant à renforcer les capacités radar des frégates anti-aériennes, comme aux Pays-Bas.

S'agissant des capacités intervenant dans le « couche haute », c'est-à-dire celles qui sont nécessaires à la défense territoriale, le seul investissement projeté en Europe est celui de la France, avec le satellite d'alerte avancée et le radar très longue portée prévus par le Livre blanc. Aujourd'hui, ces programmes ne sont pas lancés.

Si l'engagement européen n'est pas plus affirmé, c'est sans doute que la menace n'est pas clairement ressentie. La menace balistique est une menace parmi d'autres : celle qui pèse sur les forces en opérations, le terrorisme, les cyber attaques. L'Europe est en paix avec les pays capables de l'atteindre avec leurs missiles balistiques. Les pays avec lesquels elle entretient des relations difficiles -Iran, Syrie- n'ont pas encore cette capacité, et, surtout, les dirigeants européens ne croient pas que ces pays auraient l'intention d'utiliser ces missiles contre notre territoire.

La défense antimissile apparaît aussi comme un investissement coûteux, propice aux dérives de coût, alors que l'Europe connaît une crise des budgets de défense.

Enfin, pour beaucoup de nos partenaires, si une menace balistique pèse sur l'Europe, il paraît assez naturel que les Etats-Unis s'en chargent.

Pourtant, bien des signes montrent que l'engagement américain au profit de la défense de l'Europe n'est peut-être pas éternel : l'intérêt stratégique des Etats-Unis se déplace vers l'Asie ; ceux-ci ne veulent plus nécessairement être en première ligne dans les conflits situés à la périphérie de l'Europe, comme la Libye ; la dénonciation du « désarmement budgétaire » de l'Europe est de plus en plus forte outre-Atlantique, comme l'illustre le dernier discours du Secrétaire à la défense Robert Gates, à Bruxelles, il y a quelques jours.

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